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La concertation, un art de l’insuffisance

L’élaboration des projets d’urbanisme doit respecter des formes de publicité et de concertation sur lesquelles le juge administratif est souvent amené à se prononcer. Mais les querelles de procédure cachent des conflits sur les décisions d’aménagement et les entorses à la concertation ne sont pas toujours innocentes.

Jean-Pierre Demouveaux

1997

L’élaboration des projets d’urbanisme doit respecter des conditions de publicité et de concertation voulues par le législateur. C’est souvent sur la validité des formes de cette concertation que le juge administratif est amené à se prononcer. Mais les querelles de procédure cachent des conflits sur les décisions d’aménagement et les entorses à la concertation ne sont pas toujours innocentes.

Forte de ses traditions jacobines, l’administration française, qu’elle soit locale ou nationale, n’est guère douée pour les pratiques de concertation. Lorsque celles-ci sont devenues, par la volonté du législateur, une nécessité procédurale en matière d’urbanisme, elle a manifesté dans leur mise en œuvre une mauvaise grâce patente.

Il s’en est suivi un écart croissant entre le terme ” concertation ” tel qu’il est couramment compris dans notre langue (préparation en commun, action menée de concert), et la concertation au sens de l’article L. 300-2 du Code de l’urbanisme (voir encadré). Celle-ci ne constitue bien souvent qu’une modalité de présentation des projets avec maquette et panneaux explicatifs, identiques à celles que les communes ont l’habitude d’organiser dans le cadre de leur politique de communication. Elle ne s’en distingue le plus souvent que par la présence à l’entrée de la salle d’exposition d’un registre d’observations.

L’importance du décalage entre la signification courante du terme et sa traduction juridique a déjà été signalée par les commentateurs1. Est-elle un mal ? La concertation en matière d’aménagement a rencontré dès sa naissance des adversaires résolus2, et l’on peut plaider aisément en faveur d’une compétence non partagée des décideurs locaux, tant la clarté y gagne ainsi que les bienfaits qui s’attachent en démocratie à l’affirmation nette des responsabilités de chacun. Ne peut-on également être optimiste quant aux effets des nouvelles procédures participatives, et soutenir comme J.-C. Hélin que, malgré toutes leurs imperfections, elles ” ne relèvent pas de l’art du mouvement immobile “, mais suscitent au contraire, ” derrière le maintien de la tradition juridique sur la théorie de la compétence, un changement très important “3 ?

Un accord a fini par se réaliser sur l’article L. 300-2 du Code de l’urbanisme. Il n’est pas envisagé actuellement d’en modifier la rédaction de manière à le rendre plus précis ou contraignant, et la promulgation de la Charte de la concertation4 témoigne du souci de l’administration d’agir par l’incitation plutôt que par la contrainte réglementaire. C’est là une prudence qui s’explique : l’article L. 300-2 est certes obscur et incertain, mais il est en même temps respecté à raison même de cette obscurité et de cette incertitude. L’imprécision dans les termes qui le caractérise a permis que s’échafaude une sorte de compromis entre d’une part les virtualités hyper-démocratiques du terme de concertation, grâce auxquelles des progrès jurisprudentiels sont toujours possibles, et avec eux les ” changements très importants ” constatés par M. Hélin, et d’autre part les limites apportées à cet élan par les dispositions mêmes du Code de l’urbanisme, lesquelles ne sont pas de nature par leur imprécision et leur ambiguïté à effrayer quiconque.

Bref et obscur

Ce compromis est-il si satisfaisant et fragile qu’il ne faille pas chercher à l’altérer, les pouvoirs publics devant se borner désormais à proposer des chartes et à enregistrer les évolutions jurisprudentielles ? Devons-nous réhabiliter l’article L. 300-2, celui-ci miraculeusement et sans que personne ne l’ait souhaité, réunissant ainsi les qualités que Bonaparte assignait aux textes constitutionnels, à savoir d’être brefs et obscurs ? Ou bien, au contraire, convient-il de mettre l’accent sur le caractère à court terme démobilisateur pour les participants à la concertation d’un écart trop important entre les promesses du terme et les réalités de sa pratique ?

Nous nous proposons de répondre à cette question par l’examen successif de trois des problèmes que posent aux praticiens l’exercice de la concertation : son contenu, son calendrier et son bilan.

Les techniques législatives habituellement employées consistent à poser dans la loi un objectif général que tous doivent s’efforcer d’atteindre, quitte à laisser au pouvoir réglementaire le soin d’en fixer les modalités de réalisation. Telle n’a pas été la méthode employée par les auteurs de l’article L. 300-2 du Code de l’urbanisme. Ceux-ci ont préféré confier aux conseils municipaux la tâche de déterminer eux-mêmes, au cas par cas, les modalités concrètes de la concertation.

Observons que les élus sont dès lors libres de différencier, selon les catégories de personnes associées à la concertation, les modalités mêmes de cette association. Ils disposent notamment de deux possibilités : associer à l’élaboration du projet un nombre relativement restreint de personnes, de manière à ce que la concertation ainsi établie soit étroite, ou dispenser à la totalité des habitants de la commune des informations générales sur le projet, avec plus ou moins de parcimonie.

Selon la première modalité, nous avons affaire à une sorte de groupe de travail ou de commission municipale élargie, comprenant notamment des représentants du monde associatif ; avec la seconde, nous assistons à la naissance d’un troisième type d’enquête publique, moins formel, plus simple que ceux qui existent déjà dans les textes.

La première de ces voies est rarement adoptée dans la pratique. Les élus manifestent de grandes réticences à accueillir, dans les lieux où se prennent les décisions, des personnes autres que celles qui sont déjà associées à l’élaboration des documents d’urbanisme, notamment les personnes publiques visées à l’article L. 123-3 et les diverses notabilités du monde consulaire dont l’article R. 123-6 dresse la liste.

Cette situation s’explique aisément. D’une part, les administrations locales répugnent par principe à ouvrir leurs salles de réunion à des membres de la ” société civile “, car la neutralité politique de ces derniers et leur représentativité réelle peuvent toujours être contestées. D’autre part, le recours assidu aux tribunaux pratiqué par de nombreuses associations, agréées ou non, n’a pas contribué à l’amélioration de leurs liens avec les exécutifs locaux.

Enquête publique au rabais

La jurisprudence contrôle avec une grande vigilance le déroulement des procédures consultatives. Il faut y prendre garde. Un conseil municipal ne peut par exemple déléguer à son maire le soin de désigner les membres de la ” commission élargie ” instituée au titre de la concertation5, la composition de cette commission étant considérée comme un élément essentiel de la procédure. Comme par ailleurs les communes sont tenues au respect des modalités qu’elles ont elles-mêmes définies6, on peut dès lors penser qu’un vice dans le déroulement des réunions, tel le non respect des règles de quorum, serait susceptible de fausser la régularité de la concertation7.

Le risque contentieux pris par les communes en instituant une telle procédure peut ainsi être aussi important que celui assumé par elles lorsqu’elles instituent un groupe de travail pour l’élaboration de leur plan d’occupation des sols. Une telle perspective est plutôt effrayante, et n’est pas de nature à encourager les décideurs locaux à multiplier les instances de consultation.

Au vu des exemples jurisprudentiels, il ressort que, plutôt que de constituer un groupe de travail ou une commission municipale élargie, les communes préfèrent organiser une présentation du projet au public avec mise à la disposition d’un registre d’observations, ainsi éventuellement qu’une réunion contradictoire. Elles peuvent également diffuser des éléments d’information par voie postale8, le principe étant que toute transmission d’informations doit s’accompagner de la possibilité pour le public de faire connaître ses réactions9.

De telles pratiques peuvent paraître insuffisantes au regard de l’objectif assigné de démocratie participative. Elles ont pour effet de proposer au public une enquête publique au rabais, dépourvue de toutes les garanties procédurales que constituent la présence du commissaire-enquêteur, les formalités de publicité et la composition du dossier d’enquête, le seul avantage par rapport à l’enquête publique stricto sensu étant que la concertation se déroule à une phase antérieure de la procédure d’élaboration.

Niveau zéro de la concertation

Il paraît difficile à vrai dire de pousser les exigences de la concertation très au-delà du minimum ainsi défini : d’une part, le texte de l’article L. 300-2 ne prescrit rien de précis concernant le contenu de la concertation ; d’autre part, la seule décision juridictionnelle qui ait estimé insuffisante une concertation réduite à la distribution d’un bulletin municipal et à la présence d’un registre d’observations à la mairie10 a elle-même été annulée par le Conseil d’État11 (on pouvait estimer qu’en procédant de cette manière, la commune avait préservé la possibilité d’un échange contradictoire).

L’arrêt du Conseil d’État Commune de Savenay a eu en tout cas pour effet de fermer une partie du débat contentieux portant sur la concertation. Il est désormais établi que les communes ne sont pas tenues d’aller au-delà du diptyque ” information sur le projet - observations du public “. Nous sommes là bien sûr au niveau zéro de la concertation, aussi loin que possible de ce que serait un processus de codécision.

Un point reste à trancher, concernant cette fois-ci la qualité de l’information transmise. Il paraît normal que l’administration ne se rende pas coupable de rétention d’information. Elle doit porter au public tous les éléments qui sont en sa possession à un moment donné. Comme la concertation débute à un stade de l’élaboration du projet antérieur à l’enquête publique12, les documents fournis ne peuvent coïncider avec ceux qui doivent figurer dans un dossier d’enquête. Le projet, dans la mesure où il est encore inabouti et ouvert à la discussion, sera donc décrit sommairement (notices de présentation ” littéraires ” ou simple exposé d’intentions) ou de manière imagée (maquettes, représentations graphiques).

Le risque est qu’une commune, à cette phase de la procédure, ne soit tentée de dissimuler l’état de préparation réel du projet, et ne présente de celui-ci, sous prétexte d’inaboutissement, qu’une version imprécise ou édulcorée. Il est très difficile à des administrés, tenus à l’écart du calendrier d’élaboration d’un projet, d’apporter la preuve d’une telle dissimulation. C’est seulement lorsque le projet nécessite la rédaction d’une étude d’impact qu’il est possible de disposer à cet égard de repères précis susceptibles de constituer des éléments de preuve, tels que la date de réception de l’étude auprès des services municipaux ou sa mise à la disposition des membres du conseil municipal. Que se passe-t-il alors, si après l’une de ces dates, une réunion ou une exposition a lieu au titre de la concertation sans que le public ait pu au cours de celle-ci prendre connaissance de l’étude ?

Nous ne disposons sur ce point d’aucune jurisprudence. Le tribunal administratif de Nice a, il est vrai, trouvé dans la directive européenne du 27 juin 1985 de quoi fonder l’obligation d’une mise à la disposition du public de l’étude d’impact, lorsque ce public est consulté dans le cadre d’une ” procédure légale d’enquête ou de concertation “13. Mais le Conseil d’État a par la suite annulé ce jugement, sans toutefois prendre position sur la question de droit ainsi soulevée14. Les commentateurs du jugement n’ont guère été convaincus par le bien-fondé du raisonnement suivi à cette occasion par le tribunal15, et à vrai dire nous ne le sommes pas davantage. En employant une expression d’acception volontairement large, telle que ” procédure légale d’enquête ou de concertation “, il ne semble pas en effet que les auteurs de la directive aient entendu signifier que, lorsqu’il existe dans une législation nationale des procédures distinctes de concertation et d’enquête publique, les obligations mises à la charge de l’administration pour la conduite de chacune de ces deux procédures doivent nécessairement être identiques. Il suffit, pour que les orientations de la directive soient respectées, de mettre une étude d’impact à la disposition du public, soit lors de la concertation, soit lors de l’enquête publique. Tel est bien ce que prévoient nos textes. Le respect des directives communautaires ne rend donc pas nécessaire sur ce point une inflexion de la jurisprudence.

Il reste à se demander si la pratique qui consiste à organiser une seule réunion au titre de la concertation, et à ne pas rendre publique au cours de celle-ci l’étude d’impact, alors même que la commune dispose de ce document, est bien fidèle à l’esprit de la concertation, telle qu’il résulte des dispositions de l’article L. 300-2.

On est tenté de répondre par la négative. D’une part, au moment où la commune reçoit livraison de l’étude, on peut considérer que le projet est abouti, que son élaboration a pris fin, et qu’il ne reste plus qu’à l’approuver. à quoi bon alors engager une concertation à ce stade ultime de la procédure ? D’autre part, l’information du public sur le projet doit être, sinon exhaustive, du moins ne pas être en deçà de celle qu’autorise la loi sur la communication des documents administratifs. Dans le cas cité notamment, la commune devrait livrer au public, sinon l’étude elle-même, au moins le résumé de ses principales constatations, faute de quoi la concertation risque de n’être qu’un jeu d’ombres, a fortiori s’il apparaît que celle-ci n’a pas commencé en amont.

Mais quoi que l’on puisse dire sur un plan d’opportunité, il est risqué, en l’absence de textes précis, de prédire quel serait le sens d’une future jurisprudence portant sur les documents et informations légalement exigibles au titre de la concertation.

Calendrier et phasage

Totalement muet sur ce qu’il est normal d’attendre de la part des communes s’agissant du contenu de la concertation, le texte de loi l’est un peu moins concernant son calendrier et son phasage.

L’article L. 300-2 dispose ainsi que la concertation doit associer les personnes concernées ” pendant toute la durée de l’élaboration du projet “. Au cours des travaux et débats parlementaires, le rapporteur du projet de loi devant l’Assemblée nationale avait de son côté ajouté les précisions suivantes : ” Le conseil municipal doit prendre la responsabilité de déterminer le champ de la concertation […] pendant tout le processus de conception et de mise en œuvre de son opération d’aménagement “, la concertation étant nécessaire ” à tous les stades de l’opération “. D’autre part, ” les habitants, les propriétaires et les occupants concernés par un projet doivent pouvoir s’exprimer le plus en amont possible “16.

Il suit de là que la procédure de concertation doit être engagée dès que la décision de principe est prise d’instruire et de mettre à l’étude le projet d’aménagement, lorsque celui-ci n’est pas arrêté ” dans sa nature et ses options essentielles “, et qu’il peut donc être modifié au vu des résultats de la concertation, sans formalités particulières.

Concrètement cela voudra dire que s’agissant d’une création de ZAC, il convient d’engager la concertation avant le dépôt de l’étude d’impact ; s’agissant de la réalisation d’un ouvrage d’infrastructure, avant l’approbation de l’avant-projet sommaire, l’établissement des marchés de maîtrise d’œuvre et les déclarations d’utilité publique17 ; s’agissant d’une approbation de POS, avant la date à laquelle le projet est arrêté ; et enfin s’agissant d’une modification de POS, avant le début de l’enquête publique18.

La jurisprudence offre il est vrai de nombreux exemples d’opérations de concertation ramassées sur une durée très brève ne coïncidant pas à l’évidence avec ” la durée d’élaboration du projet “19. On peut, pour justifier ces solutions très critiquées par la doctrine, avancer les deux arguments suivants : d’une part les procédures ainsi conduites ont pu concerner des projets de faible ampleur20, et dans ce cas le juge administratif fait application du principe de proportionnalité. D’autre part, face à une situation dans laquelle les communes peinent à venir à bout des contraintes juridiques qui leur sont imposées, le juge doit, à moins de vouloir toujours tout annuler, affirmer des priorités. à ce titre, plus importante que la durée de la concertation est la possibilité effective de tenir compte des résultats de celle-ci dans la conception du projet. Or, pour parvenir au but ainsi fixé, il convient que la concertation soit engagée très tôt, quitte éventuellement à ce que les conclusions utiles en soient rapidement tirées par l’aménageur.

Présentation du bilan

Quelle doit être l’issue d’une concertation ? Pas plus qu’en matière d’enquête publique, l’autorité administrative n’est liée par les réponses apportées par le public21. Mais de manière analogue, là encore, avec le contentieux de l’enquête publique, des modifications ne peuvent être apportées au projet, une fois close la procédure de concertation, que si ces modifications ” n’affectent ni la nature ni les options essentielles de l’opération d’aménagement envisagée “22. Si tel n’est pas le cas, le projet doit être soumis à une nouvelle concertation, celle-ci pouvant d’ailleurs consister en une seconde enquête publique23.

Les principes ainsi posés sont d’origine prétorienne. Leur application peut donc être très souple, ainsi d’ailleurs que le manifeste l’arrêt du Conseil d’État du 5 octobre 1990, Association de défense des propriétaires, commerçants, industriels, artisans et occupants des ZAD de Levallois-Perret. Il n’en est pas tout à fait de même de la manière dont doit être dressé le bilan de la concertation. L’article L. 300-2 pose en effet sur ce point des prescriptions précises bien que difficilement interprétables : il dispose qu’à l’issue de la concertation, ” le maire en présente le bilan devant le conseil municipal qui en délibère “, et qu’ensuite ” le dossier définitif du projet est arrêté par le conseil municipal et tenu à la disposition du public “.

Les organes exécutifs ont adopté une pratique qui consiste à faire coïncider l’issue de la concertation décrite ci-dessus avec l’approbation finale du projet. Au cours de la même séance, il est procédé à l’adoption du bilan de la concertation et à l’approbation du projet, étant entendu que cette phase correspondrait à ce que l’article L. 300-2 nomme ” l’arrêt du dossier définitif “.

Certains tribunaux administratifs ont fait une lecture plus rigoureuse de ces dispositions. Ils ont considéré que la procédure décrite par l’article L. 300-2, qui concerne uniquement l’issue de la concertation, devait être distinguée de la procédure d’approbation du projet, et ne saurait, à peine d’illégalité, se confondre totalement avec elle24.

Cette lecture suppose, conformément à une stricte logique juridique (qui n’a sans doute pas été clairement perçue par le législateur) que, notamment lorsqu’il s’agit d’un POS ou d’une ZAC, l’on attache un sens différent aux expressions : ” arrêter le dossier définitif ” et ” approuver le projet “. Elle suppose également qu’entre la délibération sur le bilan et l’arrêt du dossier d’une part et l’approbation du projet d’autre part, doit s’écouler un certain temps, pendant lequel le dossier, arrêté mais en instance d’approbation, est tenu à la disposition du public.

Rédaction maladroite

C’est là une lecture formaliste, pour un texte dont on peut simplement estimer qu’il a été maladroitement rédigé. Elle présente l’avantage de donner toute son importance à cette phase délicate de la concertation, qui est le bilan qu’il convient d’en tirer. Approuver le projet immédiatement après que ce bilan soit dressé implique qu’il n’est tenu aucun compte de celui-ci dans le contenu du projet, ce qui revient à consacrer la totale inutilité de la procédure ainsi suivie. Ne tenir à la disposition du public le dossier définitif qu’une fois celui-ci clos et approuvé constitue pour les documents d’urbanisme une formalité superfétatoire, car il existe déjà pour ces textes des formalités d’affichage et de publication. Le public par ailleurs n’est pas mis à même, dans cette hypothèse, de vérifier par lui-même les incidences spécifiques sur le projet de la concertation à laquelle il a été associé.

Nous ne disposons, sur l’interprétation qu’il convient de faire de ces dispositions, d’aucune jurisprudence fermement établie, les tribunaux administratifs comme la doctrine étant en désaccord. L’on ne peut donc qu’attendre avec intérêt la lecture que le Conseil d’État devrait être appelé à faire.

Lecture timide

D’autres questions demeurent sans réponse : le bilan doit-il être sincère et faire état notamment des observations défavorables ? Le conseil municipal doit-il débattre de ce bilan ou simplement l’approuver sans qu’une discussion ait eu lieu ? Dans quelles conditions et pendant combien de temps le dossier définitif doit-il être mis à la disposition du public ? Comment informer le public de cette mise à disposition ? On devine bien ce que devrait faire un conseil municipal soucieux de la concertation la plus complète et la plus authentique. On perçoit plus mal ce qu’il lui est absolument interdit de faire, sous peine d’annulation.

Tirons pour finir un bilan provisoire de la concertation au sens de l’article L. 300-2 du Code de l’urbanisme. Contrairement à ce qui s’est produit avec la loi Littoral, laquelle se caractérise elle aussi par une rédaction imprécise et l’absence de décrets d’application, la justice administrative a dans l’ensemble fait une lecture minimaliste, parfois excessivement timide, des dispositions de l’article L. 300-2.

Une partie de la doctrine s’irrite de cette timidité25, car celle-ci conforte les décideurs locaux dans leur hostilité naturelle à la démocratie participative, et elle ne les incite pas à innover en ce domaine. Il faut reconnaître que les sombres prédictions faites par Antoine Givaudan en 1986 se sont en partie vérifiées, notamment lorsqu’il exprimait la crainte que ” des processus qui auraient été fructueux ne se transforment ou ne se réduisent en rituel formel de respect de la loi, pour échapper à la censure du juge “26.

On peut toujours répondre à cela que la jurisprudence évolue, et notamment que les arrêts Roncari27 ou Commune de Savenay28, qui constituent le point extrême de l’indulgence du juge à l’égard des procédures de concertation négligemment conduites, ne laissaient nullement présager l’arrêt de section Aquitaine Alternatives29, qui a au contraire contribué à ” singulièrement et vigoureusement animer ” une jurisprudence jusque là ” impressionniste “, et, par les ” critères assez stricts ” qu’il pose, incite désormais les aménageurs à ” une extrême vigilance quant à la gestion du calendrier des projets en cause “30.

Si l’on tente par ailleurs une comparaison avec l’autre procédure participative appliquée en matière d’aménagement, à savoir l’enquête publique, qui, à la différence de la concertation, présente les avantages d’une partie réglementaire riche et d’une jurisprudence stabilisée, ce n’est pas forcément cette dernière qui l’emporte. La concertation, si elle est bien et loyalement menée, offre, de par son cadre souple et ouvert aux innovations, des possibilités autrement riches de débattre des problèmes que le rituel, maintenant bien vieilli, de l’enquête publique. Pour un praticien du droit, le contentieux de la concertation est lui aussi bien plus amusant et attractif que celui de l’enquête publique. Si l’on ne peut voir que des avantages à disposer d’un article L. 300-2 mieux rédigé que cela n’est le cas actuellement, il n’est donc pas évident que nous gagnerions beaucoup à ce qu’il soit flanqué d’une longue série d’articles réglementaires.

Par-delà l’attentisme des uns et l’impatience des autres, nous conclurons donc cet examen de l’article L. 300-2 par une appréciation modérément positive. Le bilan n’est certes pas éclatant, mais, compte tenu du climat de polémique et de méfiance qui divise actuellement les acteurs de l’aménagement et qui fait obstacle dans la plupart des cas à toute collaboration féconde, était-il possible d’espérer davantage ?

Il serait illusoire de faire croire à un aménageur qu’une concertation loyalement menée désamorcera ou préviendra les problèmes contentieux futurs. Elle constitue bien plutôt pour le contentieux futur une sorte de course d’entraînement, et dans ce contexte, quelle que soit la manière dont elle se sera déroulée, elle sera toujours qualifiée d’insuffisante par les adversaires du projet.

Pour les acteurs qui la mènent, et tant que ceux-ci ne seront pas associés dans un processus de codécision, la concertation en matière d’aménagement est donc vouée à demeurer pour longtemps encore un art de l’insuffisance…

Article L. 300-2 du Code de l’urbanisme

” I. - Le conseil municipal délibère sur les objectifs poursuivis et sur les modalités d’une concertation associant, pendant toute la durée de l’élaboration du projet, les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées dont les représentants de la profession agricole, avant :

” a) toute modification ou révision du plan d’occupation des sols qui ouvre à l’urbanisation tout ou partie d’une zone d’urbanisation future ;

” b) toute création, à son initiative, d’une zone d’aménagement concerté ;

” c) toute opération d’aménagement réalisée par la commune ou pour son compte lorsque, par son importance ou sa nature, cette opération modifie de façon substantielle le cadre de vie ou l’activité économique de la commune et qu’elle n’est pas située dans un secteur qui a déjà fait l’objet de cette délibération au titre du a ou du b ci-dessus. Un décret en Conseil d’État détermine les caractéristiques des opérations d’aménagement soumises aux obligations du présent alinéa.

” Les autorisations d’occuper ou d’utiliser le sol ne sont pas illégales du seul fait des vices susceptibles d’entacher cette délibération ou les modalités de son exécution. à l’issue de cette concertation, le maire en présente le bilan devant le conseil municipal qui en délibère.

” Le dossier définitif du projet est alors arrêté par le conseil municipal et tenu à la disposition du public.

” II. - Lorsque la commune fait partie d’un établissement public de coopération intercommunale, auquel elle a délégué compétence pour conduire l’une des opérations mentionnées ci-dessus ou qui est compétent en cette matière de par la loi, cet établissement est tenu aux mêmes obligations qu’il exerce dans des conditions fixées en accord avec la commune.

” III. - Les autres personnes publiques ayant l’initiative d’opérations d’aménagement sont tenues aux mêmes obligations. Elles organisent la concertation dans des conditions fixées en accord avec la commune. ”

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1. Notamment C. Huglo et I. Cassin : ” La concertation en matière d’aménagement “, Petites Affiches, 18 mars 1994, p. 9.

2. A. Givaudan : ” Prolifération des enquêtes publiques et régression de l’État de droit “, Revue française de droit administratif, 1986, p. 247.

3. J.-C. Hélin : ” La participation des citoyens aux politiques urbaines d’environnement “, Droit et Ville, 1996, n° 46, p. 125.

4. Charte de la concertation, 5 juillet 1995, Le Moniteur des TP, 12 juillet 1995, p. 259.

5. CE 24 mai 1995 Ville de Meudon, req. 150 360, BJDU, 1995, p. 291, concl. Bachelier ; JCP 1995, éd. G, IV, 1779 ; Petites Affiches 18 déc. 1995, p. 13 ; Dr. adm. 1995, comm. 553 ; Gaz. Pal. 1996, Pan. Dr. Adm. p. 18.

6. TA Versailles 25 mai 1993 Comité de défense de Houilles, Études foncières n° 60, sept. 1993, p. 42, note Lamorlette.

7. Par analogie avec les règles applicables aux groupes de travail chargés de l’élaboration des POS (CE 2 décembre 1991, Mme Noël, tables p. 669).

8. TA Nice 20 juillet 1988 Assoc. pour la sauvegarde du site de Gassin, cité par J. Morand-Deviller, in Droit et Ville n° 36, p. 27.

9. TA Paris 11 mars 1993 Assoc. La Bellevilleuse, cité par G. Liet-Veaux, in Juris-Cl. administratif, Fasc. 420, n° 36 ; concl. Bachelier, sous CE, Ville de Meudon, précité.

10. TA Nantes 13 décembre 1990 M. et Mme Kerbriand ; Droit administratif 1991 comm. 205.

11. CE 13 février 1992 Cne de Savenay, req. 122786.

12. TA Versailles 17 mars 1992 Assoc. Vivre à Montry, req. 91-3236.

13. TA Nice 3 décembre 1992 Lefèvre et autres, req. 92 3071.

14. CE 31 mars 1995 Commune de Sanary-sur-Mer, req. 145 041.

15. C. Huglo et I. Cassin, précité.

16. JO Débats AN, séance du 21 juin 1984.

17. CE Sect. 6 mai 1996 Association Aquitaine Alternatives, à paraître au Recueil ; JCP 1996, éd. G, IV, 1911, obs. Rouault ; Dr. adm. 1996 comm. 461, note Lamorlette ; Études foncières n° 73, décembre 1996, p. 44 ; RJE 1996, p. 366 ; concl. Piveteau, CJEG, janvier 1987, p. 9.

18. TA Versailles 17 mars 1992 Association Vivre à Montry, req. 91-3236.

19. TA Nice 20 juillet 1988 Association de sauvegarde de protection du site de Gassin ; CE 5 octobre 1990 Assoc. de défense des propriétaires, commerçants, industriels, artisans et occupants du secteur n° 9 des zones d’aménagement différé de Levallois-Perret, req. 101698 ; CE 24 février 1993 M. Roncari, req. 116219 ; commenté par H. Fabre-Luce in ” Requiem pour la concertation “, Études foncières n° 61, déc. 1993, p. 21.

20. TA Paris 30 avril 1990 M. Marchand ; Rec. TA p. 459 ; CE 24 février 1993 M. Roncari, op. cit.

21. CE 3 décembre 1993 Ville de Paris c/ M. Parent, Rec. p. 340.

22. CE 18 mars 1994 Copropriété Le Melchior, tables p. 1244.

23. CE 5 octobre 1990 Association de défense des propriétaires, commerçants, industriels, artisans et occupants du secteur n° 9 des zones d’aménagement différé de Levallois-Perret, précité.

24. TA Nice 5 juillet 1989 Syndicat de défense du Cap-d’Antibes, req. 821-89 ; TA Versailles 27 septembre 1994 Renard ; Droit et Ville n° 39, p. 260 ; Études foncières n° 66, p. 52 ; Gaz. Pal. 1995, Pan. Dr. Adm. p. 14 ; Quot. jur. 6 juillet 1995, note Morand-Deviller.

25. J. Morand-Deviller : ” La procédure de création de ZAC “, in Droit et Ville 1993, n° 36, p. 28 ; C. Huglo et I. Cassin, op. cit., p. 14 ; H. Fabre-Luce, op. cit.

26. op. cit. p. 249

27. CE 24 février 1993 M. Roncari, précité.

28. CE 13 février 1992 Commune de Savenay, précité.

29. CE Sect. 6 mai 1996 Assoc. Aquitaine Alternatives, précité.

30. Note de B. Lamorlette, in Dr. Adm. 1996 comm. 461.

dosier

Droit de l’urbanisme en milieu urbain.

Fuente

Etudes foncières

menciones legales