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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

La nature présente la facture

Quand les modes de développement des pays menacent l’ordre écologique de la planète…

Anil AGARWAL

06 / 2001

Peu de gens ont vraiment conscience que le 21ème siècle sera le siècle de l’environnement. Or les impératifs écologiques vont à l’avenir peser de tout leur poids sur l’évolution technologique. Le pays qui oubliera d’investir dans les sciences et techniques de l’environnement fera courir bien des risques à son économie et à la santé et au bien-être de sa population. L’humanité devra mettre au point des procédés inspirés des cycles de la nature, sinon sa survie à long terme deviendra problématique.

Rappel historique

Qu’est-ce qui nous permet de proférer de telles affirmations ? Regardons tout d’abord de près l’évolution des sciences au cours du 20ème siècle. Au début des gens comme Einstein et Neils Bohr se demandaient : « Qu’est-ce que la Nature ? » Au milieu du siècle, il s’agissait de percer les mystères de la Vie, de l’Univers. Dans les années 1950, Francis Crick et James Watson ont commencé à dénouer l’écheveau de l’ADN. Cela a donné une formidable impulsion aux sciences de la vie. Les connaissances accumulées depuis ont fait progressivement apparaître les biotechnologies.

Au cours des vingt dernières années, une autre question s’est imposée d’elle-même : « Dans quel environnement vivons-nous ? » Ce n’était pas là simple curiosité. De mieux en mieux renseignés sur les phénomènes physiques, les hommes se servaient de leur savoir pour développer un éventail de techniques de plus en plus large dont les effets sur l’environnement étaient de plus en plus marqués. A partir de 1945, et pendant une quinzaine d’années, le monde a vécu ce que les économistes ont appelé le Boom économique de l’après-guerre. Mais en même temps qu’il enregistrait cette croissance économique remarquable, le Monde occidental était confronté à de sérieux problèmes environnementaux. Vers 1960, de Tokyo à Los Angeles, l’air n’était pas très respirable dans les grandes villes des pays industrialisés. Le Rhin et la Tamise se transformaient en égouts nauséabonds. Pour trouver des solutions à tous ces problèmes on a beaucoup investi dans la recherche et les technologies au cours des années 1970.

La nature ne digère pas tout

La crise écologique des années 1950-1960 dans les pays occidentaux n’était pas purement accidentelle. C’était la conséquence logique de modes de développement caractérisés par une utilisation massive de matières premières et d’énergie qui a entraîné une dégradation rapide de l’environnement. Dans le dernier quart du 20ème siècle, les pays en développement ont largement repris ces modes de développement. En Asie de l’Est et du Sud-Est, certains ont enregistré des taux de croissance économique très élevés et ont évidemment très vite atteint des sommets en matière de pollution.

A l’avenir, dans les pays en développement, les choses vont se poursuivre selon les mêmes dogmes économiques. En matière d’environnement, il faut donc s’attendre à des phénomènes catastrophiques. On va imposer à la terre plus qu’elle ne peut supporter, ce qui pourrait entraîner des dérèglements calamiteux dans les grands mécanismes naturels : cycle du carbone, cycle de l’azote…

L’humanité n’a pas fini d’être confrontée à des problèmes écologiques. Depuis trente ou quarante ans, on constate que l’exploitation des écosystèmes naturels par des moyens techniques puissants a fait apparaître un certain nombre de phénomènes surprenants. A vrai dire, si les pays industrialisés ont pu maintenir une croissance économique forte tout en assurant un certain équilibre écologique c’est parce que des gens ont scrupuleusement surveillé l’état de l’environnement et qu’on a pris rapidement des mesures correctives chaque fois qu’une mauvaise surprise se faisait jour. Depuis vingt ans on a beaucoup négocié pour que les nations s’accordent sur des traités et des conventions qui devraient faciliter la lutte contre les nouvelles menaces d’ordre écologique qui pèsent sur notre planète.

Quelles sont donc les surprises auxquelles l’on vient de faire allusion ? La nature est constituée d’une multitude de systèmes fort complexes. Quand ils subissent des interventions lourdes, personne ne sait au juste où cela peut mener. C’est comme si on lâchait des millions de rats dans l’Himalaya. Le caractère grégaire de cette espèce est bien connu, mais la chaîne himalayenne est un espace immense et il serait bien impossible de deviner sur quel montagne ils jetteraient leur dévolu pour la coloniser. C’est la même chose avec les innovations technologiques.

La pollution automobile

Jusqu’au début des années 1990, le gazole était considéré comme un carburant écologique du fait de son efficacité énergétique supérieure à l’essence. On pensait même que c’était une solution pour freiner le réchauffement de l’atmosphère. Or au cours de cinq dernières années, les spécialistes de la santé et de l’environnement ont mis en évidence des aspects particulièrement dangereux de ce carburant. Et voici que partout dans le monde on essaie de réduire l’usage du diesel car chaque semaine apparaissent de nouvelles preuves que ses fumées sont loin d’être sans danger.

Lorsque le Monde occidental s’est mis à utiliser l’énergie fossile pour faire tourner les moteurs de son économie, personne n’imaginait que cela allait un jour déstabiliser l’équilibre climatique de la planète, entraîner des changements qui seraient une menace pour la survie d’un grand nombre d’agglomérations du littoral, pour de vastes régions agricoles dans les tropiques, pour d’innombrables organismes vivants obligés de déménager sans qu’ils aient le temps de coloniser d’autres environnements. Donc notre monde doit maintenant réinventer son système énergétique, laisser de côté les carburants fossiles, utiliser des sources d’énergie qui nous libéreront des servitudes du carbone. Mais cela implique des changements technologiques fondamentaux.

Pour nous qui avons milité en Inde sur ce front, les surprises n’ont pas manqué. Lorsque la Cour Suprême a décidé d’interdire l’essence avec plomb à Delhi, tout le monde a pensé : « Ca c’est une bonne chose ! » Peu de gens ont compris que pour résoudre le problème qui justifiait l’ajout de plomb dans l’essence les raffineries lui ajouteraient pour compenser davantage de benzène et autres aromates. On sait bien que le benzène est une substance cancérigène, notamment pour le sang. Or à Delhi les taux de benzène sont maintenant très élevés, et les cancers du sang sont beaucoup plus fréquents à Delhi que dans les autres grandes villes du pays. La Cour Suprême a donc demandé aux sociétés pétrolières de diminuer les taux de benzène dans l’essence.

Pour améliorer la combustion elles y ajoutent maintenant du MTBE (Ethyl tert-butyl-éther). Il y a une dizaine d’années, les Etats-Unis avaient poussé à un usage très large de cet additif. Et puis on s’est tout d’un coup aperçu que le MBTE avait la fâcheuse propriété de se répandre avec une extrême facilité dans les eaux souterraines. Il a une odeur de térébenthine et une seule cuillerée à café peut transformer une piscine olympique en cloaque puant. Le MTBE est également cancérigène. La Californie puis le reste des Etats-Unis ont pris des mesures pour en supprimer l’usage. En Inde par contre, dans les nouvelles installations de Bharat Petroleum et d’Indian Oil on met du MTBE dans l’essence. Alors la Cour Suprême ne va pas tarder à prononcer une nouvelle interdiction.

L’histoire ne s’arrête pas là : les véhicules automobiles sont de plus en plus équipés de pots catalytiques, où il y a des métaux lourds. Des scientifiques de l’université de Venise viennent d’annoncer que cela provoquait une accumulation de métaux lourds au Groenland. Faudra-t-il un jour interdire les pots catalytiques ? Et ainsi de suite !

Que faut-il penser de tout cela ? Qu’on doit constamment surveiller notre environnement et essayer de mieux déceler l’impact des nouvelles technologies afin de réagir au plus vite et de prendre les mesures qui s’imposent pour corriger d’éventuels problèmes. Nous constatons que tout changement technologique est susceptible de poser un nouveau problème à l’environnement. Il est donc impératif d’investir constamment dans Science-Technologie-Ecologie-Sécurité.

Esprit nouveau, technologies nouvelles

Sous la poussée des contraintes environnementales, de nouvelles technologies se font jour. Au cours des vingt dernières années, des progrès ont été apportés au moteur à combustion, aux produits de l’industrie automobile, laquelle se heurte encore malgré tout à des problèmes incontournables. De sérieux progrès ont été réalisés pour que l’automobile soit plus respectueuse de l’environnement, mais comme il y a de plus en plus d’automobiles et comme on prend de plus en plus conscience des effets des pollutions générées par l’automobile sur la santé, les constructeurs sont obligés d’explorer de nouvelles voies. Aujourd’hui certaines personnes envisagent même des villes sans voitures, ce qui implique une refonte complète des moyens de transport urbain.

Faire les choses « naturellement »

Aujourd’hui on développe de nouvelles technologies à partir du concept de ville sans égouts. Elles fonctionnent avec très peu d’eau et même pas du tout d’eau, toutes les eaux usées et les rejets solides étant recyclés. Autrement dit, les nouvelles technologies s’inspirent du fonctionnement normal de la nature.

  • Pour accomplir son travail la nature fait appel à des énergies douces plutôt que très concentrées. Par exemple, pour prélever 40 000 milliards de tonnes d’eau sur l’océan, les transporter sur des milliers de kilomètres à travers l’Inde pour les laisser tomber en pluie, il lui suffit de jouer de quelques degrés sur la température. Pour la moindre chose, par contre, les hommes consomment de l’énergie à haute dose, ce qui est source de pollution à la fois locale et planétaire. La nature sait faire des choses gentiment, sans agresser l’environnement. A l’avenir les hommes vont aussi s’inspirer de ces façons de faire et capter des énergies bien plus douces, celle du soleil notamment. Pour l’approvisionnement en eau, ce sera la même chose. Au siècle qui vient de s’achever, elle provenait des rivières et des nappes phréatiques, qu’on a surexploitées. A l’avenir on se remettra à récolter l’eau du ciel : autre façon douce de faire les choses.

  • Dans la nature il y a de grands cycles géophysiques. Pour protéger l’équilibre du cycle du carbone, du cycle de l’azote, il faudra bien se débarrasser progressivement du moteur à combustion interne, des techniques prisonnières du pétrole et du charbon, des systèmes d’assainissement classiques. Bref, la technologie se fera bien plus respectueuse de ces grands équilibres naturels et la consommation d’eau et d’énergie plus discrète. Les « grands moyens » utilisés au cours des 19ème et 20ème siècles appartiendront à la préhistoire. C’est à ce prix qu’on préservera le développement et le bien-être de l’humanité.

Le 21ème siècle sera le siècle de l’environnement. Toute nouvelle technologie devra répondre à des critères écologiques et évoluer au besoin pour ne pas agresser l’environnement. Les OGM, qui sont l’une des premières trouvailles de la biotechnologie, se heurtent à de sérieux problèmes écologiques. Et les puissantes firmes multinationales qui les produisent sont finalement obligées de tenir compte des inquiétudes qui se sont exprimées. Cela ne va pas rester un cas unique. Il est clair en effet qu’il faudra de plus en plus tenir compte des problèmes d’environnement. A vrai dire, d’écologie il faudra se soucier sans arrêt. Si on tourne autour du pot, si on ferme les yeux sur ces réalités, les écosystèmes dont nous dépendons en pâtiront, et ce sera à nos risques et périls, et la facture sera lourde.

Pour la sécurité alimentaire, pour la santé, pour le développement industriel, pour l’emploi, pour la sécurité nationale au sens large, on doit désormais accorder une place centrale à la recherche et au développement pour la sécurité écologique. Les sciences de l’agro-alimentaire ne peuvent plus oublier les impératifs de la sécurité écologique parce que, si un désastre écologique s’abat sur l’environnement, on ne pourra plus produire de nourriture.

Pour ce qui est de l’Inde, et compte tenu des énormes problèmes qui se posent au pays, il est profondément regrettable que les moyens mis à la disposition des sciences pour la sécurité écologique et les résultats des travaux dans ce domaine soient si dérisoires. Nous ne sommes même pas capables de mettre à la disposition de nos économies rurales, basées essentiellement sur la biomasse, les connaissances indispensables pour améliorer l’état de l’environnement, la sécurité écologique. Nous sommes incapables de nous attaquer aux énormes problèmes écologiques provoqués par l’urbanisation, l’industrialisation, la pollution automobile. Il y a du pain sur la planche, et le temps presse !

Mots-clés

pollution, pollution atmosphérique, maîtrise de l’énergie, innovation technique, technologie et environnement


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dossier

Environnement et pauvreté

Source

Texte traduit en français par Gildas Le Bihan et publié dans la revue Notre Terre n°6 - juin 2001

Texte d’origine en anglais publié dans la revue Down To Earth : AGARWAL Anil, Deconstructing Science. Down To Earth vol. 9 n°21, Center for Science and Environment, 31 mars 2001 (INDE), p. 38-42

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