Les premiers efforts pour que les équipes de terrain du Priv capitalisent leur expérience en assistance technique et vulgarisation agricoles remontent à la mi-91 : de nombreux témoignages collectifs et individuels furent alors enregistrés, transcrits et rendus à leurs auteurs. Mais la situation paraissait alors bloquée : même ces entretiens ne réussissaient pas à dépasser l’autocensure des équipes.
C’est à la mi-92 que le Priv leur a alors officiellement lancé le défi de cette capitalisation, volontaire mais inclue dans le travail de projet. Les candidats étaient une quinzaine, encore qu’il fallut parfois aller les entreprendre personnellement pour leur signifier l’intérêt porté à leurs apports potentiels.
L’idée était de stimuler un maximum d’efforts individuels ou en groupe (au choix) pour ensuite dégager les axes d’une diffusion et en charger une équipe plus restreinte de responsables au sein des auteurs.
A la fin septembre 92, lors de mon deuxième passage à Cochabamba pour aider, je n’avais presque rien à me mettre sous la dent. Nous savions pourtant les richesses d’une expérience pléthorique d’espoirs, de déboires, de rigueurs et d’apprentissages. Mais la dynamique interne, surtout en fin de projet alors que chacun était en recherche de nouveaux horizons, n’était pas favorable: les méfiances écrasaient l’envie d’un effort tant attendu.
C’est alors que nous avons dû réviser complètement l’optique : puisque les difficultés interpersonnelles bloquaient le décollage, il s’agissait de changer de fusil d’épaule, de séparer pour mieux capitaliser. Une équipe s’est constituée, mais non plus sur la base des auteurs sinon entre trois spécialistes chargés d’appuyer les processus individuels et de mettre en forme l’ouvrage d’ensemble.
Bien sûr chacun des auteurs de capitalisation recevait l’information essentielle sur la tournure, les tenants et les aboutissants de l’oeuvre commune. C’est d’ailleurs au nom de celle-ci que se négociaient les recentrages thématiques, les accents ou les exclusions, les délais et les volumes.
Mais chaque processus était très individuel, ce qui lui permettait d’approfondir l’expérience et la vision personnelles mais l’empêchait de s’enrichir avec celles des autres. Le travail des auteurs en devenait d’ailleurs plus exigeant car il n’était plus possible de se cacher dans une signature collective ou de partager (exproprier !) le matériel de l’autre.
Ce fut un pis-aller par rapport à notre idéal de travail en équipe. Mais le jeu en valait quand même la chandelle. Les auteurs ont moins appris et se sont moins formés que dans une entreprise d’ensemble. L’équipe extérieure d’appuis-responsables a sans doute beaucoup plus profité de toutes ces dynamiques. Mais le produit ainsi obtenu en mars 93 est riche d’apports des 8 auteurs pour la réflexion de tous ceux qui travaillent en développement rural en général.
Les solo n’ont pas donné un concert mais une veillée musicale à thème, pleine d’émotions, de contradictions et de leçons. Même, nous avions pensé qu’il aurait peut-être été nécessaire de réécrire à la fin une partition trop diffuse : il a suffit de souligner quelques lignes mélodiques dominantes et complémentaires ; en s’ajoutant et en se croisant, les morceaux personnels ont déjà beaucoup à offrir.
methodology, experience capitalization
, Bolivia, Cochabamba
La diversité des sensibilités, des opinions et des vécus était trop grande pour qu’une capitalisation en équipe soit possible dans les délais et les conditions existantes. Mais cette diversité pouvait alors être considérée comme une des plus grandes richesses que le Priv puisse partager. Car il s’agit de capitaliser l’expérience et non d’en tirer la recette.
Cette dynamique nous a enseigné le besoin dans ce cas d’apprendre à jouer, en tant qu’appuis-responsables, sur bien des registres : la motivation, l’accompagnement, la pression (hiérarchique ou éditoriale). Une bonne dynamique d’équipe permet parfois d’affronter en négociation et en consensus les différentes contraintes qui se présentent. Quand séparer devient nécessaire, certaine autorité réapparaît pour établir la discipline.
Mais, « diviser pour régner », qu’elle devient grande la tentation de pousser à ce que chacun dise ce que nous aimerions ! Notre propre équipe d’appui, avec Loyda Sánchez et David Tuchschneider, a été une sorte de garde-fou. Que serait-il advenu si j’avais été seul ? J’en tremble à présent quand j’y repense.
Cette capitalisation du PRIV:Proyecto de Riego Inter-Valles (Cochabamba-Bolivie, Coopération Allemande) a été financée par la GTZ. Elle a donné lieu au livre « Del paquete al acompañamiento - experiencias del PRIV en extensión agropecuaria », Hisbol-Priv, La Paz 1994, 204 pages.
Fiche traduite en espagnol : « Cochabamba 1993 : separar para capitalizar »
Ce dossier est également disponible sur le site de Pierre de Zutter : p-zutter.net
Version en espagnol du dossier : Historias, saberes y gentes - de la experiencia al conocimiento