Aspects sociolinguistiques de l’inégalité des chances à l’école
06 / 1994
La version originale de cet article s’adresse à des enseignants américains qui combattent au quotidien le perpétuel problème des échecs vécus par les enfants des ghettos urbains dans leur apprentissage de la lecture. L’auteur suggère que partout dans le monde, l’inégalité des chances est considérablement amplifiée chaque fois qu’il y a un écart important entre la langue que les enfants possèdent à leur entrée dans le système scolaire et celle qui sert à l’enseignement. Les linguistes ont étudié depuis plusieurs années ce qu’on appelle le vernaculaire africain-américain (VAA)mais ils ne sont pas parvenus à démontrer qu’une meilleure connaissance du VAA pouvait servir à améliorer l’enseignement de la lecture dans les ghettos urbains des Etats-Unis. L’auteur lui-même estime que la majorité des jeunes de Harlem participent à un système culturel qui s’oppose aux valeurs du système scolaire, lequel est ressenti comme la propriété de la société blanche et le lieu d’expression de la domination sur les noirs.
Une donnée essentielle est mise en évidence par les faits: c’est au cours de leur scolarité que les enfants des ghettos acquièrent le grave handicap que l’on observe en fin de parcours. Dans les années soixante, pour expliquer les échecs face à la lecture, on avait recours au concept de déficit verbal et culturel et on en attribuait la responsabilité à la pauvreté d’un environnement familial peu motivé par rapport à l’école. Sans écarter ces facteurs, Labov affirme que l’enfant noir arrive en général au jardin d’enfant plein d’enthousiasme, soutenu par une famille qui souhaite fortement sa réussite. Or, on assiste à une accumulation progressive et systématique d’échecs, en lecture comme dans les autres matières: "Si des handicaps préalables peuvent avoir leur rôle, ces résultats négatifs sont essentiellement le produit des interactions des événements qui jalonnent la scolarité".
L’étude comparative du VAA et de l’anglais scolaire montre plusieurs problèmes susceptibles d’entraver l’apprentissage de la lecture. Le plus évident concerne les liens entre graphie et phonie plus abstraits pour le VAA. En effet, les différences entre l’écrit et l’oral sont beaucoup plus importantes dans le cas du VAA que pour les autres dialectes du fait notamment des chutes des consonnes finales. En fait, les différences tant structurelles que sémantiques entre le VAA et les autres dialectes ne sont pas assez considérables pour être la cause essentielle des échecs lors de l’apprentissage de la lecture. Les différences dialectales affectent la scolarité essentiellement parce qu’elle symbolisent un conflit social. La divergence linguistique entre le VAA et l’anglais standard cultivé (ASC)repose essentiellement sur la ségrégation résidentielle. L’auteur précise à juste titre que toute possibilité d’interaction en face à face entre locuteurs de dialectes différents (qu’elle soit hostile ou amicale)atténue la divergence linguistique. Une réorganisation des schémas résidentiels et du système scolaire sont nécessaires pour mettre en contact les jeunes des ghettos avec d’autres locuteurs et faciliter leur intégration scolaire. Politique scolaire et politique urbaine se trouvent ainsi intimement liées.
cross cultural education, pedagogy, scholastic failure, racism
, United states
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LABOV, William in. ACTES DE RECHERCHES EN SCIENCES SOCIALES, 1993 (France), 100
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