San Cristobal, Chiapas (Mexique)
02 / 2010
1. Le droit à l’alimentation
L’alimentation est un droit de l’homme fondamental, reconnu par l’article 25 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et par l’article 11 du Pacte International des Droits Économiques Sociaux et Culturels et dans d’autres instruments du droit international. Il est pourtant parmi les droits violés de manière systématique, et ce jusqu’à 3 fois par jour et par personne, en fonction de la situation sociale, car la faim n’affecte pas de la même manière l’ensemble de la population.
La carte de la faim coïncide avec celle des territoires indigènes dans des pays comme le Mexique,le Guatemala,l’Equateur,le Pérou et la Bolivie,comme le rappelle un rapport de la Banque Mondiale qui reconnaît l’échec des politiques de santé et alimentaires dans les pays d’Amérique latine à forte composante indigène :
Dans la quasi totalité des indicateurs de santé, la population indigène se caractérise par les pires résultats, et, l’un des clivages les plus importants est sans doute le fait que les enfants indigènes continuent à afficher des taux de dénutrition extrêmement élevés, un facteur de plus qui rend plus difficile l’étape de l’apprentissage. C’est un problème qui prend une dimension particulière dans un pays comme le Mexique, où les taux de dénutrition sont par ailleurs bas sur l’ensemble du territoire, ce qui montre bien l’échec de la façon dont est abordé ce problème en ce qui concerne la population indigène.
L’accès à l’alimentation est certes un indicateur de bien-être, mais les résultats officiels occultent la réalité : d’après les chiffres les plus récents, au Mexique, 18% de la population totale se trouve en situation de pauvreté alimentaire, c’est à dire dans l’incapacité de subvenir à ses besoins alimentaires faute de revenus, de capacité productive, d’emploi ou en raison de la situation d’exclusion économique liée au fait d’être né indigène ou paysan (Coneval, 2005). Le calcul du problème à partir d’une méthodologie distincte de celle du gouvernement donne un résultat plus brutal : D’après une étude de la UNAM, « en 1990, seulement 32% de la population se trouvait en situation de pauvreté alimentaire, en 2000, ce chiffrait atteignait 45% »(Torres, 2002, p.26), ce qui suggère un échec social de la politique économique.
La contradiction la plus nette réside dans le fait que ce sont les États de la République bénéficiant de la plus grande richesse biologique et culturelle qui détiennent les taux de malnutrition les plus élevés : Au Chiapas près de 47% de la population souffre de pauvreté alimentaire, au Guerrero 42%, et 38% à Oaxaca, tous très éloignés des états urbanisés, industrialisés et voisins des États Unis ou simplement bénéficiaires des accords commerciaux , par exemple Baja California, Baja California Sur, Nuevo Léon, Coahuila, Colima Chihuahua ou Sonora, dans lesquels moins de 10% de la population souffre de pauvreté alimentaire (Coneval, 2005).
Loin de changer la donne économique comme le réclament les organisations de la société civile depuis plusieurs décennies, d’inclure le droit à l’alimentation dans la législation mexicaine, de renégocier le Traité de Libre Commerce avec les États Unis et le Canada et d’investir dans des programmes qui permettent d’augmenter les capacités productives ou de favoriser des emplois avec des salaires dignes, l’État mexicain rejette toute critique et se félicite de ce que « la proportion de la population en situation de pauvreté alimentaire au niveau national a été réduite, passant de 24,2 à 20,3% entre 2000 et 2002 » (Gouvernement Mexicain, 2004, Paragraphe 406)
Ce que le Gouvernement mexicain omet de signaler, du moins dans le paragraphe mentionné ci-dessus, c’est qu’en 1992,seulement 13% de la population mexicaine vivait dans la pauvreté alimentaire. Les chiffres officiels signalent qu’en 1996-soit deux ans après l’ouverture commerciale - la proportion était passée à 27% et que sur cette seule année la pauvreté en patrimoine était passée de 66 à 80% et la pauvreté en capacités de 44 à 62%. L’augmentation de la pauvreté en termes absolus est due à l’entrée du Mexique dans le TLC et à la crise de 1994-95. Ce dernier constat n’est pas une exagération, il est basé sur des chiffres officiels (Coneval, 2009, p. 24).
La question qui se pose alors est la suivante : y a t-il quelque chose à regretter ?C’est à dire, en supposant qu’au cours des dernières décennies, le droit à l’alimentation ait été reconnu et pleinement appliqué, que se serait-il passé ? Nous aimerions bien pouvoir le savoir, mais à la vérité, au Mexique, le droit alimentaire n’a jamais été pleinement appliqué, ni même pendant les années 1980, quand opérait le SAM (Système Alimentaire Méxicain), de mémoire le programme le plus ambitieux mis en place pour récupérer la capacité de produire suffisamment pour l’ensemble de la population, mais qui fut insuffisant :
La stratégie du SAM doit être reconnue comme l’émergence d’une action valide à court terme valide, mais incapable, quoiqu’il en soit, de garantir les volumes d’aliments dont auront besoin les générations de Mexicains dans les décennies à venir. Un constat établi à partir des résultats obtenus : si les avancées réalisées ont permis, tant en volume qu’en superficie et en rendement de recouvrir l’autosuffisance en céréales au niveau national pour 1981, il a suffit de l’arrivée d’une sècheresse moyenne pour perdre 3 millions des tonnes de céréales basiques pour l’année 1983 (Toldeo, Carabias, Mapes et Toledo, 1985, p.54).
De fait le droit à l’alimentation s’apparente plus a un horizon qu’à une réalité objective ou à une expérience historique. Ce problème ne se cantonne pas au Mexique, il existe à l’échelle planétaire et, dans la conjoncture actuelle de la crise énergétique, climatique, politique et financière, la crise alimentaire ne semble en être qu’à ses débuts, et déjà se profile la possibilité d’un mouvement social poussé par le manque de nourriture.
2. Sécurité et Souveraineté alimentaire.
Lors de la réunion planétaire sur l’alimentation organisée par la FAO en 1996, les fonctionnaires ont défini le concept de sécurité alimentaire comme étant « assurée quand toutes les personnes, en tout temps, on économiquement, socialement et physiquement accès à une alimentation suffisante, sûre et nutritive qui satisfait leurs besoins nutritionnels et leur préférences alimentaires pour leur permettre de mener une vie active et saine » (FAO 1996).
Lors de la même réunion, les mouvements sociaux représentés par Via campesina, ont fait connaître le concept de souveraineté alimentaire, entendue comme la capacité des peuples à décider de ce qui se produit et ce qui se consomme.
Au delà des différences sémantiques qui séparent les concepts de sécurité et de souveraineté alimentaire, existent des perceptions distinctes : la sécurité se base sur le revenu comme indicateur d’accès à l’alimentation, au point ou le président Calderon a annoncé le gel des prix pour les aliments comme la tortilla, lors de la crise alimentaire de 2008, et qu’il a crée un fond émergent pour l’importation de mais et d’autres céréales de base.
La Souveraineté alimentaire, quant à elle, est un processus social de contrôle des moyens de production, canaux de commercialisation et des destinations de la consommation. Ce contrôle social s’effectue par le biais des alliances entre les producteurs et les consommateurs, par exemple dans l’ouverture de marchés directs, équitables, bio et solidaires.
En somme, le paradigme qui sous tend la sécurité alimentaire est le marché financier, alors que celui de la souveraineté alimentaire fait partie de la recherche d’alternatives locales au commerce mondial.
La sécurité alimentaire peut s’obtenir sans connaître les processus de production, par exemple, au sein des villes industrialisées, les citoyens – ou plutôt -, les consommateurs, n’ont pas besoin d’être au courant des problèmes des campagnes, ne serait ce que ceux liés à l’environnement, ils n’ont qu’a se préoccuper que leur revenu soit suffisamment élevé pour satisfaire des standards de consommation toujours plus élevés. Autrement dit, la souveraineté alimentaire est un positionnement du paysan, en tant que producteur et elle est intimement liée à d’autres droits, comme les droits collectifs à la santé, au travail, au logement etc.
Cette analyse ne prétends pas réduire le débat à une dichotomie, au contraire, il s’agit de démystifier la vision néolibérale du marché, car l’économie n’est pas dirigée par une « main invisible » : existent des acteurs sociaux, des intérêts en conflit, des entreprises de toutes tailles, des réseaux sociaux, des coopératives de production ou de consommation, des exploitations de ressources naturelles, des lois d’encadrement et des réalités historiques, telles que le colonialisme, qui doivent être prises en compte.
Toute institution, qu’il s’agisse d’une famille paysanne ou de la Fao, est hétérogène, intégrée par des agents divers et l’on ne peut pas dire qu’il existe une seule direction historique des processus sociaux, au contraire ce sont plutôt les institutions qui sont le résultat de conflits entre des visions et des manières de faire divergentes.
Nous pouvons établir une liste de traités internationaux qui favorisent les droits de l’économie paysanne. Par exemple les « Droits des paysans « établis par le Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, ou bien la reconnaissance de la sécurité alimentaire comme stratégie de développement rural, en tant que résultat du libre exercice des droits individuels et collectifs.
Amartya Sen l’a résumé en quatre types de droits des paysans :
1. Les droits à la participation dans le commerce, c’est à dire le droit pour une personne d’échanger ses produits et son argent pour subvenir à ses besoins.
2. Les droits de produire, qui correspondent à l’accès d’une personne aux biens qu’il/elle produit avec ses propres moyens.
3. Le droit au travail, c’est à dire la possibilité et la capacité d’une personne à vendre sa propre force de travail.
4. Les droits à la succession, à savoir les donations volontaires comme les transferts d’argent des migrants, les passations foncières et la distribution alimentaire (FAO, 2004)
La FAO elle même souligne que « la faim et la malnutrition sont les causes principales des souffrances et de privations que les Objectifs du Millénaire pour le Développement sont censés combattre.(…) Lors de la Réunion Mondiale sur l Alimentation de 1996 aussi bien que lors de la Réunion du Millénaire de 2000 les objectifs ont étés établis afin de réduire de moitié la faim à l’horizon de 2015. On se rapproche de la date convenue, mais pas de la réalisation des objectifs (FAO, 2005, p.26).
La FAO observe dans un de ses derniers rapports que « les efforts déployés pour promouvoir la sécurité alimentaire et la protection de l’environnement, dans de nombreux cas, vont de pair. Quoiqu’il en soit, trop souvent, la mise en place de politiques erronées à favorisé la production agricole industrielle à grande échelle aux dépends des systèmes agro-pecuaires mixtes utilisés par les plus démunis », il est donc nécessaire de « favoriser la préservation de l’environnement et la sécurité alimentaire en promouvant l’autonomie des populations rurales pauvres » (FAO, 2005, p.26).
L’autonomie des peuples indigènes a été au centre du débat sur l’éligibilité des droits territoriaux, politiques, juridiques, sociaux, culturels et ceux liés à l’environnement (Anzaldo, 1997, p. 38). À l’occasion d’une autre étude, nous proposions d’identifier au moins trois types des revendications à l’autonomie : de facto, de juris et de praxis, comme nous l’expliquons dans le cadre suivant. Cette interprétation se base sur le fait qu’il est possible que différent types d’autonomies coexistent et qu’elles sont complémentaires, il est même possible que les trois types d’autonomie soient observées au cours d’un même processus, il ne faut donc pas les considérer comme des catégories exclusives, mais comme un moyen de différencier les processus de l’intérieur. » (Gomez, p. 4)
3. L’autonomie Alimentaire.
L’un des principaux apports des mouvements indigènes récents réside dans le concept d’autonomie, lié à la capacité de reproduire une culture sur un territoire hérité et géré de manière collective.
Au sein du débat sur les droits alimentaires des populations indigènes, l’autonomie s’entend par la capacité des producteurs à choisir leur système de production (commerciale ou de consommation propre), leurs engrais (chimiques ou naturels), les graines utilisées (autochtones, hybrides commerciales ou génétiquement modifiées). L’autonomie des peuples indigènes dans la décision de leurs systèmes productifs se rapproche du concept de souveraineté alimentaire. Le concept de souveraineté alimentaire est donc un moyen d’exercer son autonomie alimentaire pour les peuples indigènes, dans le cadre du droit à l’alimentation.
Dans le mouvement indigène, l’autonomie est le cadre juridique qui permet le libre exercice des peuples dans la détermination de ses processus sociaux, économiques et politiques, et dans le cas du mouvement indigène mexicain en particulier, s’est présenté le rétablissement complet des peuples indigènes, le territoire étant donc un espace en voie de réappropriation.
L’une des bases du travail paysan est l’orientation des processus environnementaux qui permette la régénération des ecosystèmes, en prenant en compte les cycles de l’eau, des semences, de la pêche et de la chasse, la régénération des sols et la gestion des bois.
Ce travail paysan se définit en écologie comme la gestion durable des territoires.
Si la construction de l’autonomie alimentaire entre paysans inclut la gestion des agro-écosystèmes en vue de leur régénération, naturelle ou assistée, on peut dire que que l’autonomie alimentaire est atteinte lorsque les agro-écosystèmes permettent de produire des cultures alimentaires, des excédents pour les marchés locaux et comportent un cycle de production et de repos qui permette de reproduire et de soutenir la biodiversité.
Nous pouvons citer en exemple les systèmes traditionaux de milpa (culture sur brulis), qui ont pour point commun l’association des cultures Maïs-haricots-citrouille et qui peuvent inclure des systèmes de pluriculture intercalés, comme les plantations de café accompagnées de celles de bananier autour de la milpa, des cultures basiques comme la chayotte, le piment, les herbes médicinales et d’autres plantes.
Nous pouvons donc nous permettre d’affirmer qu’au Mexique et en Amérique Centrale la milpa mésoaméricaine est à la base de l’autonomie alimentaire paysanne, des économies familiales des campagnes, et qu’elle peut être au centre d’une stratégie de gestion de la biodiversité. Chaque société a développé ses systèmes de cultures et dans le cas mésoaméricain, il s’agit de la polyculture associée à la milpa.
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, Mexico
Cet article existe en espagnol.
Références
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Coneval, 2009, Evolución de la pobreza en México, Consejo Nacional de Evaluación de la Política de Desarrollo Social. Disponible en línea: www.coneval.gob.mx/contenido/med_pobreza/3967.pdf
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