04 / 2001
C’est une rencontre en Nouvelle-Calédonie entre un planificateur et un pêcheur kanak allongé au soleil, mais cette rencontre pourrait avoir lieu dans beaucoup de régions dans le monde :
"- Pourquoi est ce que vous n’êtes pas en train de pêcher sur le lac ?
- Hier, j’ai fait une bonne pêche, suffisante pour 3 jours ; alors pourquoi irai-je pêcher aujourd’hui ?
- Parce que vous pourriez acheter une grande barque de pêche à moteur ;
- C’est vrai, mais pourquoi aurais-je besoin de cette grande barque à moteur ?
- Avec l’argent gagné, vous pourriez acheter une belle maison avec une piscine ;
- Et pourquoi devrais-je avoir besoin d’une grande maison avec une piscine ?
- Parce que vous pourriez profiter de la vie et paresser au soleil toute la journée ;
- C’est vrai, mais c’est justement ce que je suis en train de faire."
Bien sûr, cette histoire connue ne doit pas faire illusion, l’image primitive de l’homme ne travaillant que pour sa survie étant dépassée. Mais elle traduit bien les relations disparates que l’homme peut avoir avec son travail, en fonction de son origine ou de sa culture.
Aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales, à l’aube du 3° millénaire, le travail est synonyme de réalisation personnelle, et reste source de lien social. Celui qui ne travaille pas, ou plus précisément qui ne retire aucun revenu de son travail, est souvent dévalorisé aux yeux des autres.
Ceci est dû à notre proche histoire et à notre culture, puisque dès le XIII° siècle apparaît l’éthique du labeur, portée en particulier par la sensibilité protestante, par les découvertes scientifiques et les idées philosophiques du XVII° et XVIII° siècle, et bien sûr par Marx pour lequel travail et production étaient au centre de toutes choses. On est bien loin des Grecs du début de notre ère pour qui le travail était méprisé et opposé à la véritable citoyenneté.
Mais ce qui est vrai en Occident n’est pas transposable sur le reste de la planète. Ailleurs, l’homme n’est pas toujours identifié par sa fonction professionnelle - "et toi, dans la vie, que fais-tu ? ou plus précisément quel métier fais-tu ?" - mais peut l’être par ses compétences artistiques, ses connaissances, son habilité gestuelle... On ne sépare pas systématiquement ce qui est "travail" et donc activité rémunérée, et "oeuvre" qui signifie accomplissement et réalisation de soi ou même des autres.
Chez les Dogons, l’effort et la reconnaissance de celui qui cultive la terre sont peu différents de celui qui danse à l’occasion d’une cérémonie ; ils jouiront du même prestige de l’homme bon, l’un pour sa capacité à nourrir autrui, l’autre pour l’enthousiasme suscité et pour son rôle à assurer la permanence de la collectivité.
"Conquérir le travail, libérer le temps" est d’abord un ouvrage qui nous fait voyager. Sous la forme de petits chapitres de 2 à 5 pages, les différents auteurs nous emmènent dans tous les continents pour nous raconter de multiples histoires de petits boulots informels, mais aussi les grandes reconnaissances.
A Bogota, Caliche, enfant de 8 ans consacre ses journées à récupérer les résidus de la société de consommation. Une nuit, poussant son chariot, il se fait renverser par une voiture dont le chauffeur s’enfuit ; c’était une voiture de police. Les accidents sont fréquents, car les chariots ne sont pas éclairés et surtout parce que les récupérateurs aux noms divers sont invisibles aux yeux des gens pressés qui les appellent "jetables" ou "indigents".
Alors, à force de motivation et de volonté, les milliers de petits récupérateurs ont pu faire reconnaître l’intérêt de leur travail et négocier des gilets orange pour la nuit, des outils et des espaces de travail. On les même vu dialoguer avec des hauts fonctionnaires. Seront-ils les professeurs à l’école du recyclage ?
Mais l’ouvrage ne se limite pas à la description d’expériences plus ou moins réussies de travaux informels à travers le monde. Il prend le recul pour analyser la place du travail dans les différentes sociétés, et surtout pour l’étudier dans nos sociétés actuelles et plus spécialement en France à l’heure des 35 heures.
Pourquoi existe et tente de se développer le travail informel ? La mondialisation et la trop nécessaire compétitivité d’une part, le progrès technologique et ses conséquences sur le volume de travail sont-ils les principales causes de "l’informalisation" du travail ? Quelle place donner au salariat précaire, au télétravail, à la pluri-activité ?
L’économie souterraine et le travail au noir ne sont-ils pas des facteurs d’un vaste mouvement de contestation ou de contournement de l’Etat et du marché ? Ne sont-ils pas aussi une redécouverte des relations interindividuelles et du lien social ? Que doit être une société où le travail à temps plein pour tous n’est plus nécessaire ni économiquement utile ?
trabajo, empleo, desempleo, parado, identidad colectiva, identidad cultural, economía social, derecho laboral, sector informal
, Francia, Túnez, Argelia, Costa de Marfil, Níger, Mali, Togo, Burkina Faso, Benín, Nueva Caledonia, Corea del Sur, Colombia, Chile, Brasil
Toutes ces questions sont d’actualité, et si l’ouvrage apporte toujours quelques éléments de réponse, jamais il nous propose de certitudes. Sauf peut-être qu’il est vain de vouloir tirer des critères de convergence entre les différentes représentations du travail à travers le monde.
Libro
HUSSON, Bernard (coord.), Fondation Charles Léopold Mayer, Conquérir le travail, libérer le temps, Charles Léopold Mayer in. Dossier pour un débat. 109, 2000 (France), 109, 150 p.
GEYSER (Groupe d’Etudes et de Services pour l’Economie des Ressources) - Rue Grande, 04870 Saint Michel l’Observatoire, FRANCE - Francia - www.geyser.asso.fr - geyser (@) geyser.asso.fr