Le contexte
Tout commence en 1990: devant un public d’adultes et d’enfants de l’école primaire de Chambles (Haute Loire, France). Un reporter, Christian Vérot, ami de l’instituteur, présente un diaporama réalisé au Guatemala: les écoliers y découvrent le lotissement de déplacés internes à las Violetas qui abrite 200 familles indigènes du Triangle ixil, 200 familles de réfugiés dans leur propre pays, chassés de leurs terres par la "sale guerre" qui oppose depuis plus de dix ans armée et guérilla. Dans son reportage, Christian Vérot s’attache aussi à décrire le programme de santé et d’éducation mené par ERM depuis 1987 auprès des enfants de cette communauté.
Des lettres et des dessins
Tout commence donc lorsque les petits Chambloux croisent du regard le destin de ces enfants mayas. Parce qu’ils ont reçu avec émotion ces images d’un monde si différent du leur, ils décident d’envoyer eux-mêmes leurs images, dans un acte de réciprocité. C’est le début d’une correspondance soutenue: photos, dessins, lettres, petits cadeaux traversent l’océan dans un sens comme dans l’autre. Au fil des mois ils se racontent se mettent en scène, décrivent leur quotidien, leurs bonheurs et leurs malheurs et déjà les réalités se dessinent avec plus de force: Rémy, Sophie ou Guillaume décrivent leur école, racontent les loisirs à Chambles ; Maria s’est représentée devant son métier à tisser ; Pedro a dessiné son village cerné par l’armée et les hélicoptères ; Abigail a confié « je n’ai plus de papa ».
Par la correspondance ils ont fait tomber les premières barrières, ils ont établi la communication, puis ils expriment le désir d’aller plus loin dans la découverte de l’autre, d’où l’idée d’organiser une rencontre à las Violetas.
Avant la rencontre
Tout un réseau se mobilise autour des enfants pour rendre possible cette rencontre. Outre les aspects organisationnels, le projet comporte aussi un volet "pédagogique" pour préparer les enfants à aborder différences et ressemblances. Cette préparation a été réalisée par les instituteurs français et guatémaltèques et par un animateur, véritable « médiateur culturel » qui, d’un côté comme de l’autre a préparé les enfants à des activités à partager ensemble, plus tard: chansons, réalisations de masques et de marionnettes, illustration de séquences du Popol Vuh, texte fondateur de la culture maya.
Le jeu comme moyen de connaissance et de reconnaissance
Ce fut un choix que de donner le jeu comme fil conducteur à la rencontre sur le terrain. A Las Violetas , il aura pour nom « La camioneta », grand jeu de coopération conçu par Odile Périno, ludothécaire et amie d’ERM, pour unir les enfants et surmonter les barrières linguistiques. Odile en a conçu la trame: les enfants regroupés en équipes ixils-françaises devraient accomplir des épreuves pour gagner des "bons de voyage" ; à l’issue de la première semaine passée ensemble à Las Violetas, ils pourraient, munis de ces bons, embarquer à bord de « la camioneta » un vieux bus scolaire prêté par le Ministère de l’Education, qui les emmènerait tous dans un voyage à travers le pays.
Sur le terrain Raul et Sylvie, animateurs d’ERM ont donné les contenus au jeu et l’ont mis en place avec les animateurs ixils.
Les équipes ixils-françaises/enfants-adultes ont parcouru le village en tous sens pour répondre à des questions sur la santé, l’alimentation, l’artisanat, la vie quotidienne, la tradition. Combien de touches sur une marimba? Quelle plante médicinale soigne la toux? Comment tisse-t-on un bracelet de toutes les couleurs? Combien de sortes de maïs existe-t-il? Qu’est-ce que le copal? Combien de temps faut-il pour moudre dix livres de mais? Réponses au centre juvénile, au dispensaire, à l’atelier des tisseuses, ou dans la maison du « balbatish », prêtre maya qui a fait brûler pour eux quelques pierres de copal, encens utilisé par les mayas pour leurs cérémonies. Les enfants sont rentrés dans les maisons (trois minutes pas plus, pour ne pas gêner.)à la recherche de trois grains de maïs, un blanc, un noir, un jaune ; puis dans l’atelier des tisseuses pour apprendre à faire un bracelet ; ils ont couru du moulin à maïs au four à pain, du lavoir au jardin d’enfants. Les enfants mayas expliquent, s’amusent de l’étonnement qu’ils lisent sur le visage de leurs amis. Ils sont dans la position de ceux qui savent et voilà que s’opère chez eux une réappropriation de leur réalité quotidienne. Jeu de miroir qui leur fait voir d’un oeil nouveau le monde familier qui les entoure, qui leur rend la fierté de ce qu’ils sont.
Mako, instituteur de las Violetas, saura trouver les mots pour le dire: Par votre présence ici, vous nous reconnaissez, nous les indigènes, vous faites de nous, de nouveau, des personnes «
C’est ainsi que les uns ont présenté leur univers et que les autres ont pu le découvrir: en jouant.
« J’ai des images très fortes dans mon coeur » dira Julien, au retour.
En effet, forte a été cette rencontre placée sous le signe de l’amitié et du jeu.
Les enfants de Chambles ont découvert l’hospitalité des ixils, la dignité des gens qui vivent pourtant dans des conditions matérielles précaires. Ils ont découvert un univers. Premier pas peut-être pour tordre le cou aux idées reçues - largement transmises par les médias- d’un sud, lieu de tous les désastres, de la misère sous toutes ses formes, face à un nord, seul à même de les sauver. Ils ont saisi ce qu’est la solidarité, un échange où les deux parties donnent et reçoivent. Premier pas peut-être pour aborder d’une autre manière la différence et la ressemblance. En jouant.
niño, interdependencia cultural, pedagogía, educación al desarrollo, cultura minoritaria
, Francia, Guatemala
Texto original
ERM (Enfants Réfugiés du Monde) - 34 rue Gaston Lauriau, 93512 Montreuil cedex, FRANCE - Tél. : 33 (0)1 48 59 60 29 - Francia - erm (@) erm.asso.fr