La Politique Communautaire de Développement (PCD)est paradoxale: à l’intérieur de ces frontières l’Union Européenne mène une politique malthusienne en programmant la disparition de millions d’exploitations agricoles exclues économiquement des normes européennes; hors frontières, en Bolivie, Pérou et Philippines tout au contraire, elle conduit une politique de valorisation et d’intégration des petites communautés paysannes et de développement d’une agriculture paysanne. Quelles sont les valeurs, les visions du monde et le message européen portés et diffusés à travers les politiques et pratiques de coopération au développement rural dans le cadre de la PCD?
L’aide au développement rural occupe depuis plus de trente ans la première place dans l’ordre des interventions sectorielles européennes. L’Europe communautaire, première importatrice mondiale de produits agricoles, construit ainsi une partie de son identité avec les problématiques agraires dans le monde. Les nouvelles normes imposés par l’OMC ont une influence directe sur les comportements économiques et sociaux des populations rurales des pays du Tiers Monde et des pays membres; leur rémunération et leur niveau de vie sont largement conditionnés par l’extérieur.
La politique d’appui aux cultures de rente appliquée jusqu’au milieu des années soixante quinze se réoriente vers la structuration d’une agriculture de type familiale dans les années quatre-vingts. L’impulsion aux culture vivrières, au moins dans les discours, a comme finalité l’autosuffisance alimentaire. Cependant, en 1982, suite aux débats dans le Parlement Européen, la Communauté lance un plan d’action contre la faim dans le monde, elle constitue une réserve alimentaire en céréales dont une partie est destinée à l’aide alimentaire. L’Europe esquisse ainsi en pointillés une nouvelle composante de son rôle mondial: nourrir l’humanité. Ce faisant elle met en difficulté les capacités de productions locales des pays du Sud.
En corollaire à la priorité agricole, l’aide européenne reste fondée sur une logique technicienne inchangée. Outre la construction des voies de communication, la construction d’infrastructure (travaux hydrauliques)demeure une priorité pour l’Europe. Un défi est présent, comment concilier de cadres de pensée contractés pendant 40 ans avec une volonté d’ouverture sur les diversités culturelles? La présence plus réduite mais toujours effective d’anciens administrateurs coloniaux est pesante, ils sont aujourd’hui chargés de réaliser l’ouverture contractuelle de l’Europe en Asie et en Amérique Latine. En outre il existe une résistance, une incapacité du dispositif de coopération européenne de céder du pouvoir aux Etats du Sud en matière de conception et des gestion des aides.
Le cas de la Bolivie.- Depuis 1986 la PCD s’ouvre à de nouvelles aires de coopération, dix ans après elle en sort transformée. Sur un registre politique, on redécouvre qu’il existe entre l’Europe et l’Amérique Latine une communauté de valeurs et d’intérêts qui justifie un renforcement substantiel des liens entre les deux mondes. A partir du début des années 90 émerge un souci explicité de visibilité de l’Union Européenne à travers ses interventions de coopération. A côté de l’aide alimentaire, l’aide financière et technique (règlement 442/81)est le principal instrument de coopération mis en oeuvre à l’adresse des Etats non associés. Cette dernière passe, pour l’Amérique Latine, de 150 millions d’Ecus en 1985 à 300 millions aujourd’hui. La Communauté et ses Etats membres deviennent progressivement la seconde source d’aide pour l’A.L. dans son ensemble, après les Etats Unis et la première pour l’Amérique du Sud (les Etats Unis concentrant leur aide sur l’Amérique Centrale).
En Bolivie, pays qui bénéficie depuis 1976 d’une aide technique et financière en tant que pays le plus pauvre de l’A.L., le choix de l’Altiplano est l’aboutissement d’un compromis entre différents points de vue et intérêts divers. L’Etat bolivien a deux stratégies: l’intensification des cultures commerciales et l’agro-industrie, et subvenir aux besoins des populations agricoles regroupées dans la région de l’Altiplano. Sur le plan national, l’agriculture représente 16
du PNB, contribue à 10
des exportations mais surtout occupe 45
de la main d’oeuvre nationale. L’Etat vise à éviter l’exode vers le Chili et l’Argentine et à ménager une population électorale importante. La spatialisation des programmes européens se fera au prix de compromis à l’égard de cette logique gouvernementale et parfois pour ménager les principales forces sociales comme dans les régions amazoniennes (Etat, militaires, intérêts privés). Les programmes répondent donc partiellement à des attentes très différentes.
A une aide localisée et sectorielle, se substitue une aide toujours localisée, mais intégrant plusieurs activités dans différents domaines à la fois. La création d’une information statistique agricole corrobore cette tendance. Attributaire prioritaire, la communauté rurale est résolument valorisé (et idéalisée)comme une instance possédant une structure de pouvoir idéale pour servir de support aux actions du Programme. La partie de la production de la communauté qui était jusqu’alors seulement accessoirement commercialisée pour subvenir aux dépenses supplémentaires des familles, est mise en avant et déclarée prioritaire. Il existe une volonté, certes mal définie, mais opérante, de faire passer la communauté rurale à l’âge coopératif, chose qui est dénoncée officieusement par certaines missions de Bruxelles. L’attitude du Programme De Micro Projets aura pour effet de bouleverser des coutumes locales (stages, surtravail non rétribué), de créer de nouvelles exclusions et différenciations (les syndicats sont ignorés, certaines communautés ou individus sont écartés car trop loin, hostiles ou trop pauvres). Les PMPR concourent à intégrer les communautés rurales dans une logique de marché pour en faire des acteurs centraux du destin national.
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Le projet de l’Europe à travers sa PCD est, selon l’auteur, de moins en moins uniquement commercial et technique, il est plus largement politique et culturel; il pose le problème de la réalisation d’une volonté complexe et ambitieuse sur le terrain. Confrontés à une multitude d’intérêts et d’enjeux opposés, les experts s’emploient à consolider un consensus extrêmement fragile et à tout moment susceptible d’être mis à mal. En se dessaisissant au profit des experts , la Commission fait l’économie d’une discussion et d’une réflexion sur les enjeux du développement, sur les choix de société et les priorités à définir et plus fondamentalement sur la relation à autrui.
Colloque "Agriculture Paysanne et Question Alimentaire", Chantilly, 20 -23 Février, 1996.
E.del Pozo est une ethnologue d’origine péruvienne qui a beaucoup travaillé sur les organisations paysannes et indigènes.
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LE NAELOU, Anne
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