Realizado por Juristes Solidarités
2005
Comment mettre le droit au service de l’action collective ? Peut-on en faire un outil de lutte ? Comment se confronter à cette matière aux contours trop souvent incertains, objets d’interprétations diverses et parfois contradictoires, à ces textes rédigés dans un langage qui paraît inaccessible, à ces institutions dont le rôle est de rendre la justice mais dont le fonctionnement semble si éloigné des réalités des citoyens ?
La plupart des groupes et personnes impliqués dans l’action - que ce soit dans les domaines du logement, de la participation à la gestion de la ville, de la situation des femmes, des étrangers, de l’accès à la terre, au travail et à un revenu décent, etc. - sont convaincus que le droit peut aussi permettre de faire avancer leurs luttes. Ils cherchent alors, selon son contenu et le contexte, à l’utiliser, le contourner, le neutraliser, participer à sa création ou à son évolution.
Chaque groupe, collectif ou association, développe ses propres méthodes d’action, techniques de lutte sur le terrain du droit. Certains choisissent délibérément de mener des actions juridiques ou judiciaires (1), d’autres le font davantage parce qu’à un moment donné de leur lutte, ils s’y trouvent contraints. Ils doivent alors faire preuve de créativité pour faire jouer le droit en leur faveur, en démontrant notamment que s’ils ont parfois mené des actions illégales, c’était parce qu’ils n’avaient pas d’autres moyens pour faire valoir la légitimité de leurs revendications. Le SOC (fiche Le SOC : un mouvement de lutte pour les droits des ouvriers agricoles / Espagne), par exemple, se place délibérément en dehors du droit en recourant à des moyens d’action illégaux (occupations de terres, grèves illégales, etc.) pour mieux faire reconnaître la légitimité de ses revendications concernant l’accès des ouvriers agricoles à la terre. Il doit donc gérer les inculpations liées à la conduite de ces actions illégales. L’APEIS, à côté de l’organisation d’actions collectives directes comme les occupations d’administrations, a par contre choisi de porter la lutte des « recalculés (2) » devant les tribunaux pour exiger la réintégration de l’ensemble des chômeurs dans leurs droits.
La diversité des luttes menées sur le terrain du droit
Certaines visent à faire évoluer le droit en influant sur les pratiques des tribunaux, en jouant avec les finesses, les vides, les contradictions de la loi. Pour cela, il apparaît parfois nécessaire de sensibiliser les magistrats aux réalités du terrain. C’est ainsi que dans le cadre de l’Ecole de la seconde chance (fiche La formation au droit et à la citoyenneté des jeunes en difficulté : l’Ecole de la seconde chance / Italie), des magistrats ont été invités à rencontrer des familles et jeunes en difficulté pour mieux comprendre, prendre en considération leurs réalités et y apporter des solutions satisfaisantes. D’autres actions sont tournées vers l’évolution des pratiques administratives. Il s’agit alors de changer la manière dont est appliqué le droit. Le Comité Pro Parque Miraflores (fiche Quand des habitants s’approprient des espaces urbains / Espagne) a ainsi réussi à faire reconnaître le statut de « Bien d’Intérêt Culturel » au parc urbain que les habitants avaient construit, afin d’en assurer la pérennisation.
Certaines luttes portent sur l’évolution des textes de droit existants (lois, règlements, directives, etc.), que ce soit au niveau local, national ou international. Il s’agit dans ce cadre-là de travailler avec les acteurs politiques, de chercher parfois à influer sur l’élaboration d’un texte de loi ou d’un règlement local. Le RAJFIRE (fiche Soutenir l’organisation des femmes sans papiers : l’action du RAJFIRE / France) a ainsi réussi à faire inscrire dans la loi sur le séjour des étrangers que le préfet pouvait accorder un renouvellement du titre de séjour aux femmes étrangères qui quittaient leur mari pour violences conjugales. L’opportunité de développer un travail en collaboration avec les acteurs politiques soulève cependant toujours, au sein des groupes et associations, des questions liées à un éventuel risque de « récupération » et d’institutionnalisation des pratiques.
Enfin, quelques acteurs utilisent les espaces laissés vides par le droit et proposent des solutions lorsque lorsqu’il n’en existe pas d’adaptées. Solidarités Nouvelles (fiche Appuyer les habitants dans leurs luttes pour le droit au logement / Belgique) a ainsi mis sur pied la médiation paritaire pour faciliter la résolution des conflits entre propriétaires et locataires et éviter au maximum les expulsions. Les habitants impliqués dans le processus du budget participatif à Séville ont élaboré eux-mêmes le règlement régissant le fonctionnement du processus. Solidarités Paysan Provence (fiche Défendre les agriculteurs en difficulté / France) a proposé un dispositif permettant aux agriculteurs dont l’exploitation est en faillite de rester dans leur maison en devenant locataires. Mais quels que soient les modes d’action utilisés, le domaine et le contexte dans lequel se développent les luttes, on retrouve quelques dénominateurs communs, quelques questionnements et démarches qui se rejoignent quant à la manière de se confronter au droit pour parvenir aux objectifs que l’on s’est fixés.
Faire le lien entre les situations vécues et le droit
Les situations à l’origine des actions menées sur le terrain du droit touchent tous les domaines de la vie quotidienne. Il s’agit alors de permettre aux personnes de faire le lien entre les problèmes concrets qu’elles rencontrent et le droit. Toute situation comporte en effet des aspects juridiques, plus ou moins importants et évidents, sur lesquels on peut essayer d’agir collectivement. Ainsi en Belgique, les « réunions de caves » du mouvement Luttes Solidarités Travail (fiche Un mouvement de lutte pour l’exercice des droits fondamentaux / Belgique) ou les « groupes d’action droit au logement » de l’association Solidarités Nouvelles permettent aux personnes de partager leurs problèmes et de réaliser qu’elles sont confrontées aux mêmes difficultés. Lors de ces rencontres, chacun puise dans les discussions des éléments de réflexion et d’action par rapport à sa propre situation. Des actions juridiques ou judiciaires collectives peuvent même parfois naître de ces réunions, pour tenter d’apporter une réponse aux problèmes communs rencontrés.
Au cours de cette étape, les associations procèdent souvent à un travail de recensement de toutes les pistes d’action possibles, de tout ce que l’on peut mettre en place. Les militants choisiront ensuite celles qui paraissent les plus pertinentes, les plus efficaces en fonction de la situation, des moyens à disposition, de la mobilisation qui peut-être obtenue, …
Prendre en considération les limites et risques liés aux actions juridiques et judiciaires pour mieux les gérer
Si elles constituent des stratégies intéressantes pour atteindre les objectifs fixés, les actions juridiques ou judiciaires (souvent appuyées par des actions collectives) n’en comportent pas moins des risques et des limites susceptibles de fragiliser l’action s’ils ne sont pas intégrés à la démarche adoptée. La plupart du temps, ces risques, ces éléments de blocage qui peuvent apparaître à un moment ou à un autre de l’action, sont appréhendés collectivement à l’avance et assumés par les associations qui se servent du droit au quotidien. Ainsi, lors des fauchages d’OGM (Organismes Génétiquement Modifiés) organisés par le collectif des faucheurs volontaires (fiche Pratiquer la désobéissance « civique » pour faire évoluer le droit / France), chaque faucheur est informé des risques qu’il encourt, de la marche à suivre en cas d’arrestation tandis que le soutien des militants inculpés est préparé en même temps que l’action.
Au-delà des risques encourus (liés notamment à des actes de désobeissance civile), la durée de l’action constitue également l’un des éléments à prendre en compte dans la construction de la stratégie et l’organisation de la mobilisation. Ainsi, l’APDHA (fiche Défendre l’application des droits aux côtés des plus pauvres / Espagne) souligne qu’il est difficile pour les gens en situation de grande précarité, qui vivent dans l’urgence, de revendiquer leurs droits devant les tribunaux. Ils cherchent des solutions immédiates alors que celles qui peuvent être apportées par une action juridique ou judiciaire sont souvent à long terme.
L’information et la formation au droit des militants dans la construction de la stratégie d’action
L’information et la formation au droit des personnes qui participent à l’action font partie intégrante de la construction d’une stratégie d’action juridique et judiciaire. Elles constituent une étape de travail dans laquelle il apparaît fondamental que ne soient pas impliqués uniquement des professionnels du droit. Ainsi, l’association Action Diritti (fiche Actions d’occupation en faveur de l’application du droit au logement / Italie) forme au droit les personnes qui ont participé à des actions d’occupation d’immeubles vides pour qu’elles puissent ensuite tenir des permanences d’information, notamment au sein des bâtiments occupés. Ces formations sont animées en binôme par des avocats et des militants afin de ne pas aborder le droit que dans ses aspects techniques, mais également dans ses aspects revendicatifs. Comprendre le droit et ses enjeux est une étape fondamentale de la construction de la lutte, car elle permet de savoir dans quel sens orienter cette dernière : le droit joue-t-il en notre faveur et peut-on alors l’utiliser, faut-il plutôt chercher à le neutraliser, à éviter son application, ou faut-il inventer de nouveaux dispositifs juridiques lorsqu’il ne prévoit rien ? C’est en partie en se familiarisant avec leur environnement juridique que les personnes engagées dans l’action peuvent répondre à ces questions et développer des stratégies d’action juridiques et judiciaires efficaces.
Quelques éléments et questionnements à prendre en considération lors de la construction d’une action juridique ou judiciaire
Différents éléments, questionnements à aborder collectivement, réflexes à acquérir apparaissent essentiels dans la conduite des actions juridiques et judiciaires. Comment passe-t-on de l’action individuelle à l’action collective ou comment parvenir à articuler ces deux types d’action ? Quelle place donner aux professionnels du droit ? Quel est le rôle des mobilisations collectives dans la construction d’actions spécifiquement juridiques ou judiciaires ? Quelles relations développer avec les médias pour appuyer les luttes ? Comment renforcer la mobilisation, rallier l’opinion publique à la cause défendue et faire pencher les rapports de forces dans le sens souhaité ?
Certes, il n’existe pas de réponse unique, de recette applicable à tous les contextes. Chaque groupe, chaque acteur apporte ses propres solutions, développe ses propres stratégies, même si l’on retrouve souvent des éléments communs.
Le Service Droit des Jeunes de Bruxelles (fiche Garantir l’accès au droit des jeunes / Belgique) utilise, par exemple, les permanences d’accueil individuelles qu’il organise pour repérer les problèmes récurrents, d’ordre collectif, qui existent et tenter ensuite d’agir dessus. L’association Droit au Logement (fiche Rendre effectif le droit au logement pour tous / France) indique que le changement de jurisprudence qu’elle a obtenu en matière de logement n’aurait jamais pu se faire sans les actions collectives d’occupation d’immeubles, plus médiatiques, organisées en parallèle. Le mouvement ATD Cuarto Mundo (fiche La lutte des habitants de quartiers marginalisés de Madrid / Espagne) utilise un avocat dans la construction de la lutte pour pouvoir gagner des délais supplémentaires face à l’expulsion dont sont menacés les habitants et bénéficier de temps pour organiser la mobilisation. L’association Nouvelle Frontière (fiche Pour la défense des droits des personnes faisant l’objet d’une condamnation / Italie) contacte les médias pour qu’ils ne couvrent leurs actions d’occupation que lorsque les premières démarches pour obtenir la jouissance des lieux n’ont pas abouti.
Les expériences présentées dans ce recueil ne constituent pas des pratiques modèles et ne proposent pas de méthode miracle pour agir sur le terrain du droit.
Elles mettent simplement en lumière des questionnements à prendre en considération, des chemins qu’il est possible de prendre, indiquent des pistes d’action ou de réflexion, proposent des exemples dans lesquels chaque acteur, chaque groupe pourra puiser ce qui lui semble intéressant pour renforcer ses propres pratiques.
Quand des habitants s’approprient des espaces urbains
La mobilisation des femmes pour l’exercice de leurs droits
La lutte des habitants de quartiers marginalisés de Madrid
Mobilisations collectives pour le droit à obtenir une régularisation
Défendre l’application des droits aux côtés des plus pauvres
Le SOC : un mouvement de lutte pour les droits des ouvriers agricoles
La mise en place du budget participatif dans la ville de Séville
Quand des habitants se mobilisent pour conserver et faire vivre leur patrimoine
Appuyer les habitants dans leurs luttes pour le droit au logement
Garantir l’accès au droit des jeunes
Un mouvement de lutte pour l’exercice des droits fondamentaux
Actions de formation au droit pour les femmes étrangères
Pour une reconnaissance des droits des gens du voyage
Une ambassade universelle pour les sans papiers
Quand les chômeurs et précaires se mobilisent pour leurs droits
Défendre les agriculteurs en difficulté
Soutenir l’organisation des femmes sans papiers : l’action du RAJFIRE
Rendre effectif le droit au logement pour tous
Pratiquer la désobéissance « civique » pour faire évoluer le droit
Défendre le droit à la sélection, à la reproduction et à l’échange des semences paysannes
Actions d’occupation en faveur de l’application du droit au logement
Pour la défense des droits des personnes faisant l’objet d’une condamnation
Agir sur les réglementations européennes : l’action du Lobby italien des femmes
La formation au droit et à la citoyenneté des jeunes en difficulté : l’Ecole de la seconde chance
Soutenir l’organisation des associations de migrants
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