Capitaliser, c’est-à-dire aider à transformer l’expérience en connaissance partageable: dans ma rencontre progressive avec la Fondation pour le Progrès de l’Homme il y avait là une priorité commune. Puisque j’avais une certaine expérience et quelques demandes en attente, en 1991 la Fondation me donna un « coup de pouce » afin que je puisse être disponible et répondre à ces sollicitations. L’opération se répéta à une plus vaste échelle pour 1992-1993. Cette expérience de capitaliseur en disponibilité se prête à présent à bien des réflexions.
Je n’ai pas chômé, loin de là, mais les seuls efforts ayant abouti pendant ces trois années sont les capitalisations entreprises dans le cadre de grands projets de développement, encore en vie mais en phase finale : avec le Priv de Cochabamba en Bolivie ; avec le Pput d’Asunción au Paraguay ; tous deux appuyés par la coopération technique allemande, la GTZ.
Par contre, elles se traînent les reprises essayées au Pérou avec Villa El Salvador, la santé publique ou l’éducation préscolaire de la Van Leer, en Colombie avec les autorités indigènes du Sud-Ouest et les « solidaires » qui les accompagnent depuis 20 ans, au Paraguay avec la Escuela de Montes, et même en France dans ma Champagne pouilleuse. Pourquoi ?
Pendant ces années, et bien auparavant, j’ai cherché à motiver au maximum ces interlocuteurs que je croyais et qui se savaient porteurs d’expériences méritant un approfondissement et une diffusion. En réalité ils étaient déjà motivés d’avance, pour la plupart.
Un premier blocage est souvent venu du fait de l’ampleur de l’entreprise. Nous parlions de l’expérience et ses acquis, mais en nous référant à cette « histoire » vécue nous tombions dans l’ambiguïté entre une grande histoire à étudier et des histoires à raconter. Toutes deux sont nécessaires mais l’envergure de la première tend à écraser alors qu’il y a toujours un peu de doute sur la possibilité et l’intérêt de la seconde.
Ce genre d’activité manque encore de références et de légitimité. Le bal des mots que nous avons employés en dix ans n’est pas un hasard : systématisation, récupération historique, reconstruction d’histoire, capitalisation de l’expérience, etc., expriment une recherche, un désir, mais bien peu de clarté encore.
Pourtant nous avons réussi à Cochabamba et à Asunción. Pourquoi ? Parce l’entreprise passionnait les acteurs et parce que nous avions les moyens matériels, donc la garantie de vivre pendant l’effort et de savoir que son produit serait diffusé et utilisé. Dans les deux cas les projets avaient des ressources pour ce faire car il y a à la GTZ allemande des gens avec l’envie et le besoin de valoriser les leçons de l’expérience.
Par contre, les groupes informels et/ou en autofinancement, au Pérou, en Colombie et au Paraguay, ont eu trop de mal à passer de l’envie à l’action. Les urgences de la survie et des processus en marche rendent impossible une vraie disponibilité pour capitaliser. Et la disponibilité de l’aide-capitaliseur est loin de suffire à débloquer. Le volontariat a ses limites.
Enfin, dans les cas où le processus s’est lancé à mon initiative, comme en Champagne, l’effort isolé tend à se perdre dans les « à quoi ça sert ? » qui entraînent vite des remises à demain. Les crises latino-américaines rendent évident le besoin de reprendre les expériences et les savoirs de tous. Les crises européennes s’en remettent encore, en dehors de certains milieux limités, à l’arrivée de quelque plan ou reprise salvateurs. Hors structures et hors courants, les isolés ont du mal à voir où peut conduire la capitalisation de leur expérience.
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Légitimité-utilité, moyens pour faire et garantie de débouchés (pour les produits et pour leurs auteurs) sont peut-être trois conditions nécessaires et non encore assurées pour que la capitalisation d’expériences puisse s’étendre et devenir un axe essentiel de la recomposition des savoirs et des pratiques dans nos sociétés.
L’approche et la méthode sont importantes bien sûr. L’appui de la Fondation m’a permis de consacrer à Cochabamba et à Asunción le double ou le triple du temps qui m’était imparti. Et c’était indispensable car nul n’imaginait au départ l’intensité de l’effort pour inventer ensemble une capitalisation collective. J’en ai tiré bien des apprentissages sur ce qu’est ou pourrait être la capitalisation de l’expérience.
Mais il reste un défi : comment trouver les moyens matériels et les canaux d’aide et de diffusion pour que les groupes pauvres en ressources et riches en acquis puissent élaborer et partager leurs histoires ? Les volontaires existent, ils ont besoin de partenaires. N’est pas pionnier qui veut mais qui veut et peut !
Fiche traduite en espagnol : « 1991-1993 : Un capitalizador en busca de capitalizaciones »
Ce dossier est également disponible sur le site de Pierre de Zutter : p-zutter.net
Version en espagnol du dossier : Historias, saberes y gentes - de la experiencia al conocimiento