Saïd Kamel est enseignant-chercheur en sciences de la Terre à l’université Moulay Ismail de Meknès, mais également un militant associatif très actif. Sous sa casquette de Président de l’Association des Populations de Montagne du Maroc, il nous parle ici de la problématique du cannabis dans les montagnes rifaines.
Quand Rif rime avec Kif
Le dur climat de ses montagnes, leurs pentes très marquées, ainsi que leurs précipices, font du Rif marocain une région peu propice à l’agriculture. Pourtant, le cannabis y a trouvé sa place depuis le 16e siècle. Sa culture est traditionnellement limitée à cinq villages et il est utilisé à des fins médicales et artisanales (il produit une excellente fibre textile), voire religieuses chez les musulmans adeptes du soufisme. Son nom lui-même l’indique : « cannabis » vient de l’arabe kanneb, qui n’est autre que « la corde ».
Toutefois, la protection de la culture du chanvre par un cadre juridique sous les occupations espagnole et française, puis sa légalisation par la Régie du Tabac et du Kif, société à capitaux français, ont encouragé une grande partie de la population à se convertir à la production de cannabis, au préjudice d’hectares de forêt abattus. Cette plante, dont l’usage s’est alors progressivement réduit à la fabrication de hachisch, était - et reste - bien plus rentable qu’une autre culture traditionnelle.
Avec le temps, le cannabis a fait l’objet d’une interdiction graduelle, puis complète en 1956 lors de l’Indépendance du Maroc, alors même que l’arrivée du mouvement de libération des mÅ“urs « hippie » en Europe faisait exploser la demande en hachisch.
Stigmatisation, marginalisation et répression
Aujourd’hui, le Rif dédie 27% de sa superficie agricole utile à la culture du cannabis, lui-même destiné à être transformé en résine et vendu sur le marché international des drogues. Le Maroc s’est ainsi converti en fournisseur numéro 1 de l’Union Européenne, générant une quantité monstre de devises. Et pourtant, la misère perdure… pour le moins chez le cultivateur, producteur la plupart du temps de toutes petites quantités, tandis que trafiquants et autorités locales s’enrichissent à millions.
Les conséquences de ce commerce sur la société rifaine sont graves et multiples. Dans cette société déjà enclavée géographiquement et marginalisée socialement, absolument dépourvue d’infrastructures de base, le fossé qui se crée est chaque fois plus grand entre le cultivateur et l’intermédiaire. La pyramide sociale se voit ainsi bouleversée, et les liens communautaires traditionnels oubliés. D’autant plus que l’argent généré est très souvent utilisé pour accéder à la « vie moderne », quand il pourrait servir à faire baisser le taux d’analphabétisme. Et la situation n’ira pas en s’arrangeant, car aucune réelle alternative économique et sociale n’a été proposée.
Les « arrivistes », qualificatif qu’utilise notre interlocuteur pour faire référence à toutes ces personnes qui gagnent de l’argent sur le dos des cultivateurs, ont véhiculé une image négative du producteur de chanvre, qui se voit stigmatisé et criminalisé. Aujourd’hui, qui dit producteur de cannabis dit producteur de drogue. Avec les campagnes d’éradication mises en place par le gouvernement marocain - le cannabis a été classé parmi les plantes illicites, rappelons-le -, les producteurs vivent constamment dans la peur, ils sont victimes de harcèlement, de menaces et de la pression de représentants d’une autorité locale entachée par la corruption et la soif de pouvoir. S’y ajoute enfin un problème environnemental. La hausse de la demande en haschich, et la conséquente hausse des besoins en espaces à cultiver, sont à l’origine de la destruction de centaines d’hectares de forêts et de la faune qui s’y abritait.
Que les arrivistes décampent !
L’Association des Populations de Montagne du Maroc, organisme fédéré de l’Association française des Populations de Montagne du Monde (APMM), naît en 2007 suite à la Première Rencontre des Populations de Montagne d’Afrique du Nord organisée à Nador (Maroc) en 2006. Elle milite autour de quatre axes : la défense des droits et intérêts du montagnard marocain, la réalisation de projets de développement, la gestion des ressources naturelles, la préservation du patrimoine culturel montagnard.
Saïd Kamel en est le président. Il n’est nullement expert sur le sujet du Kif, il n’est pas non plus producteur, et ne joue aucun rôle au niveau de la chaîne de transformation/commercialisation du hachisch. Toutefois, lors d’une rencontre régionale sur la situation des montagnards du Rif, il se rend compte que l’un des sujets les plus épineux, un de ceux qui préoccupent le plus les Rifains, est la question du cannabis. Il faut selon lui défendre le petit exploitant. Les campagnes d’éradication des plantations destinées à être transformées en drogue, il n’est pas contre, mais tant qu’elles sont étroitement supervisées et ne s’effectuent pas de façon aléatoire. Par exemple, selon lui, les petites exploitations traditionnelles et ancestrales ne doivent pas être affectées, car le chanvre fait partie de la biodiversité marocaine et constitue la base de leur économie et de certaines pratiques culturelles et religieuse : c’est un vrai patrimoine.
Il est difficile pour le moment de voir le résultat de son action, l’APMM-Maroc étant une organisation très jeune. Mais dans le cas du Rif marocian, elle prétend travailler sur la récupération de ce patrimoine via :
1. Une étude approfondie et une formation aux usages ancestraux du cannabis, qui permettent de procurer aux petits agriculteurs une alternative digne au hachisch. La difficulté est que ce travail doit évidemment aller de pair avec une reconnaissance de la part du gouvernement que le cannabis peut aussi être une production licite.
2. La légalisation de la commercialisation du cannabis sous forme de coopérative, ce qui permettrait d’avoir un contrôle sur les quantités produites et les usages qui en sont faits.
Des forums régionaux
Aujourd’hui, Saïd Kamel dit avoir beaucoup appris de cette rencontre mondiale, de ses compagnons asiatiques et latino-américains, et il lui tarde d’aller transmettre le message dans les montagnes du Rif, d’expliquer comment, ailleurs, les producteurs s’organisent. Il a d’ailleurs l’idée de reproduire ce Premier Forum Mondial des Producteurs de Cultures Déclarées Illicites à l’échelle marocaine, afin de pouvoir aborder des aspects plus spécifiques et caractéristiques du cannabis. Bientôt, le cannabis sera reconnu comme une ressource de plus, et les paysans pourront vivre sans crainte, fiers d’être montagnards. Alors seulement, le Rif pourra connaître un développement pacifique et durable.
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, Marruecos
Foro Mundial de Productores de Cultivos Declarados Ilícitos
Entretien réalisé durant le premier Forum mondial des Producteurs de Cultures déclarées Illicites, 29-31 janvier 2009, Barcelone.
Entrevista
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