L’histoire de l’activité alphabétisation à l’ORDIK
10 / 1994
L’association intervillageoise ORDIK (Organisation Rurale pour le Développement Intégré de la Kolimbine)qui regroupe, au Mali, neuf villages et deux hameaux de culture sur la rive droite du fleuve Sénégal, a, dès ses débuts, à la fin des années 80, accordé une place importante à l’alphabétisation. A l’origine, les moyens étaient limités : un seul moniteur tournait dans les différents villages adhérents, assurant dans chacun d’entre eux, une semaine de cours intensifs. Dans cette zone sans tradition scolaire, les medersas ou écoles coraniques étaient alors les seuls lieux d’enseignement mais le savoir qui y était dispensé n’avait, dans les domaines quotidiens d’activité (échanges économiques, agriculture...)aucune retombée concrète. L’alphabétisation conçue par l’ORDIK a d’abord pris un caractère massif plus que fonctionnel. Il s’agissait d’éveiller les populations à l’intérêt de l’alphabétisation, leur montrer que le soninke n’était pas condamné à l’oralité. Pour garantir l’accès de toutes les catégories sociales aux cours, les statuts de l’ORDIK stipulent qu’un village, s’il veut adhérer à l’association doit s’engager à accepter l’alphabétisation des enfants et des femmes. Dans un second temps, on a voulu montrer que la langue locale avait une efficacité réelle, au même titre que le français et qu’elle pouvait être utilisée dans la gestion des magasins collectifs par exemple, d’où un enseignement partant des besoins des gens. Aujourd’hui, Harouna Samassa, l’un des deux techniciens responsables de l’alphabétisation à l’ORDIK résume ainsi la phase actuelle : "Il s’agit maintenant d’arriver à ce que l’alphabétisation soit intégrée dans les activités communautaires au même titre que la banque de céréales, le puits ou le barrage." Pour y parvenir, un début de prise en charge réelle du centre d’alphabétisation est expérimenté dans certains endroits. Un comité villageois d’alphabétisation est alors mis en place : il est chargé de la gestion du centre, du matériel didactique et du choix de l’indemnisation du moniteur : argent, nature, aide à sa famille pour les travaux agricoles. Pratiquement, la campagne d’alphabétisation commence en octobre-novembre avec la formation et le recyclage des maîtres tous issus des villages où ils vont enseigner. Quand les récoltes sont engrangées, en janvier, les cours peuvent débuter et durent jusqu’au mois de mai ou juin, selon la précocité des premières pluies. Les élèves se répartissent par sexe et niveau (débutant ou niveau 0 ; 2ème année ou niveau 1 ; 3ème année ou niveau 2)et se retrouvent environ six heures par semaine. La leçon est construite autour d’une image et d’un slogan sur lesquels le moniteur fait s’exprimer son auditoire afin de dégager un mot clé contenant la lettre du jour. D’autres mots sont ensuite découverts et la séance s’achève par une page d’écriture. La numération débute un peu plus tard. La formule remporte un réel succès puisqu’en 1994, la campagne a rassemblé plus de 800 personnes. L’association entend renouveler cette année, un système de récompenses aux meilleurs élèves qui a beaucoup contribué à l’affluence record récente. D’abord réservé aux femmes (prix en pagnes, cosmétiques, cahiers, stylos), il devrait être étendu aux hommes et aux moniteurs les plus méritants. Au delà des chiffres, il apparaît indéniable que l’alphabétisation a des retombées positives sur la vie familiale et communautaire. En se rendant au cours, les femmes possèdent un lieu plus officiel que les abords du puits ou le chemin des champs pour se retrouver et échanger de nombreuses informations. Certaines sont désormais capables d’écrire à leur mari, migrant en France, sans l’aide d’une tierce personne, ce qui contribue à l’intimité du couple. Enfin, le mensuel Xibaare, produit par les services nationaux en charge d’alphabétisation et distribué gratuitement par l’ORDIK à 200 exemplaires reçoit un bon accueil.
elimination of illiteracy, social change, farming community, autonomous development, cultural evolution and social change, national language, educational method, community organization, education and social change
, Mali
Après 5 années d’existence, l’activité alphabétisation de l’ORDIK a atteint plusieurs de ses objectifs. Elle a vaincu les préjugés négatifs de certains (crainte des maris de voir leur autorité amoindrie, souci d’une perte de personnalité culturelle avec l’introduction d’idées nouvelles, peur d’une atteinte aux traditions...)et a réussi à toucher toutes les couches de la population qu’elle ambitionnait au départ (femmes, jeunes, chefs de famille). Cependant, certains points faibles demeurent. Quelques villages (Djallane, Niamiga)sont encore récalcitrants par manque de leaders convaincus de l’utilité de l’alphabétisation. Le taux de suivi des trois années complètes de formation est très faible. Un manque de motivations apparaît dans certains cas pour assumer la prise en charge du centre d’alphabétisation par le village lui même. C’est pourtant là, dans la survie de l’activité sans aide aucune du projet, que se situe le véritable test du succès de l’alphabétisation à l’ORDIK.
Interview
FONTENEAU, Anne; SAMASSA, Harouna