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L’impact des supermarchés britanniques sur le travail des femmes dans les pays du Sud

Une recherche d’ActionAid

Vanessa GAUTHIER

01 / 2008

Les enseignes de la grande distribution sont encore rarement la cible des campagnes citoyennes. Pourtant, elles se trouvent à l’une des extrémités des filières d’approvisionnement et en raison des « guerres de prix » qu’elles instaurent entre elles, les prix sont constamment revus à la baisse.

Ces pratiques d’achat se répercutent sur les conditions de travail et de vie des travailleurs qui se trouvent à l’autre bout des chaînes d’approvisionnement. Ceci est vrai pour le domaine de l’agroalimentaire mais aussi pour d’autres domaines que les supermarchés s’accaparent : le textile, la librairie, l’audiovisuel, l’informatique, les fleurs coupées, etc.

Dans le cadre de ses objectifs de lutte contre la pauvreté et la faim dans le monde, ActionAid (organisation non gouvernementale internationale de lutte contre la pauvreté), porte une attention particulière aux effets néfastes des pratiques de la grande distribution dans les pays du Sud. Une recherche qui s’appuie sur différents exemples, notamment celui des travailleuses dans l’industrie de l’habillement au Bangladesh et dans la production de noix de cajou en Inde a été menée.

L’impact du pouvoir d’achat des supermarchés sur les conditions de travail des travailleurs

Quelques chiffres :

  • Au début des années 1990, 47% de la population britannique faisait ses courses dans les supermarchés. Aujourd’hui, ce pourcentage s’élève à 75%.

  • 30%, c’est la part de marché détenue par les quatre principaux supermarchés britanniques sur la vente de vêtements

  • 7 livres sterling sur 10 reviennent aux supermarchés sur toute la vente d’alimentation au Royaume-Uni

L’émergence des enseignes de la grande distribution au Royaume-Uni est particulièrement frappante. Les supermarchés sont les gardiens de l’accès aux consommateurs britanniques. Ainsi, la grande distribution devient petit à petit l’unique possibilité pour les producteurs et fournisseurs d’avoir accès au marché.

Ce pouvoir sur l’accès aux consommateurs donne aux supermarchés la possibilité de maîtriser les prix et les demandes en termes de quantité et de délais de livraisons aux fournisseurs. Si les producteurs et fournisseurs veulent faire vendre leurs produits, ils n’ont d’autres choix que d’accepter les conditions imposées par les supermarchés.

Ce pouvoir des supermarchés a tendance à se renforcer et à se concentrer. On observe ainsi un fort déséquilibre dans la relation de négociation entre fournisseurs et distributeurs. Par ailleurs, les enseignes de la grande distribution ont tendance à se fournir auprès d’une multitude d’entreprises sans passer par les gros exportateurs nationaux. Ceci a pour conséquence une pression accrue sur les fournisseurs et une plus grande compétition entre eux.

Le succès des supermarchés s’appuie en réalité sur un mécanisme de transfert de risques et de coûts :

  • Transfert de coûts : les supermarchés modifient les termes des accords commerciaux avec leurs fournisseurs de façon à limiter au maximum leurs coûts, leur permettant ainsi de réduire le prix à la vente, tout en maintenant leurs profits, voire en les maximisant.

  • Transfert de risques : les supermarchés n’ont que très peu de pertes. Ils exigent de leurs fournisseurs des quantités fluctuantes en fonction de la demande. Les risques sont ainsi transférés chez les producteurs qui n’ont pas la capacité de réaction des supermarchés et produisent parfois à perte.

Résultat, les conditions de travail, pourtant déjà mauvaises à l’origine, se dégradent. Les enseignes de la grande distribution sont les principales bénéficiaires de cette compétition entre producteurs et tirent profit de la dégradation des conditions des travailleurs.

Ceci est rendu possible grâce à différents facteurs :

  • Accroissement du nombre de travailleurs migrants (plus vulnérables)

  • Augmentation du travail informel (qui ne garantit aucune protection)

  • Répression des syndicats

  • Manque de pouvoir et désengagement des Etats

  • Discrimination sexuelle

La discrimination sexuelle : un facteur d’expansion des supermarchés

Ce sont entre 60 et 80 % de femmes qui sont à la source des produits alimentaires et des vêtements en vente dans les supermarchés britanniques.

Si les hommes voient également leurs droits bafoués, les femmes sont beaucoup plus systématiquement sujettes à l’exploitation. Pourquoi ?

Déjà fortement discriminées et lésées à cause de leur position dans la société au sens large, les femmes sont plus vulnérables au sein des entreprises sous-traitées directement ou indirectement par les supermarchés :

  • Elles ont moins de pouvoir de négociation et acceptent souvent des emplois informels sans garantie de protection de leurs droits

  • Elles sont moins qualifiées : elles sont donc très mal rémunérées et n’accèdent que rarement à des possibilités d’évolution professionnelle

  • Elles ont plus de pression due à leurs responsabilités familiales et communautaires, ce qui limite leur capacité à choisir un emploi décent

  • Multipliant les tâches domestiques en dehors de leur travail, elles voient leurs possibilités de s’organiser en syndicats réduites

  • Les pratiques telles que le harcèlement sexuel et autres violences basées sur le genre sont monnaie courante.

Etudes de cas
La production de noix de cajous en Inde : La pression des supermarchés britanniques pour réduire les prix de production a provoqué en Inde une explosion de procédés informels voire illégaux dans le traitement des noix de cajous où les femmes sont majoritaires, avec peu de droits et des possibilités très limitées d’exiger une amélioration de leur situation. Elles sont fréquemment confrontées à des problèmes de santé dus à l’exposition à des huiles corrosives lorsque les noix sont grillées ou décortiquées.
L’industrie de l’habillement au Bangladesh : Les prix de plus en plus bas des vêtements au Royaume-Uni est dû à la valeur que représente le secteur de l’habillement. Les supermarchés y jouent un rôle fondamental. Ils ont pu faire baisser les prix et répondre rapidement aux changements dans la mode ou à la forte demande des consommateurs. Au Bangladesh, c’est une main d’œuvre féminine jeune qui a rendu le phénomène possible. Leur salaire ne permet pas de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille, elles sont forcées à travailler jusqu’à 14 heures par jour.

Les recommandations d’ActionAid

La recherche d’ActionAid constate que les initiatives (commeEthical Trading Initiative www.ethicaltrade.org) ne suffisent pas et ne permettent pas à elles seules de garantir une protection efficace des travailleurs.

Ainsi, outre les recommandations plus particulièrement adressées au gouvernement britannique, ActionAid demande notamment :

  • à l’Union européenne, d’aller dans le sens d’une législation européenne pour limiter les impacts néfastes du pouvoir d’achat des supermarchés

  • à l’Onu d’encourager les pays à ratifier le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et à suivre son application

  • aux supermarchés :

1) de reconnaître leur responsabilité dans la dégradation des conditions de travail sur les travailleurs employés par leurs fournisseurs,

2) de s’engager publiquement à respecter les droits des travailleurs dans les filières d’approvisionnement, de promouvoir les droits humains et en particulier des droits des femmes,

3) de mettre en place des relations commerciales stables et durables avec leurs fournisseurs en donnant notamment des délais de livraison raisonnables et clairs permettant de planifier la production en amont.

  • aux pays producteurs de respecter leurs engagements d’application de la Convention pour l’Elimination de toute forme de Discrimination à l’Egard des Femmes (CEDEF), du Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels (PIDESC), des conventions de l’OIT, et d’assurer à tous ses travailleurs un salaire décent.

Il est fondamental de multiplier les recherches sur les impacts de la grande distribution sur les filières d’approvisionnement et sur le commerce international, à la fois sur les différents acteurs de la chaîne d’approvisionnement (du travailleur au fournisseur, en passant par les intermédiaires comme les sociétés de transport). Ce type de recherche doit être largement diffusé auprès des consommateurs afin qu’ils soient informés et qu’ils soient également acteurs de leurs achats.

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