Un séjour, même bref en Afrique suffit à transmettre la certitude que la communication ne se limite pas, là-bas, aux mots, parlés ou écrits. Une discussion informelle avec Yaran Monkoro, professeur de philosophie, a permis de relever quelques aspects de ces formes parallèles de communication. La personne humaine est en elle-même porteuse d’un message. Sur le corps dénudé, les scarifications ont valeur esthétique mais leur forme, leur tracé, leur disposition renseignent également sur l’ethnie d’appartenance de la personne qui les arbore. Le corps habillé laisse s’exprimer le langage des vêtements. Ainsi, la couleur est-elle signifiante. Un pagne indigo est porté par les femmes qui viennent d’accoucher. Avec des traits blancs, il indique la jeune mariée. Il est également évident qu’en Afrique, un nom est porteur d’une importante quantité d’informations. Le nom de famille renvoie à un animal, un élément naturel, un évènement fondateur. Les Diarra sont, par exemple, associés au lion. Avant l’islamisation, des noms communs pouvaient être attribués comme prénoms afin de rattacher l’enfant à une histoire particulière. Mais cela peut se pratiquer encore aujourd’hui. Ainsi, une jeune femme brouillée avec son mari au moment de son accouchement a-t-elle nommé sa fille Wassa, signifiant en bambara, s’extérioriser, affirmer son indépendance, contrevenant à la règle qui veut que les deux premiers enfants soient baptisés par le père. Le nom renseigne également sur l’ethnie, la position sociale à l’intérieur de celle-ci et la provenance géographique. Chez les Soninké, les Bathily et les Camara sont les anciens nobles et les Goribé, les captifs d’autrefois. Le nom renvoie à une histoire originelle qui autorise un certain type de relations entre deux personnes. C’est le cousinage à plaisanteries qui permet à un Doumbia de se moquer d’un Coulibaly ou d’un Sangare mais lui interdit la même attitude face à un Sissoko ou un Bagayoko. D’autre part, la nature véhicule également de riches messages. La position des astres, les mouvements du vent, le chant de la tourterelle et son positionnement sur tel ou tel arbre, le déplacement de certains insectes bien précis annoncent des évènements souvent graves, comme le décès d’un parent proche. Ainsi, le totem des Monkoro étant le boa, ils lui doivent respect et vénération. Voir un boa sur leur route signifie pour eux l’imminence d’une épreuve difficile. Pour Yaran, l’interprétation de ces signes n’est pas propre à la personne qui la propose donc subjective. Elle reflète des valeurs, croyances partagées par l’ensemble du groupe social.
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, Mali, Kayes
Toutes ces formes parallèles de communication ne sont pas enseignées comme telles. Elles sont transmises par la pratique, l’expérience empirique. Pour Yaran, il n’est pas nécessaire de raconter à sa fille toutes les histoires dont sa généalogie est chargée : "C’est génétique. Elles sont ancrées en elle car elle est de mon sang." Cependant, certaines de ces formes de communication risquent de disparaître avec la mort des vieux, détenteurs du sens ou des griots garants des interprétations des phénomènes naturels. Le message du pagne indigo se dilue : ce tissu est aujourd’hui plus recherché par effet de mode que par souci d’entretenir une forme traditionnelle de communication.
On trouvera dans les ouvrages du Malien Amadou Hampâté Bâ (1900-1991)de nombreux exemples similaires.
Entretien avec MONKORO, Yaran
Interview
FONTENEAU, Anne