10 / 1994
En quoi consiste le caractère commun de ces nouvelles cultures ? D’abord, "la culture est commune parce qu’elle appartient au plus grand nombre de citoyens dans certaines situations standarisant les comportements". Les pratiques sont réglées selon des normes endogènes d’échanges, comme c’est le cas par exemple des structures de l’économie dite informelle ou encore selon des mécanismes d’entraide et de coopération en vertu des principes de réciprocité des droits et des obligations (cas des tontines). D’autres pratiques sont plutôt issues d’apports exogènes, supposant la mise en oeuvre de stratégies relevant de la débrouillardise. Au marché ou encore dans les relations avec l’administration, la plupart des citadins et une grande majorité de ruraux partagent les mêmes façons d’agir, les mêmes repères, les mêmes symboles qui ne relèvent pas des institutions économiques et administratives en place.
En second lieu, "ces échanges sont "ordinaires" et si constants qu’on oublie qu’ils sont des produits culturels à part entière, c’est à dire, le résultat de choix selon des expériences réfléchies...". "Ces cultures se font ensemble à l’occasion de rassemblements, de fêtes ou de cérémonies ou encore de travaux en commun". Dans ces occasions, qu’elles concernent la vie privée ou la vie publique, le jugement de la communauté s’exerce alors sur des questions politiques (natalité, criminalité, moralité des dirigeants). Certains y assument le rôle de porte-parole, mais seulement à l’issue d’une large consultation des intéressés.
Enfin, ces cultures communes résultent d’un partage de valeurs sélectionnées pour leur efficacité endogène et exogène (dignité humaine, réussite sociale à condition d’en faire profiter des parents et les plus démunis)dépassant l’opposition ou la juxtaposition tradition/modernité avec surtout, la préoccupation première de renforcer les liens communautaires. Dans la crise économique, mais aussi sociale et morale qui affecte les pays africains et qui touche surtout les jeunes, ces cultures, exploitées en certains endroits par les tenants du pouvoir, peuvent faire l’objet de "cultures opium" contribuant à engourdir les esprits et à faire oublier les despotismes des chefs d’Etat, les détournements de fonds, les dégâts de la corruption. Mais les données actuelles de l’observation directe permettent de leur attribuer une fonction critique toute autre : celle de "cultures brûlot". En Côte d’Ivoire, au Togo, au Sénégal, en particulier les discours des hommes politiques sont tournés en dérision, les assises du pouvoir sont ébranlées. Bien plus, les voies constitutionnelles et institutionnelles d’exercice du pouvoir sont détournées ou dépassées par des modes d’action et filières indigènes nouvelles. Un peu partout en Afrique, des exemples commencent à s’accumuler où les interventions autoritaires sont contestées. La recherche du dialogue, la pratique de la négociation, la reconnaissance de la diversité des opinions politiques, les amorces d’un idéal démocratique se répandent et se manifestent par un développement des capacités d’innovation à partir des valeurs et de représentations communes d’échange et de communication. Une "décolonisation mentale" est en marche.
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, África
Du fait de la fréquence et de la diversité de ces manifestations, on peut dire qu’un métissage culturel et novateur est à l’oeuvre dans de nombreux pays africains. Ces formes d’expression culturelles deviennent tellement courantes qu’on risque ne plus en percevoir l’originalité. A l’évidence, elles prouvent que la prise de conscience gagne du terrain. De toute façon, elles méritent d’être encouragées à l’intérieur comme de l’extérieur de ces sociétés. Car ce n’est qu’en accroissant le nombre et la qualité des acteurs par l’intelligence des situations et par l’éducation, ce n’est qu’en favorisant l’émergence de ces nouvelles cultures et de nouvelles normes et valeurs qui les sous-entendent, que les Africains pourront améliorer leur destin.
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LEROY, Etienne, La culture, otage du développement, EADI/UNESCO (France)
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