Septembre 1992 : le Projet Planification de l’Usage de la Terre, au Paraguay, vient d’éditer son neuvième livre, en a deux sous presses et en prépare plusieurs autres pour une collection qui vient tout juste de prendre forme un an plus tôt. Son cycle de vie doit se terminer en mars 93 (une évaluation avait, 18 mois auparavant, préféré abréger la nouvelle phase car les résultats ne correspondaient à aucune attente classique : pas de modèle). Surgit alors l’idée d’un dernier ouvrage à manière de bilan : bilan de l’approche développée au cours des dernières années ; bilan des contenus du travail réalisé. Projet très souvent critiqué, le Pput a besoin de justifier ce qu’il a fait mais surtout de consolider ses apports avant sa disparition car la demande est maintenant très grande : à l’incompréhension succède enfin un très grand intérêt dans le pays.
Qui devrait réaliser ce livre ? L’idéal d’un ouvrage collectif ne tient pas : les délais sont très serrés, tous les gens du projet ont d’autres tâches urgentes à compléter. Je suis le seul à offrir à la fois la connaissance intime du projet et ses évolutions, une certaine disponibilité et la capacité de pondre rapidement un livre. Le choix est rapide : je commencerai à distance, avec échanges des informations, des premiers écrits et de leurs corrections. Nous terminerons ensemble à Asunción en février. La pratique est différente : pour cette écriture depuis la France, seule la messagerie électronique aurait permis le dialogue ; nous n’en disposons pas. A mon arrivée en février à Asunción, je n’ai que les brouillons de 3 des 9 chapitres prévus. Il reste à peine une semaine : l’ouvrage collectif devient une oeuvre personnelle en dialogue avec le projet.
Quel style de livre ? Le changement dans le processus d’écriture amène un revirement du livre lui-même. Le côté bilan disparaît progressivement et l’on débouche sur une sorte d’interprétation- capitalisation de l’expérience du projet. Cela parce qu’il a été impossible d’obtenir toute l’information nécessaire pour un bilan (déficit des archives, beaucoup de choses encore en pleine élaboration, indisponibilité des collaborateurs présumés). Il s’agit donc d’une capitalisation partielle qui entraîne une signature individuelle.
Comment préparer l’écriture ? J’avais accumulé en France une bonne quantité de documentation sur le projet : je la reprends et l’organise pour en tirer des bases (chronologie, bibliographie…) et discerner les axes à travailler. Mais le dialogue prévu avec le Paraguay est impossible. J’essaie donc de profiter au maximum de certains antécédents : je possède en disquette la plupart des documents du projet, ce qui me permet de « couper-coller » très rapidement dans différents fichiers ; j’ai une perception intime de la plupart de ces documents (j’ai « édité » les transcriptions de toutes les réunions et séminaires, même ceux auxquels je n’ai pas participé; ma manie orthographique et styliste m’a fait « corrigé » de nombreux rapports qui m’avaient été remis). Le travail de documentation sert donc très peu à m’informer sinon essentiellement à me mettre en ambiance. C’est ce qui influera sur le style d’ouvrage où domine ma subjectivité (heureusement très fortement partagée avec les responsables du projet au Paraguay).
Comment écrire ? C’est là où le bât blesse. L’écriture pour l’Amérique Latine me devient difficile en France où je vis un processus de rencontre très intense avec la réalité locale : me mettre en état de communication avec mes lecteurs et surtout mes co-auteurs est chaque fois plus long et chaque fois plus vite interrompu. Je n’avance pas. C’est à Asunción en février que je reprends le tout ; les délais (une semaine pour six chapitres) obligent à abandonner l’accouchement naturel et à opter pour la césarienne (le praticien extérieur devient l’acteur principal). Mais le contexte (environnement, possibilité de réactions immédiates des collègues, etc.) permet de gagner le défi : l’enfant est celui du projet mais l’auteur doit assumer la paternité des cicatrices et des déformations du nouveau-né.
comunicación, metodología, capitalización de la experiencia
, Paraguay
Il s’agit d’une expérience atypique de capitalisation. Du fait des évolutions quant à l’objectif et au rôle de l’auteur. Parce qu’il est rare qu’un agent extérieur ait à faire ce genre de travail à la demande exclusive d’un projet lui-même, sans intervention des financeurs. Grâce à la confiance et la qualité du dialogue entre l’agent extérieur et le projet, qui permirent un travail personnel sur une optique collective.
Cela démontre qu’il est possible de capitaliser l’expérience avec l’appui d’agents extérieurs quant les conditions locales sont inadéquates. Mais en même temps c’est parce que j’étais suffisamment « intérieur » au projet (j’ai participé à ses principaux débats, efforts et polémiques des trois dernières années) que le produit, s’il n’est pas idéal, peut être très utile comme le prouvent les premières réactions à sa publication.
Le produit est utile, mais tel qu’il a été vécu le processus aura apporté un apprentissage moindre que s’il avait été plus collectif. Cependant, c’est parce que le Pput est lancé depuis deux ans à un gigantesque effort de capitalisation de diverses expériences qu’un tel ouvrage est possible : il n’est qu’une des formes d’expression et de diffusion des leçons capitalisées par ailleurs.
Alors, capitalisation atypique ? Mais y a-t-il une capitalisation type ?
Il s’agit du livre N°13 de la collection « Serie Debate », éditée par le PPUT : Proyecto Planificación del Uso de la Tierraavec le financement de la GTZallemande: « La vaca, la soja y el árbol : Recursos naturales, planificación y desarrollo: experiencias de un proyecto », 148 pages.
Fiche traduite en espagnol : « Paraguay 1993 : del balance de proyecto a una capitalización personalizada »
Ce dossier est également disponible sur le site de Pierre de Zutter : p-zutter.net
Version en espagnol du dossier : Historias, saberes y gentes - de la experiencia al conocimiento