Les divorces familles/ONG, militant/professionnel
05 / 1993
1975-1987: Installé à Pucallpa, Ulises Réategui, médecin, chercheur, éducateur, poète, anthropologue et militant politique, développe une sorte de projet personnel-familial axé sur deux préoccupations centrales: son engagement social, son désir de contribuer à la revalorisation du patrimoine naturel et culturel des indiens amazoniens. Pour ce faire, il soigne les plus pauvres dans son cabinet, tout en travaillant avec des guérisseurs traditionnels pour intégrer les deux médecines; il réalise avec d’autres des recherches sur la flore locale et ses propriétés; de ses voyages sur le terrain il rapporte différentes oeuvres des cultures autochtones; finalement il organise ses multiples relations en une association qui chapeaute et appuie ses activités. Un cabinet médical, un jardin botanique, un musée, une association ACTCUR, ce sont les manifestations les plus visibles des diverses facettes de ses activités où sont engagés tous les membres de la famille: femme, enfants, gendre, proches...
1984-1985: Les amis européens et péruviens de Réategui cherchent la voie pour aider et multiplier l’action de celui-ci. Surgit l’idée d’un Projet qui puisse être financé de l’extérieur.
1987: l’institution Projet Palmes voit le jour pour:
-créer un Centre autonome de Santé, avec cabinet, pharmacie et formation en médecine traditionnelle
-faire de la recherche et l’exploitation des plantes alimentaires et médicinales de l’Amazonie.
Des financeurs européens apportent des fonds structurés en "projet", Réategui transfère tout ce qu’il a édifié à la nouvelle institution "Projet Palmes": locaux, mobilier, équipements, clientèle, prestige, pouvoir de convocation. Le "projet familial" Réategui devient une ONG et s’engage à respecter ses structures, ses objectifs, ses règles du jeu.
Octobre 1991: Réategui meurt à Lima d’une longue maladie. Ses proches sont convaincus que le Projet l’a tué: aux difficultés d’harmoniser dans le quotidien ses objectifs (plus sociaux et culturels)et ceux (plus scientifiques)des promoteurs extérieurs, se sont ajoutés les problèmes de gestion institutionnelle, les luttes sur le pouvoir et l’argent avec les "assesseurs" de Lima, les pressions de Paris retardant la remise des fonds, etc. Non seulement ce qui avait fait la force de Réategui devenait son talon d’Achille (le travail en famille? du népotisme!)mais tout était paralysé par les querelles: l’institutionnalisation qui devait multiplier l’impact avait abouti à une impasse. Il y aurait énormément de choses à approfondir dans l’expérience Réategui sur les questions de santé et autres. Mais la première leçon est sans doute celle qui a trait aux dynamiques institutionnelles, à la logique "projet", aux débats militantisme/professionnalisation du développement, en oubliant de chercher des coupables et en essayant plutôt de comprendre, car il s’agit d’un cas extrême et exemplaire. Réategui était-il dans le fond réfractaire à l’institutionnalisation? Non puisque son activité personnelle était très vite devenue celle plus large d’une organisation, son organisation familiale. Non puisque son impact avait motivé des gens et des organismes à s’associer à son labeur: l’institution créée en 1983 était une "association". Ce n’est pas l’institution qui a poussé Réategui à la frustration et au désespoir, c’est un modèle d’institution, l’ONG. Pourquoi? Les ONG du Sud vivent dans la presque totalité des cas de financements extérieurs. Depuis le Nord on a tendance à les voir comme des répliques de l’"associatif" européen alors qu’elles sont surtout des entreprises, des centres d’emploi, qui doivent répondre en premier lieu aux investisseurs du Nord. Et le Nord a son cadre de travail, le "projet". Réategui était-il réfractaire au "projet"? Non car il avait lui-même conduit un projet depuis de longues années. Mais un projet fondé d’abord sur l’autofinancement, un projet flexible qui avançait au rythme du dialogue entre les besoins et les possibilités, entre les interlocuteurs et acteurs du terrain, leurs urgences, leurs envies, leurs rêves. Faire quand c’est possible et désirable et non pas seulement parce que c’est "programmé". Faire d’une manière qui corresponde aux possibilités et savoirs et pouvoirs locaux et non seulement en fonction des planifications, des suivis, des évaluations, des audits du "modèle projet". Mais cette approche "militante" est-elle trop peu professionnelle? Réategui était militant politique. Mais il était surtout militant d’un peuple. C’est son engagement auprès des démunis et des Indiens qui guidait son travail. D’où un certain éclectisme. D’où les potentialités qui avaient enthousiasmé les professionnels. Tant que ceux-ci n’eurent pas le pouvoir que leur donnèrent la structure "ONG" et la modalité "projet", la collaboration entre le militant et le professionnel fut excellente, enrichissante pour tous deux. Mais le "réalisme" du "développement-projet" brouilla, au nom de l’"objet" et ses objectifs, les rapports entre les "sujets".
ONG, financiamiento del desarrollo, familia, medicina tradicional, salud
, Perú, Pucallpa Ucayali
Le "militant" et le "professionnel" sont-ils incompatibles? Ce n’est sans doute pas le cas. Le danger n’est pas là. Il est dans le "militantisme" sectaire lorsqu’il galvaude le travail et son discours pour chercher des adeptes. Il est dans la "professionnalisation" lorsqu’elle veut asservir l’art et la manière à des règles fermées, celles qu’elle sait contrôler.
Titre original du rapport: "Evaluación final del Proyecto PALMES o "Proyecto Reátegui", Pucallpa - Perú". Adresse du Projet: Av. Saenz Peña 100 - Pucallpa - Pérou
Informe
MARTINEZ HORNA, Oscar; CONSOLI, Claudio, 1992/00/00 (PEROU)