La réadaptation fonctionnelle de l’enfant sourd : une catastrophe pour le sujet

Le concept même de réadaptation présuppose un état idéal d’humain type vers lequel l’éducation devrait tendre. L’enfant sourd conduit dans un centre d’audiophonologie institué par la société (en Belgique)est pris dans une logique double, dont l’esprit totalitaire échappe à ceux qui y participent de bonne foi, et cela d’autant plus qu’ils se veulent scientifiques. La démarche est d’abord médicale : réparer l’organisme déficient, de façon technique, comme une chose dont la connaissance peut être maîtrisée. La deuxième démarche est pédagogique : apprendre à l’enfant un langage auquel il ne parviendra pas sans un long travail. Le langage est ici considéré comme une fonction supérieure dans l’évolution des êtres vivants, qui fait de l’humain un animal particulier, et non comme une structure qui différencie a priori l’humain du règne animal.

En tant que mère d’enfant sourd, ce sont mes fantasmes de dressage et d’autres images d’animaux, survenus au début de la rééducation qui m’ont alertée. En élaborant mon angoisse et ma résistance au deuil de l’enfant entendant d’une part, et en écoutant le discours professionnel d’une place progressivement moins soumise d’autre part, j’y ai repéré les indices d’une violence, difficile à démasquer dans un milieu pétri de bonnes intentions. Mon observation de certains enfants dits réussis, ma rencontre avec certains adultes dits intégrés, mes contacts avec de nombreuses familles, m’ont confirmé le pouvoir quasi absolu du monde professionnel de l’éducation et ses effets.

En tant que psychothérapeute, confrontée au problème des patients (entendants)dont la vie psychique fait un avec le conscient, pour qui les mots sont seulement ce qu’ils sont, qui ne rêvent pas et ont peu d’affects, je me suis intéressée à la théorie de Sami-Ali. Son concept de projection sensorielle primordiale du corps propre à la base de l’imaginaire me paraît pertinent pour penser le fondement de la vie psychique. La pathologie de l’adaptation telle que Sami-Ali la décrit, serait liée à l’absence de projection et de fonction imaginaire. Elle s’origine dans une relation précoce environnement-nourrisson marquée par le non-respect du corps propre de l’enfant, notamment sa biologie. Le fonctionnement psychosomatique qui en découle est régi par un surmoi corporel, interdisant toute créativité. Notre contexte socioculturel, dont la rééducation de l’enfant sourd est issue, favorise, à mes yeux, cette pathologie dramatique de l’être. Je n’ai pas voulu montrer la proportion de sourds affectés, n’étant ni en position scientifique, ni en position éthique de le faire.