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La méthodologie des sciences de l’ingénieur comme combinaison d’aspects épistémiques, éthiques et esthétiques

Arto MUTANEN

2007

Le mot ‘technologie’ possède un ensemble de significations complexes : il fait référence à la conception et à l’usage d’artifices matériels et sociaux, mais il peut aussi faire référence aux produits de l’interaction humaine avec la réalité, ainsi qu’à la transformation de la réalité. Les bases théoriques de l’habileté pratique fonctionnent seulement au plan de l’expérience quotidienne, et la systématisation de ces bases théoriques rendent explicitent les règles visant la maîtrise de ces aptitudes pratiques, en les rendant de plus en plus efficaces. En outre, les règles explicites peuvent être rassemblées dans un corps de règles systématiques, lesquelles correspondent aux ‘normes techniques’ dans la classification des normes de von Wright, au point de former idéalement une théorie.

Aux origines de la technologie, les Lumières ont promu la séparation entre la science et l’habileté, et plus profondément encore, chez Kant, la séparation entre les trois domaines de la Critique, devenus autonomes : l’épistémique, l’éthique et l’esthétique. Cependant, dans les systèmes d’enseignement occidentaux, nous avons des institutions plus ou moins séparées pour chacun de ces trois domaines : l’enseignement de la science ‘rationnelle’, l’enseignement des capacités (les arts et métiers), enfin, l’enseignement des arts ‘irrationnels’ (les beaux-arts). Il est éclairant de rappeler la différence entre le ‘savoir que’ (knowing that) qui fait référence au savoir linguistique, et le ‘savoir comment’ (knowing how) qui fait référence au savoir non linguistique, souvent dénommé la ‘connaissance tacite’. C’est toute la différence entre quelqu’un qui vous explique ce qu’est la marche sur les mains, et vous qui essayez réellement de marcher sur les mains.

En fait, il existe une interrelation complexe entre le savoir propositionnel (pouvant s’exprimer de façon explicite au moyen de propositions linguistiques) et le savoir non propositionnel (qui s’appuie sur des schémas mentaux implicites conférant une habileté et une efficacité). Une norme technique selon von Wright peut être considérée comme un moyen de construire un pont entre les deux, néanmoins, elle est elle-même une proposition concernant la relation entre un moyen et une fin. La norme technique fait donc partie du savoir propositionnel, mais il s’agit d’une proposition d’un certain type : elle n’est pas une proposition descriptive qui indique ce que le monde est, mais une proposition prescriptive qui indique comment le monde devrait être (différence classique depuis Hume entre ‘être’ et ‘devoir-être’).

La méthodologie a pour vocation l’étude du processus d’enquête, en particulier de l’enquête scientifique, toutefois, elle est concernée par la fiabilité des méthodes dans différentes sortes d’enquête. Il existe plusieurs niveaux de problèmes méthodologiques : l’ensemble des méthodes qui peuvent être utilisées dans une enquête ; l’ensemble d’informations à fin de justification qui peuvent acquises lors d’une enquête ; l’ensemble des problèmes qui peuvent être pris comme le but d’une enquête. Les niveaux de problèmes méthodologiques dépendent des paramètres fixés, comme l’indique la classification suivante tirée de Kelly :

Niveau 1 : Tous les paramètres méthodologiques sont fixés

Niveau 2 : L’ensemble des informations n’est pas fixé et fonctionne comme une variable

Niveau 3 : L’ensemble des problèmes de l’enquête n’est pas fixé et fonctionne comme une variable

Niveau 4 : L’ensemble des méthodes n’est pas fixé et fonctionne comme une variable

Niveau 5 : L’ensemble des problèmes et des méthodes n’est pas fixé et fonctionne comme une variable

La méthodologie de l’ingénierie peut être considérée également du point de vue de la résolution de problèmes et assigner une fonction privilégiée au système des questions / réponses. Les ‘grandes questions’ expriment le but principal de l’enquête, les ‘petites questions’ identifient un chemin allant de l’ignorance à la bonne réponse, et l’enquête scientifique est un jeu de va-et-vient entre ces deux niveaux de questions. L’enquête fondamentale est caractérisée par la poursuite systématique d’un nouveau savoir scientifique sans but d’application spécifique. L’enquête appliquée est caractérisée par la poursuite d’un savoir dans le but d’accomplir un but spécifique ; le développement, quant à lui, est caractérisé par l’usage des résultats de l’enquête scientifique afin de développer de nouveaux produits, méthodes et moyens de production. Le rôle de la science de l’ingénieur est de construire des structures et des objets réels ayant une importance pratique, de sorte que les facteurs contextuels et pratiques jouent un rôle méthodologique central. Il importe donc de synchroniser le rôle du savoir propositionnel (scientifique) et le rôle du savoir tacite (aptitudes).

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