La transformation des sociétaires en clients
08 / 1999
La MAAF a été créée en 1951 par des Chambres des métiers pour offrir aux artisans et à leurs proches des garanties d’assurance dans l’automobile, l’habitation et plus tard dans le domaine professionnel. Aujourd’hui, elle compte 2 millions d’assurés, a un chiffre d’affaires de 10 milliards de francs et emploie 4 200 personnes.
La catastrophe a pourtant été frôlée en 1990 : la Direction des assurances, autorité de tutelle, découvre que la faillite est proche et demande qu’un nouveau directeur général soit recruté. Jean-Claude Seys est alors nommé et fait un diagnostic rapide qui le conduit notamment à vendre deux banques peu rentables, à "épurer" le portefeuille en résiliant les contrats qui font perdre de l’argent, en particulier chez les artisans du bâtiment, et enfin à réduire fortement les frais de gestion : annulation de 440 contrats de sous-traitance, suppression de toutes les subventions de mécénat, réduction de 10 pour cent des effectifs, blocage des salaires pendant 2 ans, puis réduction des salaires de 10 pour cent pour les cadres et de 2,7 pour cent pour le reste du personnel.
Pendant les deux premières années, J.-C. Seys a mené ce redressement en tant que directeur général ; mais il était obligé de "traîner" un conseil d’administration qu’il jugeait peu compétent, et ce pour des raisons structurelles. En effet, le conseil d’administration, qui désigne le président, lequel nomme le directeur, est élu par une assemblée de grands électeurs eux-mêmes désignés par l’ensemble des sociétaires au cours de réunions locales ; or sur les 20 000 sociétaires conviés par réunion, il n’y en a que 20 à 50 qui se déplacent : avec le jeu de la concurrence, les mutuelles ont été peu à peu obligées de diversifier leurs offres, de réduire leurs marges, d’avoir recours aux mêmes techniques et d’augmenter leurs tarifs ; l’"affectio societatis" des débuts s’est perdue, et les sociétaires n’ont plus qu’une relation de client avec la mutuelle ; il est encore plus difficile de trouver des candidats pour le conseil d’administration, d’autant que cela suppose de consacrer 18 jours non rémunérés par an à cette fonction ; ceux qui se présentent sont par conséquent soit des retraités peu dynamiques, soit des individus qui espèrent tirer quelque avantage de leur situation ; en aucune manière ils ne sont choisis sur le critère de leur compétence. Selon les cas, le président élu parmi eux a conscience de son incompétence et désigne un directeur à qui il laisse tous les pouvoirs tout en conservant toutes les responsabilités, ce qui est dangereux et malsain ; soit il ne mesure même pas sa propre incapacité et précipite l’entreprise à sa ruine ; soit le directeur réussit à s’emparer de la présidence, mais il n’y a plus de contre-pouvoir.
C’est pourtant l’option qu’a choisie J.-C. Seys, qui, grâce à une campagne électorale rocambolesque et explosive, dont l’une des habiletés consistait à constituer sa propre liste avec les "meilleurs" candidats des listes adverses (sans les consulter), a réussi à obtenir le poste de président directeur général. Soucieux d’équilibrer les pouvoirs à la tête de la société, ne serait-ce que pour la protéger contre lui-même, lorsqu’il deviendra "gâteux", il travaille actuellement à la conception d’un dispositif qui distinguerait clairement un responsable opérationnel, choisi pour sa compétence et entouré de dirigeants cooptés, et une instance de contrôle, à la fois forte, éclairée, indépendante, et motivée par l’avenir de l’entreprise ; elle comprendrait à la fois des sociétaires, des représentants du personnel et des personnalités extérieures.
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, Francia
Il est difficile de savoir qui de la poule ou de l’ouf a commencé, et difficile également de savoir qui a la responsabilité, dans l’histoire des mutuelles, du fait que la "flamme" s’éteigne : certes, les raisons données par J.-C. Seys sont convaincantes (le temps qui passe, le nombre croissant de sociétaires, la concurrence...)mais il n’en a pas moins contribué lui-même fortement à éteindre cette flamme, en renonçant partiellement à ce qui constitue le principe même de la mutuelle, l’assistance des faibles par les forts ; il explique ainsi, sans état d’âme, qu’en l’absence d’instruments de "scoring" performants, il est difficile de cibler à l’avance la clientèle "peu coûteuse en sinistres" et qu’à défaut il fait désormais pression sur ses agences afin qu’elles usent de leur intuition pour écarter les "mauvais clients" potentiels. Selon lui, les partenaires les plus motivés par la survie et la réussite de l’entreprise sont, de loin, les salariés, et c’est sur eux qu’il s’est massivement appuyé pour mener à bien sa campagne, grâce à l’influence qu’ils avaient auprès des sociétaires (il a d’ailleurs fait entrer des représentants du personnel au conseil d’administration); mais on devine sans peine que les intérêts des personnels et ceux des sociétaires ne sont pas forcément convergents.
Quoi qu’il en soit, les sociétaires se transforment peu à peu en simples clients. Mais n’est-ce pas la même désaffection qu’on observe dans nos démocraties, avec le recul constant de la participation aux élections ? Pourtant, s’il est peut-être préférable que le mode de direction des mutuelles, jugé désormais inadapté, évolue vers de nouvelles formes, il faut résister coûte que coûte à la tentation permanente des démocraties, qui deviendra sans doute de plus en plus pressante avec le changement d’échelle de la gouvernance, et qui consiste à réserver le pouvoir à une élite désignée en fonction de sa compétence et, en fait, de façon non démocratique : renoncer à la représentation universelle au profit d’une gestion par un directoire compétent serait abandonner le signe le plus tangible de la dignité et de l’égalité de tout être humain.
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SEYS, Jean Claude, CLAES, Lucien, L'élection du patron : impasse ou modèle à suivre ? - séminaire 'Vie des affaires' in. Les Annales de l'Ecole de Paris, 1996 (France), II
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