Les multinationales forestières et l’Etat chilien complices d’une répression féroce contre les Indiens mapuches
02 / 2008
Peuple originaire du Chili, les Mapuches représentent aujourd’hui environ 10 % de la population totale. L’indépendance de 1810 a déclenché un véritable génocide à leur encontre, faisant passer leur population de 1 800 000 à 360 000 personnes en 20 ans. Les Mapuches sont alors « enfermés dans des réserves et « pacifiés », leurs terres spoliées, leur culture niée, leurs traditions et leur langue interdites » (1). En 1973, le coup d’Etat du général Pinochet les frappe de nouveau, entamant un processus de criminalisation de leurs revendications. La transition démocratique de 1989 n’apporte pas d’amélioration spécifique de leur condition, les multinationales et riches propriétaires (latifundios) continuant d’exploiter les milliers d’hectares spoliés sous la dictature et jamais restitués. En 1992, ont lieu les premiers soulèvements mapuches, sans qu’aucun gouvernement n’apporte jusque là d’autres réponses qu’une répression féroce, comportant des tortures, emprisonnements abusifs et assassinats.
Les nouvelles formes de revendications mapuches liées à la restitution de terres ancestrales se déclinent en trois volets :
la réclamation des terres anciennes qui étaient traditionnellement sous autorité mapuche et ont été soumises à une adjudication entre 1883 et 1920. Cette procédure favorisa principalement les colons européens et créa les grands latifundios (attribution de 80 hectares de bonnes terres à un colon et de seulement 6,5 ha à un Mapuche) ;
la réclamation de terres de la réforme agraire, qui avaient été distribuées au Mapuches pendant la réforme et ont été revendues par adjudication à des consortiums internationaux au cours de la période 1974-1985 ;
la réclamation des terres à caractère sacré.
De telles revendications viennent aujourd’hui se heurter aux intérêts économiques de l’Etat chilien, en particulier dans les secteurs du bois et du tourisme. Après avoir lutté contre les colons espagnols, puis contre la répression de la dictature chilienne, les Mapuches tentent de résister contre les multinationales forestières, dont le développement risque d’entraîner leur disparition.
Forêts : le pétrole chilien
Si les Mapuches continuent de se heurter à la répression de l’Etat chilien, c’est notamment parce que l’acceptation de leurs revendications viendrait mettre à mal un secteur forestier qui représente une manne économique exceptionnelle, d’une croissance de plus de 6 % par an. Entre 1975 et 1994, les cultures ont ainsi augmenté de 57 % et le secteur forestier représente aujourd’hui plus de 10 % des exportations du pays. Le secteur est hautement concentré en termes de propriété et de localisation, puisque plus de deux millions d’hectares de plantations forestières « se concentrent dans les régions V et X, terres traditionnelles des Mapuches ». Plus de 60 % de la surface plantée appartient à deux grands groupes économiques, qui brassent des masses financières colossales, tandis que « seulement 7,5 % des plantations forestières sont détenues par de petits propriétaires ». Or, dans les régions où se développe ce lucratif commerce, la pauvreté atteint les indices les plus élevés du pays. « Les bénéfices ne sont pas redistribués et rien ne reste dans la région, si ce n’est la surexploitation, la pollution, la perte de diversité biologique et culturelle » (2).
Pour les Mapuches, il est inconcevable que les terres ne reviennent pas à leur usage premier qui participe d’une vision propre du cosmos et de la spiritualité, et qui fonde leur identité culturelle. Les entreprises forestières éliminent les forêts primaires qui protègent des bassins versants riches en eau et les remplacent par des plantations de pins et d’eucalyptus. Ces espèces importées affectent directement le milieu naturel et la médecine traditionnelle, provoquent un appauvrissement de la biodiversité de la province, diminuent les disponibilités en aliments des familles mapuches et nuisent à la santé de l’agriculture locale par l’usage fréquent de pesticides destinés à éliminer les mauvaises herbes et les maladies qui affectent les nouveaux arbres.
Cette destruction des forêts signifie à terme pour les Mapuches « leur mort en tant que peuple », puisqu’ils perdent ainsi la possibilité de vivre ensemble et de pourvoir à leurs besoins alimentaires sur un territoire continu et selon leurs coutumes. Un rapport de la Banque centrale assure que « dans 25 ans, le Chili sera sans forêt primaire ». Une expansion qui paraît difficile à interrompre, tant le bois représente un levier économique de taille pour le pays. Raúl Zibechi, journaliste uruguayen, explique que « la quantité de bois disponible aura doublé en 2018 par rapport à ce qu’elle était en 1995 », ce qui « conduira inéluctablement à ouvrir de nouvelles usines de cellulose. Le Chili externalise une série de coûts (de travail et environnementaux) lui permettant de produire la tonne de cellulose à seulement 222 dollars, contre 344 pour le Canada et 349 pour la Suède et la Finlande. C’est l’unique argument de poids » (3). Un argument que les gouvernements chiliens successifs défendent par tous moyens, selon un processus répressif des populations autochtones et de leurs coutumes ancestrales déjà éprouvé dans la plupart des régions du monde.
Michelle Bachelet : la continuité répressive ?
Depuis qu’au milieu des années 90, les communautés mapuches du sud du Chili ont entamé un processus de revendication territoriale à travers l’occupation de terres détenues par des entreprises forestières d’exploitation du bois, l’Etat a répondu encore plus durement en s’appuyant sur la législation antiterroriste de 1984, instaurée sous le régime de Pinochet pour poursuivre les dissidents politiques. Pour l’avocat Jaime Madariaga de la Barra, ainsi que pour les organisations des droits de l’homme, « Il n’y a pas de doute qu’on exagère des conduites, parce qu’aucune perte de vie humaine, ni d’atteintes à l’intégrité physique ou à la liberté des personnes ne sont imputées à des Mapuches dans ce conflit » (4). Il explique que la présidente Michelle Bachelet avait promis de ne pas appliquer la loi antiterroriste contre les Mapuches, mais peu de temps après son accession au pouvoir en avril 2006, un procès contre des Mapuches a débuté pour « incendie terroriste » et le ministre de l’Intérieur a requis l’application de cette loi héritée de l’époque dictatoriale.
La promesse n’est donc pour l’instant pas tenue et l’arrivée de Michelle Bachelet au pouvoir ne fait pas cesser la surdité de l’Etat chilien face aux revendications des Mapuches. Ils ont au contraire continué à être « réprimés comme aux « plus beaux jours » de la dictature du général Pinochet. Pendant toute l’année 2007, leurs différentes communautés ont subi d’innombrables perquisitions et arrestations arbitraires sous la pression des entreprises privées, souvent transnationales, désireuses d’exploiter – ou exploitant déjà – leurs territoires, sans leur consentement. Ceux qui résistent ou revendiquent leurs terres spoliées sont condamnés » (5) sur la base de la loi antiterroriste. Le 3 janvier, un étudiant en agronomie participant à une occupation de terres organisée par les Mapuches à Vilcùn a été assassiné d’une balle dans le dos par la police. Quelques semaines plus tard, un rapport de l’Assemblée des droits de l’homme du Chili dénonçait les perquisitions illégales et détentions injustifiées, ainsi que des « tortures, montages et encerclements policiers, surveillance permanente, téléphones sur écoute et harcèlements constants » constatés par ses membres, parmi lesquels Lorena Pizarro, présidente de l’association des familles de détenus disparus. Elle déclare avoir été horrifiée de constater que les Mapuches vivent « dans les mêmes conditions que connaissait le Chili durant les années de dictature ». Elle décrit notamment que dans les zones où vivent les Mapuches, on peut voir « d’immenses poteaux avec des cameras plantés au milieu des champs et qui surveillent, des antennes qui permettent d’intercepter les téléphones et les moyens de communication » (6).
Le 28 janvier 2008, une militante mapuche emprisonnée, Patricia Troncoso Robles, a mis un terme à une grève de la faim de 112 jours après avoir obtenu du gouvernement de Michelle Bachelet la nomination d’un commissaire présidentiel pour les affaires indigènes et l’engagement de travailler à une reconnaissance constitutionnelle des peuples indigènes. Le nouveau commissaire Rodrigo Egaña Barahona a annoncé la mise en place de tables rondes dans les différentes régions du pays afin de rechercher les points de convergence permettant « un respect mutuel » et ouvrant « la possibilité d’un plein développement » pour les peuples originaires (7). Si elle considère que cette lutte a permis d’installer davantage la question mapuche et la gravité de la répression chilienne sur la scène internationale, Patricia Troncoso reste néanmoins sceptique sur ce qu’elle appelle les « supposés efforts » du gouvernement, rappelant que « toutes les volontés politiques ont toujours été au service de l’expansion des entreprises forestières, hydroélectriques, des aéroports, des projets miniers, de la destruction et de l’exploitation de la nature, sans jamais penser que cela pourrait mettre en péril nos petites terres et ce qui nous reste de nos ressources naturelles ». Elle redoute que l’accord du gouvernement ne vise qu’à effacer une mauvaise image au plan international. Estimant que les conditions ne sont pas réunies au Chili pour traiter de la criminalisation des revendications mapuches, elle place davantage d’espoir dans « la médiation qui va se réaliser au travers de la commission inter américaine des droits de l’homme, où nous pourrions obtenir un accord de plus grande importance concernant la loi antiterroriste, des jugements plus justes, des procès équitables qui respectent la présomption d’innocence et la fin des témoins sans visage ou protégés » (8).
Document associé : fiche « Le mouvement mapuche autonome »
acceso a la tierra, deforestación, pueblos indígenas, movimiento campesino, represión
, Chile
Accès à la terre : voyage au centre des impasses de la mondialisation
D’après le texte de Luis Llanquilef Rerequeo : « Estado chileno, Reforma agraria y empresas forestales; comunidades mapuche en conflicto", 2006 (extrait du CD-Rom qui accompagne l’ouvrage « Accorder l’accès à la terre", CRIDEV, Frères des Hommes, PEKEA, Septembre 2007, 126p.)
et le texte « La destruction de l’environnement par des multinationales forestières au Chili sur les terres des communautés mapuches » extraits de l’ouvrage « Accorder l’accès à la terre", CRIDEV, Frères des Hommes, PEKEA, Septembre 2007, 126p.