A une époque où le religieux fait son retour en force sur la scène politique, le dialogue interreligieux est plus que jamais indispensable. Entretien avec le Père Christophe Roucou, directeur du Service des relations avec l’islam de l’Eglise catholique en France.
Comment qualifieriez-vous la période actuelle du point de vue du dialogue interreligieux ?
Père Roucou : On constate en France un raidissement chez certains groupes religieux, chrétiens comme musulmans, et une extension des groupes prosélytes qui rendent plus difficiles les relations entre personnes de culte différent. Je pense que la montée de certains fondamentalismes correspond pour une part à une recherche identitaire, dans un monde de plus en plus sécularisé, en perte de valeurs mais qu’elle s’est également bâtie sur la peur de l’autre. Au Service des relations avec l’Islam, nous aidons les gens à dépasser cette peur, à combattre les clichés qui associent les religions à la violence et à sortir la condition musulmane de cette équation simpliste et fausse : islam = islamisme = terrorisme. Malgré ce contexte de durcissement, on ne peut pas dire que le dialogue soit bloqué car les initiatives interreligieuses se multiplient. Depuis deux ans, des avancées manifestes comme la possibilité de « changer de religion » ou de « vivre sans religion », énoncées lors de la rencontre islamo-catholique de Malines, ont permis d’absoudre l’obscur discours de Ratisbonne (1).
La religion serait donc vécue comme un frein au dialogue interculturel ?
P.R. : Oui elle peut être vue de cette façon, mais à tort, notamment parce qu’on met sur son compte des différences d’ordre culturel. Si l’on observe le mariage par exemple, il n’a pas la même signification : dans une société dite « moderne », c’est un homme et une femme qui lient leur vie, mais dans une société traditionnelle, le mariage symbolise l’alliance de deux familles. Les conceptions de l’Homme et de Dieu ont changé : en passant d’une société traditionnelle, qui place Dieu au centre de la vie humaine et qui priorise l’appartenance au groupe, à une société moderne - où règne l’individu autonome - on n’échappe pas à des transformations. C’est en réalité sur le passage d’un modèle sociétal à l’autre que s’orchestrent les malentendus et les incompréhensions autour du religieux.
Qu’en est-il du rapport à la politique ?
P.R. : Dans les sociétés traditionnelles marquées par des injustices et de la corruption, la religion devient un outil de propagande : « Si ceux qui nous gouvernent étaient de vrais croyants, il n’y aurait pas ces inégalités ». En s’appuyant sur l’humiliation des peuples, certains responsables politiques instrumentalisent le religieux et dissimulent les sources politique ou économique des problèmes. Cet amalgame inquiétant entre politique et religion fait également son apparition en Occident. Quand le président Bush parle de « croisade du bien contre le mal », par exemple. C’est une confusion extrêmement dangereuse, qui peut enflammer les consciences. Seule l’éducation permet aux gens de réfléchir et de ne pas suivre ce genre de slogans.
Quels comportements adopter pour un meilleur dialogue interreligieux et interculturel ?
P.R. : Le plus gros piège est d’associer la religion à l’identité, alors qu’une identité est constituée de multiples appartenances, sociales ou culturelles, et ne peut se résumer aux pratiques religieuses. Une fois ce piège évité, il faut veiller à ne pas figer la tradition de l’autre, apprendre à la connaître et à se reconnaître soi-même comme différent. D’où le nécessaire dialogue pour dépasser les appréhensions. Si on ne s’enferme pas dans le communautarisme, cette variété de cultures et de religions représente une immense richesse et la rencontre, quand elle est assumée de part et d’autre, renvoie à ses racines plutôt qu’elle ne déracine.
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L’impossible dialogue des cultures ?
Altermondes n°16 - décembre 2008 > février 2009, www.altermondes.org
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