L’Eglise catholique au Cambodge est une jeune Eglise, minoritaire dans le pays. Malgré sa petite taille, elle a joué un rôle certain, en 1970, dans l’apaisement de la haine raciale anti-vietnamienne (environ 4 000 exécutions, 250 000 expulsions): des chrétiens khmers ont caché des Vietnamiens, d’autres ont fait des collectes de riz pour venir en aide à des Vietnamiens affamés… Parmi le clergé français, ce sont les prêtres les plus engagés du côté khmer qui ont aidé le plus efficacement les Vietnamiens persécutés (5 y ont trouvé la mort). Si l’Eglise dans son ensemble était taxée d’être « pro-vietnamienne » durant la guerre (1970-1975), son action caritative traditionnelle auprès des khmers les plus pauvres a fait tomber quelques suspicions.
Dans son action caritative, l’Eglise du Cambodge a toujours tenu à rester humble, refusant d’être l’instrument de distribution des aides financières colossales que lui proposaient les organismes caritatifs catholiques étrangers. Cette attitude renonçait à une efficacité immédiate, préférant l’action sur le long terme, dans le respect de chacun. L’église catholique tenait à respecter les autorités locales sans s’y substituer, collaborant avec elles, suscitant des initiatives, aidant techniquement et financièrement à réaliser des projets. Une partie des aides provenait des chrétiens cambodgiens eux-mêmes et était distribuée par eux.
L’Eglise en tant que telle n’a pas eu d’influence politique directe : elle était trop peu nombreuse, les chrétiens pas assez formés à prendre des responsabilités dans ce domaine. Notre chance a été qu’aucun évêque n’ait été tenté de jouer un rôle politique, comme cela a pu se faire dans le passé. Nous n’avons pas accepté, par exemple de nous rendre solidaire du gouvernement Lon Nol, comme on nous le demandait, et nous nous sommes même désolidarisés de l’Eglise des Etats-Unis, en n’acceptant pas les aides du CRS.
Quand le Cardinal Rossi, préfet de la Congrégation pour l’Evangélisation des peuples, s’est rendu au Cambodge à l’invitation du CRS et à bord d’un avion de la CIA, nous avons refusé de le recevoir tant qu’il était l’hôte de l’ambassade américaine. La distinction des domaines d’intervention nous semble déterminante : la mission de l’Eglise consiste avant tout à transmettre la foi, qui peut déboucher dans l’oeuvre caritative et politique, non l’inverse.
La même orientation (séparation des fonctions) a été suivie dans les camps de réfugiés de Thaïlande où il fallait être vigilant pour ne pas attirer les réfugiés à l’Eglise par des aides. La réflexion sur les types d’aides à apporter aux plus démunis (aider les gens à se prendre en charge plutôt que les assister), et leur distribution, étaient assurées par des « comités d’entraide » : cela donnait une dimension communautaire, et permettait de former des catéchumènes.
Au Cambodge, l’entraide fonctionne actuellement sur le même mode. Notre volonté est de rendre l’Eglise autonome à tous points de vue, y compris sur le plan financier. Chaque communauté est organisée autour de trois comités : transmission de la foi, liturgie, entraide. Des délégations de ces comités se rencontrent deux fois par an, à l’échelon national, lors de « synodes » semestriels pour réfléchir aux grandes orientations à prendre.
Une solidarité concrète
Dans une société profondément corrompue, où tout s’achète, même les aides, les chrétiens ont choisi d’aider les plus pauvres, indépendamment de leur appartenance religieuse. Ce témoignage commence à porter des fruits à Phnom Penh : Médecins du Monde fait ainsi appel au comité des chrétiens pour identifier les malades indigents. A Battambang, le comité des chrétiens a pris en charge, gratuitement et bénévolement la nourriture de plusieurs dizaines de malades démunis et l’administration fait désormais appel à eux quand elle est dans le besoin. Suite à la présence assidue pendant des années du responsable de la paroisse, les malades les plus pauvres présentés par le comité des chrétiens sont soignés presque gratuitement… Tout cela est petit, infime, mais c’est un signe d’espoir : la corruption ne se combat pas par décret, mais par conviction.
Le système scolaire fonctionne mal par manque d’écoles et d’enseignants qualifiés : peu payés (15 à 20 dollars par mois… dans le meilleur des cas), les instituteurs sont souvent amenés à faire payer la scolarité, pourtant gratuite, des enfants par le biais de cours privés -obligatoires pour monter de classe. De fait, les pauvres sont exclus de ce système. Le dernier synode des comités d’entraide s’est penché sur le problème, en a analysé les causes et cherché des solutions. Pour la rentrée scolaire de septembre 94, plusieurs petites réalisations ont été mises en place : des instituteurs contactés ont accepté de n’exiger des familles les plus pauvres que la moitié du montant de la scolarité et ont même accueilli gratuitement 23 enfants… Ailleurs, des chrétiens se sont cotisés pour verser un « salaire » en riz à l’instituteur. La solidarité commence par de petites choses…
Une politique de dialogue
Notre pastorale se place sous le signe de la réconciliation et du pardon, même si pratiquement aucun chrétien ne s’est trouvé, de fait, du côté des bourreaux khmers rouges. Cependant, l’occupation vietnamienne a laissé des traces : certains chrétiens nommés « chef de village » par les occupants ont envoyé des gens aux travaux forcés d’où ils ne sont pas revenus, d’autres ont été « collaborateurs » de l’occupant, de gré ou de force, ou simplement pour survivre… Aussi, à l’intérieur même des communautés chrétiennes, les ressentiments affleurent à tout instant.
Certains chrétiens sont rentrés des camps de réfugiés et considèrent, le plus souvent à tort, ceux de l’intérieur comme des « collaborateurs ». Ils sont eux-même considérés comme ennemis par ceux restés au pays. Il a fallu près de deux ans pour que les gens se parlent, se saluent, que les communautés très fermées restées au pays acceptent ceux venant des camps. Nous avons donc multiplié les occasions de rencontre, mais tout cela est loin d’être parfait.
Nous essayons également de faire vivre ensemble deux communautés qui se haïssent viscéralement : les Khmers, très minoritaires dans l’Eglise, et les Vietnamiens très majoritaires dans l’Eglise, mais minoritaires dans le pays. Nous avons délibérément choisis d’être au service des plus pauvres et des plus démunis - les Khmers - même au risque de voir s’écarter les chrétiens vietnamiens. Nous refusons l’existence de lieux de culte différents et n’utilisons que la langue khmère dans la liturgie et l’enseignement du catéchisme. Ce choix n’est pas facile mais nous pensons que favoriser le particularisme vietnamien ne peut que renforcer le racisme anti-vietnamien toujours prêt à s’enflammer.
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, Cambodia
Ébauche pour la construction d’un art de la paix : Penser la paix comme stratégie
Expériences et réflexions sur la reconstruction nationale et la paix
L’auteur de la fiche est un prêtre des Missions Etrangères de Paris. Il chemine aux côtés du peuple Khmer depuis 29 ans et est le premier à avoir fait connaître la tragédie qui s’est abattue sur Cambodge à travers le livre : « Cambodge année zéro » (1977).
Fiche rédigée à partir d’un document envoyé suite à l’appel international à contribution lancé par la FPH pour l’organisation de la rencontre internationale sur la reconstruction du Rwanda (Kigali, 22-28 octobre 1994) co-organisée par la FPH et le CLADHO (Collectif des Ligues et Associations de défense des Droits de l’HOmme).
Espace Cambodge - 98 rue d'Aubervilliers, 75019 Paris, FRANCE.