L’histoire du féminisme et celle du syndicalisme sont très liées à la fois dans l’accord et dans le désaccord. La place des femmes dans le syndicalisme est difficile. Sont-elles des compagnes de lutte ou des concurrentes ? Ennemies ou alliées ? Ces nouvelles actrices dans la sphère productive dérangent et déstabilisent un certain ordre social et la division sexuelle du travail. Si les luttes féministes sont souvent intégrées à des luttes sociales notamment incarnées par le syndicalisme, c’est aussi contre une certaine culture du syndicalisme que s’affirment les mouvements féministes.
Un syndicalisme qui reste loin des travailleuses
Si les gouvernements n’attachent que rarement d’importance aux responsabilités sociales et communautaires que les femmes endossent bien souvent, les syndicats manquent également à la tâche. Malgré de nombreux débats et les évolutions récentes, les syndicats gardent en effet une culture patriarcale : ce sont des hommes qui les gèrent, qui y occupent les postes de représentation, qui prennent la parole. Bien souvent, les syndicats sont créés par des hommes pour des hommes.
On remarque également que les syndicats ne cherchent pas nécessairement à être représentatifs de la grande majorité de femmes qui composent pourtant dans de nombreux secteurs de salariat la majorité des travailleurs. Ainsi, ils mettent rarement en place des mécanismes qui permettent aux femmes de participer aux négociations collectives, d’être consultées en amont sur leurs demandes sociales. De fait, les préoccupations qui concernent plus directement les femmes, étant donné leur place dans la société, telles que les droits liés à la maternité, à la parentalité, à la garde des enfants, restent souvent ignorées dans les revendications syndicales. Aujourd’hui encore pour inclure une femme dans une action syndicale, il faut presque nécessairement qu’elle en oublie une partie de sa vie, de ses responsabilités sociales et qu’elle passe donc par la case de l’image du syndicaliste type masculin-travailleur, dévoué tout entier à sa cause.
D’une manière générale, les taux de syndicalisation se sont affaiblis dans l’ensemble des secteurs économiques formels. Selon les archives de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), en 1949 au niveau mondial les femmes étaient seulement 7 % à être syndiquées. Aujourd’hui, selon une base de données récentes collectées par les affiliées de la CISL dans le monde entier, les femmes constituent la majorité des membres des syndicats, mais ce n’est pas pour autant que leurs attentes sont mises en avant. Ces chiffres s’expliquent en grande partie par le nombre important de femmes qui travaillent dans le secteur public dans les pays démocratiques qui tolèrent les syndicats. Ils excluent les secteurs informels, zones franches, travail à domicile, vendeurs ambulants, travail en milieu agricole où les taux de syndicalisation sont très bas. Or, les travailleuses sont de plus en plus nombreuses dans l’économie informelle.
De même, la migration, qui accroît la vulnérabilité en termes de droits au travail, se féminise. Lorsqu’elles ne travaillent pas dans l’économie informelle, les femmes occupent bien souvent des postes « atypiques » à temps partiel, flexibles, précaires ou en télétravail, ce qui diminue pour elles toute possibilité de consultation avec leurs paires, toute organisation, donc toute action syndicale.
Le problème étant que les entreprises et les grands groupes choisissent des pays où les droits des travailleurs sont bafoués (comme les zones franches). Tout y est fait pour empêcher la syndicalisation. Compter sur la force de travail précaire féminine est une technique parmi d’autres pour asseoir son succès. Les employeurs se désengagent en effet des conventions collectives et s’appuient sur une main-d’oeuvre non syndiquée, et qui ne risque pas de l’être.
Rapprocher femmes et syndicats pour gagner en efficacité
Le fait que les femmes restent souvent marginalisées dans les syndicats menace aujourd’hui la pérennité des syndicats. Jasna Petrovic observe en effet aujourd’hui une « coupure entre les dirigeants syndicaux et la base syndicale » (1). Il convient donc de développer la syndicalisation des femmes qui travaillent et en particulier celles du secteur informel, qui forme un tout avec le secteur formel et qui doit être intégré aux luttes sociales.
On ne trouve que peu de femmes à des postes décisionnels, elles sont souvent en bas de la hiérarchie. Il est donc difficile de lutter pour elles et avec elles. Or, « les syndicats ont besoin des femmes et les femmes ont besoin des syndicats » (1). Parce qu’elles représentent la plus grande part des emplois les plus précaires, il est indispensable que leurs préoccupations soient non seulement connues mais aussi mises en avant dans les revendications syndicales. Faire en sorte que les femmes soient représentées et aient de l’influence sur les instances de décisions syndicales est fondamental. Ainsi le mouvement syndical mondial, qui « reste dominé par des hommes blancs d’un certain âge » (1), doit promouvoir des politiques de prise en compte du genre, non seulement pour garder sa crédibilité et son efficacité mais aussi pour continuer à remplir son rôle : défendre les travailleurs les plus mal lotis, qui sont en l’occurrence des femmes. « Les syndicats doivent reconnaître que les femmes représentent la majorité de leurs effectifs et se réformer en conséquence » affirme Jasna Petrovic (1).
Il s’agit là d’un défi majeur pour la CSI (Confédération syndicale internationale) qui regroupe depuis 2006 les affiliés de l’ex CISL et de la CMT : syndiquer celles qui ne le sont pas : les plus jeunes, les plus précaires, les moins visibles, qui sont en majorité des femmes. C’est en acceptant le rôle nouveau d’associations et ONG qui sont en réalité des proto-syndicats, qui répondent parfois mieux aux spécificités du secteur informel, et c’est en s’ouvrant sur le monde que les syndicats lutteront mieux pour défendre les travailleurs contre les impacts néfastes de la mondialisation.
Il y a également un besoin de formation et de vulgarisation sur les textes fondamentaux sur le plan des droits au niveau international et sur le plan des droits des femmes. Des outils existent, mais ils sont méconnus, notamment les conventions de l’OIT qui établissent des minima sociaux mais aussi les textes internationaux comme la CEDEF qui est la Convention qui visent à éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, y compris dans le monde du travail.
Les codes de conduite ont aussi un poids certain, car ils fragilisent les multinationales chaque fois qu’un rapport est fait sur les violations des normes qu’elles se sont engagées à appliquer. Cependant, les accords passés entre les syndicats sectoriels mondiaux et les multinationales sont des outils plus puissants que les codes de conduite car ils sont bipartites plutôt qu’unilatéraux.
Parce que les campagnes ont un impact réel, les syndicats mondiaux ont lancé en 2006 une nouvelle campagne, après celle de 2003 qui concernait la réévaluation des salaires des femmes à hauteur de leurs homologues masculins dans le secteur du textile, de l’habillement et du cuir. Cette campagne lancée en 2006 pour promouvoir le travail décent devrait connaître son apogée lors de la Coupe du monde football en 2010, organisée en Afrique du Sud et devrait concerner les violations des normes fondamentales du travail dans l’industrie de la confection d’articles de sport.
C’est grâce à tout cela que le mouvement syndical pourra retenir la masse critique dont il a besoin pour être une force politique et sociale crédible et efficace.
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Défendre les droits des femmes au travail dans les pays du Sud
Cette fiche a été réalisée à partir de l’ouvrage « Fabriqué par des femmes", Clean Clothes Campaign, Version française : Peuples Solidaires et Campagne Vêtements Propres 2007, et du Dictionnaire du féminisme, 2005.
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