Abdelatif, agriculteur originaire de Ketama et issu d’une famille de cultivateurs de cannabis, s’émeut de la situation actuelle de sa communauté. Il se rappelle le kif (mélange de tabac et de résine de cannabis) de son enfance et vient dénoncer l’inaction de son gouvernement.
Les usages traditionnels du chanvre (nom commun du cannabis)
Au tout début, le cannabis était cultivé dans cinq villages du Nord du Maroc. Ketama était l’un d’entre eux. Dans un coin bien gardé du village, on pouvait en respirer l’odeur, et observer le chef d’orchestre commencer son rituel : il déplie et nettoie son sebsi, extrait les graines de la plante pour en fumer le reste, à l’état pur. Un rituel particulier réservé aux extravagances des artistes.
La graine, elle, était sacrée. Pour les enfants, c’était une délicieuse friandise, alors que pour leurs parents, c’était le pain quotidien. Avec une partie de ces graines, en effet, se fabriquait la farine ; avec l’autre, la production de l’année suivante était assurée.
Hormis le pain, on savait lui donner d’autres usages tels que la fibre textile, la fabrication d’huile pour les lampes, de cordes, de voiles pour les bateaux ou même encore de papier. En 1450 déjà, Gutenberg imprimait la première Bible sur du papier de chanvre. Mais l’usage sans doute le plus courant du chanvre était médicinal.
Il n’y a pas de doute, le cannabis était un élément plus que signifiant dans l’économie domestique de ces villages, enclavés géographiquement, mais dont le climat et les sommets extrêmes favorisaient l’épanouissement de cette plante et rendaient difficile celui de toute autre.
En liberté conditionnelle
Malgré tout, la marginalisation est dure à vivre, et les désastres provoqués par le processus de décolonisation augmentent les besoins des foyers. La région de Ketama ne dispose que d’une seule route goudronnée, qui n’aurait même pas été réhabilitée l’an dernier si elle n’avait été le chemin obligatoire pour aller du Nord central au Sud du Maroc. Il n’y a pas de centres de santé, pas d’école décente, pas de moyens de communication ni d’électricité dans la majorité des maisons. Pas d’infrastructures de base. Ni l’ONU, ni l’Union européenne, ni le Maroc lui-même n’offrent d’alternatives valables.
Face à cette situation, à la concurrence des grandes parcelles, et au vu de la demande extérieure, les cultivateurs de cannabis de ces régions historiques n’ont d’autres alternatives que de rentrer eux aussi dans la chaîne de production de drogue. Se crée alors une série interminable de conflits, à plusieurs niveaux. Au sein des familles elles-mêmes, des tensions apparaissent du fait de la crainte de la répression, et le noyau familial se démantèle au fur et à mesure que ses membres sont emprisonnés. Abdelatif se souvient encore du jour où il a dû abandonner la Faculté de Droit pour rentrer chez lui aider sa mère et ses deux belles-sœurs, en difficulté suite à l’emprisonnement de ses deux frères. Sa carrière s’est arrêtée ce jour-là.
La solidarité, principe fondateur des populations de cette région issues de systèmes tribaux, se perd aussi. La culture du cannabis est devenue un moyen de chantage entre voisins, un moyen de satisfaire une vengeance, ou encore une façon de se sauver de la répression en collaborant avec les autorités, en dénonçant des propriétaires plus grands… tout ça pour que finalement seuls les grands « barons de la drogue » en touchent les profits.
Les Ketamis vivent aujourd’hui en liberté provisoire, constamment soumis à la crainte de la répression et enfermés dans leur maisons pour ne pas se faire repérer. Malheureusement, cette anarchie, puis les guerres successives dont le Rif à fait l’objet, ont mis complètement fin aux usages traditionnels du cannabis et entraîné une perte – sans retour ? - de ce savoir-faire ancestral. Pour ces agriculteurs, cultiver le chanvre incarnait autrefois la fierté de conserver les traditions familiales. Cette culture est aujourd’hui réduite au statut d’acte illicite, indigne et honteux.
Des dossiers qui n’avancent pas
Abdelatif est membre fondateur et président de l’Association pour le Développement du Haut Rif Central, créée en 1999 afin de sensibiliser les autorités nationales et les organismes internationaux à la situation du Rif et de ses habitants.
Dans ce cadre, il a voulu attirer l’attention sur le fait que, oui, il faut éradiquer les champs de cannabis plantés autour des zones traditionnelles et destinés au trafic de drogue ; mais certainement pas sans proposer une alternative économique et sociale, une alternative intégrale et intégrée, et, surtout, adaptée aux difficultés du terrain (climats, isolement, etc.). Des rapports ont en effet démontré qu’il est absolument réducteur d’aborder le problème de la culture du cannabis depuis un point de vue strictement agricole.
De façon surprenante mais réjouissante, l’Association a réussi à signer un partenariat avec l’Agence Nationale pour le Développement du Nord, qui a abouti quelques mois plus tard à une étude adaptée des possibles alternatives, étude qui semble prendre en compte un nombre important de facteurs : la santé, l’éducation et la formation, l’environnement, la question de genre… A partir de cette étude, de nombreux projets de développement furent ficelés : 15.000 arbres fruitiers et 600 ruches furent été distribués à des agriculteurs préalablement formés ; des chèvres ont été données à des femmes seules, veuves, ou dont les maris sont emprisonnés.
Les agriculteurs se disaient prêts au changement. Cependant, le projet dut constamment faire face aux mafias de la drogue, qui n’ont aucun intérêt au changement. Ces dernières firent pression sur les agriculteurs, et leur mirent des bâtons dans les roues. Vint ensuite un abandon total de l’accompagnement promis par la Communauté européenne. Résultat : le projet fut un échec.
Ketama, comme l’ensemble des zones historiques, doit redevenir une zone traditionnelle de culture du cannabis. L’Etat doit aider à récupérer les savoir-faire traditionnels et à les transmettre. Il doit aussi désenclaver la zone en créant des routes et des infrastructures de base. « La population est prête, l’Etat doit agir ! Pourquoi ne pas voir le kif comme une alternative au kif lui-même ? »
Aujourd’hui, Abdelatif frappe du poing sur la table. Il veut comprendre pourquoi les mafias qui on fait échouer les projets n’ont pas été punies. Il veut comprendre pourquoi les autres projets qu’il a présentés aux autorités marocaines n’ont pas eu de suite. Il ne veut pas croire que la corruption est telle que même l’Etat se prête au jeu du dialogue de sourds. Son association est pour le moment en « stand by » faute de financement.
Entre blanc et noir son cœur balance. Même si le nouveau programme Méditerranée pour le Nord et la construction de la route entre Oujda et Tétouan sont un espoir de développement et d’investissements européens, notre interlocuteur est plutôt pessimiste. La poussée démographique l’effraie, et il juge qu’il faut agir avant que la situation ne soit irréversible. Cela fait longtemps maintenant qu’il a tiré la sonnette d’alarme, mais personne ne semble l’entendre.
cannabis, agricultura ilícita, agricultura tradicional, represión, montaña, comunidad campesina, droga, droga y violencia, producción de droga, tráfico de droga
, Marruecos
Foro Mundial de Productores de Cultivos Declarados Ilícitos
Entretien réalisé durant le premier Forum mondial des producteurs de cultures déclarées illicites, tenu du 29 au 31 janvier 2009 à Barcelone, Espagne.
Entrevista
ALMEDIO - 2, traverse Baussenque, 13002 Marseille, FRANCE Almedio Consultores. Norma 233, Maitencillo. Comuna de Puchuncaví. Va Región, CHILI - Fono: (56)32 277 2231 - Chile - www.almedio.fr - info (@) almedio.fr
CERAI (Centro de Estudios Rurales y de Agricultura) - C/ Del Justicia, nº 1, puerta 8, 46004 Valencia, ESPAÑA - Tel.: +34 963 52 18 78 - Fax: +34 963 52 25 01 - España - www.cerai.es - administracion (@) cerai.es