Le développement n’a pas d’histoire, ou trop peu. Sa caractéristique semble être de s’enfermer dans l’activisme d’aujourd’hui en fonction d’un demain idéal, abstrait. C’est le demain des grands débats, des grandes idéologies, non pas des utopies qui inspirent mais des modèles qui brident et stérilisent. Alors l’activisme de l’aujourd’hui n’ose pas lever le nez pour ne pas être perturbé : il le plonge dans la méthodologie, dans l’exécution, dans le respect des programmations, des délais, des budgets.
D’où l’un des objectifs de la capitalisation de l’expérience en développement : élaborer des connaissances pour avoir un hier, un aujourd’hui et un demain, pour se replacer dans l’histoire et dans le temps.
Il ne s’agit pas tant de connaissances sur hier, aujourd’hui et demain, mais pour avoir cet hier, cet aujourd’hui, ce demain. Qu’est-ce à dire ?
Par exemple, la capitalisation de l’expérience ne peut pas prétendre offrir une connaissance exacte, objective et complète du passé. Mais elle peut dire comment elle l’a vécu, comment elle y a agi, comment elle y a appris. Elle peut offrir des racines à l’aujourd’hui et des perspectives au lendemain.
Le Priv a beaucoup apporté dans les Andes à ceux qui cherchent à améliorer les possibilités d’une gestion paysanne durable des systèmes d’irrigation ? Mais il lui faudrait bien d’autres ressources pour offrir tous les antécédents, tout le passé de ce qu’est l’organisation paysanne en irrigation, même en se limitant aux 20 dernières années et à sa zone de travail à Cochabamba, en Bolivie.
Avant la capitalisation réalisée en 1991, les activismes de l’aujourd’hui avaient cru pouvoir tirer de l’expérience du Priv une solution à répandre (et que l’on commençait à retrouver dans les études de faisabilité de nouveaux projets) : créer des Associations d’Irrigation et de Services dans le style de celles de Punata et de Tiraque !
La capitalisation de 1991 a permis de rendre des racines aux Associations : elles sont le produit d’une longue confrontation- négociation-dialogue entre le Projet et les paysans ; elles ont déjà beaucoup évolué entre ce qui avait été prévu en 1988 et ce qui existait en 1991. Et déjà en 1993 on peut prévoir qu’elles changeront encore beaucoup.
Grâce à la capitalisation, ce n’est pas un modèle pour l’activisme d’aujourd’hui que l’on peut extraire de l’expérience mais des connaissances, des critères, des références qui peuvent aider à d’autres rencontres entre les intérêts et les savoirs des paysans et des ingénieurs autour d’une irrigation. Grâce à la capitalisation du Priv, le développement de l’irrigation à Cochabamba et en Bolivie commence à avoir un hier, un aujourd’hui et un demain que l’on peut partager.
C’est pour cela que la capitalisation de l’expérience ne cherche pas à démontrer ni à justifier un résultat mais plutôt à raconter et réfléchir un parcours et ses apprentissages : pour redonner le temps au développement, pour lui rendre une dimension historique qui lui fait tant défaut.
La capitalisation se préoccupe également beaucoup des connaissances pour demain. Non pas tant pour prédire ce qui sera ni pour prescrire ce qu’il faudra faire, sinon pour offrir à demain de nouvelles possibilités de réfléchir et d’enrichir l’hier.
La capitalisation du Priv a-t-elle élaboré tout ce qui dans son expérience pourra être utile demain ? Bien sûr que non. Mais ses récits et réflexions, ainsi que ses archives non diffusées, pourront servir demain à de nouvelles interprétations et à de nouvelles connaissances.
C’est pour cela que la capitalisation ne se limite pas à raconter et expliquer ce qu’elle croit avoir compris de l’expérience et transformé en connaissance : chaque fois qu’elle peut elle exprime ses doutes et ses ignorances pour qu’ils soient les racines des connaissances de demain.
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, América Latina, Bolivia, Cochabamba
Cette vision du temps dans la capitalisation de l’expérience est importante dans la mesure où l’on assume que l’indispensable recomposition du savoir et de la pratique sera l’objet d’un long processus collectif. Il s’agit donc d’offrir à demain et à d’autres la possibilité de dépasser ce qui nous semble peut-être aujourd’hui une vérité éternelle.
La capitalisation du PRIV : Proyecto de Riego Inter-Vallesà Cochabamba-Bolivie, avec la Coopération Allemande, était financée par la GTZ. Le livre : « Dios da el agua, ¿qué hacen los proyectos? » La Paz 1992, Hisbol-Priv, 250 pages. Les auteurs : H. Gandarillas, L. Salazar, L. Sánchez, L.C. Sánchez et P. de Zutter.
Fiche traduite en espagnol : « Capitalización: Conocimientos para ayer, hoy y mañana »
Ce dossier est également disponible sur le site de Pierre de Zutter : p-zutter.net
Version en espagnol du dossier : Historias, saberes y gentes - de la experiencia al conocimiento