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Défis pour la généralisation de l’économie solidaire

Quelques réflexions

Judith HITCHMAN

04 / 2009

Cet article est inspiré par un certain nombre d’expériences et de réunions auxquelles j’ai récemment participé, notamment en tant qu’interprète. Ce sont des réflexions qui souhaitent attirer l’attention des lecteurs sur des défis inhérents au développement d’alternatives économiques dans le contexte des multiples crises mondiales actuelles.

Commerce équitable et achat local : en opposition ?

Un séminaire organisé par Max Havelaar France sur « les Territoires du Commerce Équitable » donne à réfléchir. Ce programme, qui bénéficie de subventions d’un programme Européen, utilise la définition suivante :

“Un Territoire du Commerce Équitable est une ville, village, pays, zone, île ou arrondissement qui s’engage à soutenir le Commerce Équitable et à utiliser les produits labellisés issus du Commerce Équitable. Tout territoire peut s’engager dans la démarche, qui se doit d’impliquer tout le monde !

Des associations locales, ONGs à affiliation religieuse, entreprises, écoles et individus contribuent tous à la construction d’un Territoire du Commerce Équitable, en s’engageant à faire de leur mieux pour soutenir le Commerce Équitable et à promouvoir la marque FAIRTRADE”.

Le commerce équitable, tout comme la nourriture biologique locale et la chaîne d’approvisionnement courte, voire directe, du producteur au consommateur pour les aliments ou les autres biens (en particulier les PSLPC : Partenariats Solidaires Locaux entre Producteurs et Consommateurs), constituent une tendance forte émergente aujourd’hui. Une différence entre ces deux concepts est que le premier est basé sur les critères spécifiques du Commerce Équitable (cf. les sites de Max Havelaar et de World Fair Trade Organisation - WFTO – autrefois IFAT), or le deuxième se trouve ancré dans les principes de la consommation responsable sur le plan local. Mais les deux éliminent les intermédiaires et visent à garantir des revenus corrects aux producteurs. Ceci signifie que le producteur gagne mieux sa vie qu’en vendant ses produits aux grandes surfaces (qui tentent de payer un minimum aux producteurs pour augmenter leurs marges avec un maximum de bénéfices). En agissant ainsi, la chaîne courte signifie que le consommateur s’y retrouve aussi, car le prix payé revient généralement, à peu de choses près, à celui que pratique l’économie conventionnelle. Et la qualité de la nourriture et des biens est bien meilleure.

L’autre aspect clé est le respect systématique des Conventions de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), ce qui garantit des conditions de travail décentes pour tous les producteurs. Et quand les personnes ont des salaires décents, l’obligation de prendre le chemin périlleux de la migration est souvent évitée. Ceci est d’autant plus vrai que la question de la souveraineté alimentaire est aussi placée au cœur de la politique gouvernementale de certains pays comme au Mali. Si nous tenons compte de tous ces aspects en achetant notre panier de fruits et de légumes de la semaine, cela semble un choix raisonnable d’équilibrer quelques bananes issues du Commerce Équitable (empreinte carbone forte, mais Commerce Équitable) avec un sac de pommes ‘bio’ du producteur local (nos agriculteurs locaux ‘bio’ pourront survivre)…! Et ce sont des éléments clés qui assurent l’amorce d’une vraie économie locale, qu’elle soit près de chez nous ou ailleurs, une alternative viable à la situation de crises.

Politiques d’achats publics : une place pour l’économie solidaire ?

En Europe, les entités publiques disposent aussi du pouvoir de réaliser leurs achats au meilleur rapport qualité/prix, ou bien de les motiver selon des critères sociaux et sociopolitiques. Sur des montants modestes, la contractualisation peut se faire sans recourir à des appels d’offre. Pour des achats importants où les procédures d’appel d’offres sont imposées, les cahiers des charges peuvent définir des clauses sociales comme l’intégration des travailleurs défavorisés et/ou des clauses environnementales. L’Italie est le premier pays à avoir introduit la dimension sociale des achats publics en 1991, réservant certains marchés publics aux coopératives sociales. Mais cette loi a dû être réexaminée à la suite d’objections de la Commission. Car c’est dans le cadre de la législation européenne que le débat se déroule aujourd’hui. En réalité, l’introduction de critères sociaux dans les contrats publics n’est pas encore de pratique courante.

Prenons l’exemple de la France. Aujourd’hui il est devenu courant de voir les cantines scolaires s’approvisionner en nourriture bio locale (et tant mieux !). L’introduction d’autres produits est plus récente. L’exemple de la ville de Nantes illustre bien qu’on peut aller plus loin. Les appels d’offres pour les uniformes des services municipaux contiennent des clauses spécifiques pour favoriser l’utilisation de textiles issus du Commerce Équitable (en particulier le coton bio équitable). La difficulté à laquelle la Ville se trouve confrontée est que la demande dépasse la possibilité des fournisseurs. Cela dit, la demande peut stimuler le marché. On peut espérer qu’une démarche volontaire du secteur public encouragera son développement. Un autre domaine-clé est l’achat de papier recyclé.

Deux variables culturelles ont marqué les discussions sur ce sujet lors de la réunion mentionnée ci-dessus. La première est que l’achat de biens et de service en France à tendance à se passer d’une manière hiérarchique. Cet achat étant souvent considéré comme un mécanisme de soutien, il permet à des régions, des villes ou des pays de la Zone de Solidarité Prioritaire (ZSP) de coopération décentralisée de la France (souvent ses anciennes colonies) d’être jumelées sur le plan institutionnel et d’avoir un soutien financier pour des projets de développement local. D’autre part, diverses associations, dont certaines qui d’origine religieuse, interviennent également afin de favoriser les communautés du Sud. Cependant, au Royaume Uni, c’est plutôt l’inverse. La plupart du temps l’initiative de cette démarche est initiée par la société civile (souvent en incluant des associations religieuses) ou par une communauté locale. Il est souvent nécessaire d’exercer des pressions considérables sur les institutions et les Autorités Locales pour obtenir un soutien aux projets. Dans tous les cas, les Associations de la société civile ont un rôle d’impulsion nécessaire dans une approche ascendante porteuse d’une alternative économique.

Défis pour la généralisation de la vente des biens et services de l’économie solidaire

Une autre réflexion concerne le concept de prise de risque dans l’achat de biens et des services provenant de l’économie alternative, et ce même dans les courants alternatifs. Le Commerce Équitable et la nourriture bio sont des produits clairement identifiés, qu’ils soient officiellement certifiés ou non, ce qui est un tout autre débat. Certains produits et services sont maintenant acceptés par l’acheteur moyen et par bien des entreprises également. Linux versus Microsoft en est une bonne illustration. Une personne qui opte pour l’achat du système Linux sait qu’elle ne prend pas de « risque déconsidéré ». Mais des résistances demeurent dans l’organisation des grandes manifestations mondiales altermondialistes. Par exemple, on rencontre souvent le refus de travailler avec les systèmes alternatifs d’interprétation et les réseaux bénévoles d’interprètes sont parfois perçus comme manquant de fiabilité, même si le contraire a été largement démontré et pour le matériel et pour l’humain. Un exemple malheureux de cela est le cas du Forum Social Mondial de Belém. Ce qui a réduit considérablement le nombre d’activités avec interprétation ainsi que la possibilité des participants de s’exprimer dans la langue de leur choix.

N’est-ce pas la crainte des acheteurs-euses que la prestation pour “leur” événement - moment unique pour eux - ne soit pas à la hauteur qui est sous-jacente à de telles décisions ? Mais si chacun(e) n’augmente pas sa capacité de prise de risque, comment amorcer de véritables processus de changement et installer la confiance ? Posner et Schmidt en 1984 ont mené une étude sérieuse sur les facteurs qui influent sur le comportement éthique et le choix des managers. Les résultats montrent l’importance de la décision des supérieurs hiérarchiques comme facteur d’exemplarité. Ceci veut dire, par extrapolation, que le rôle des autorités locales dans leur choix d’achat peut avoir un impact énorme en termes d’émulation et exemplarité. Les premiers résultats du programme des Territoires du Commerce Équitable et le niveau de conscientisation que cela a déjà provoqué le démontrent bien. Il serait certainement de même pour le choix d’équipements et services alternatifs avec un peu plus d’effort de la part des acheteurs.

Pour conclure

Les défis sont de taille pour que l’économie sociale et solidaire puisse se déployer pleinement et poursuive son chemin de construction d’une économie plus juste et solidaire. C’est par une approche holistique que des solutions alternatives pourront être mises en place dans le long terme pour résoudre les crises multiples qui existent actuellement. Ces solutions doivent se mettre en place sur le plan local comme international, en faisant le lien entre produits et standards de l’OIT, des clauses éthiques, des prix justes, de la souveraineté alimentaire et des relations durables. Ceci demande à la fois de l’ouverture et une volonté collective de changer, de prendre des risques et d’explorer les alternatives.

Palabras claves

economía social, economía solidaria

Comentarios

Dans ce numéro 57 du Bulletin International de Développement Local Durable, Judith Hitchman nous fait part de diverses réflexions sur le déploiement de l’économie solidaire, notamment dans le contexte européen : l’inclusion de produits du commerce équitable ou de l’agriculture biologique dans les politiques d’achats des administrations de l’état, des régions, des départements et des villes, mais également des grandes institutions comme des universités, ou des grands groupes de l’industrie ou du commerce. La question rentre dans l’actualité de plusieurs pays en ce moment.

Ainsi, tel que relaté dans le numéro précédent, le mouvement au Brésil revendique, que la loi d’alimentation scolaire brésilienne, garantisse qu’au moins 30% de cette alimentation soit achetée à des initiatives locales d’agriculture familiale et d’Économie Solidaire. Toujours dans cette même veine, le RIPESS propose de lancer une campagne mondiale pour les achats publics et pour une consommation éthique et responsable de biens et de services.

Cet article de Judith Hitchman présente un aperçu concret des défis qui se posent pour y arriver en France et au Royaume-Uni plus spécialement. Mais, comme l’article le mentionne, il existe aussi de nombreuses initiatives ailleurs. À titre d’exemple, Yvon Poirier, qui contribue également à ce bulletin, a connaissance de deux initiatives du réseau des Centres de la petite enfance du Québec qui est l’équivalent des crèches. D’une part, un grand nombre de ces Centres procède à des achats de produits alimentaires bios auprès d’agriculteurs locaux. Ce qui permet de commencer la sensibilisation des jeunes dès l’âge préscolaire à l’alimentation saine et de tenir leurs parents informés. D’autre part, ces Centres se sont donné une coopérative commune pour l’achat de l’ensemble de leurs biens et services.

Notas

Cet article est aussi disponible en anglais, espagnol et portugais.

Cet article est disponible sur le blog : Bulletin international de développement local durable.

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