Avec la Loi sur l’Administration locale (2004), de nouvelles opportunités, de nouveaux défi s ont fait leur apparition pour les pêcheurs artisans
03 / 2010
Entre 1999 et 2001, la Sierra Leone a connu une terrible guerre civile qui a conduit à un effondrement de l’État. On a assisté à la dégradation totale de l’autorité publique, la désorganisation interne et ses conséquences : aggravation du taux de mortalité, déplacements massifs de réfugiés, fuite de capitaux, perte de capital social, croissance économique étouffée. Des études semblent indiquer qu’un pays en train de sortir de la guerre civile court le risque (à hauteur de 44 %) de retomber dans des affrontements avant cinq ans. Il y avait donc un besoin urgent de protéger physiquement les gens et de créer des conditions propices à une amélioration des conditions de vie afin d’empêcher le retour des confrontations.
La trop forte centralisation de l’appareil d’État après la dissolution des conseils locaux en 1972 est considérée comme l’une des causes déclenchantes du conflit. La décentralisation apparaissait donc comme une condition préalable pour améliorer la protection des individus, la protection sociale. Cette stratégie s’est fondée sur la Loi de 2004 relative à l’Administration locale (LGA2004) qui dressait la liste des fonctions et activités que les ministères et organismes concernés devaient confier aux conseils locaux pour 2008. Il y avait dans ce cas le Ministère de la pêche et des ressources marines (MFMR) auquel il était demandé de transférer la gestion du secteur artisanal à l’Administration locale (conseils locaux élus) conformément à l’article 56 (1), alinéa b [les conseils locaux délivreront une licence de pêche à toute personne de la localité possédant une pirogue] et à l’article 57, alinéa c [les conseils locaux appliqueront une taxe sur les prélèvements de poissons, et sur la création d’étangs pour le poisson d’eau douce].
Du point de vue des ressources naturelles, cette modification des responsabilités de gestion pouvait avoir d’importantes répercussions car la pêche artisanale représente plus de 80 % de la production nationale. Ce secteur c’est 67,9 % des exportations de produits primaires, 63 % de la consommation moyenne quotidienne de protéines animales, environ 10 % du Produit intérieur brut. Sans doute la décentralisation de la gouvernance des ressources halieutiques permettra-t-elle d’améliorer la participation des parties concernées, d’intégrer les connaissances locales aux données globales sur les ressources. Malheureusement, les capacités locales à assumer les nouvelles responsabilités sont présentement très limitées.
Responsabilités locales
Les spécialistes ont souligné la nécessité d’une dévolution des fonctions pour assurer une bonne participation, une responsabilisation des communautés et des groupes d’usagers en matière de gestion de la ressource. Pour ce qui est des ressources naturelles, les structures locales sont mieux placées que les organismes centralisés pour bien remplir certaines fonctions comme la résolution des conflits et la prestation de services. Mais la décentralisation n’est pas franche et directe ; et les études ont montré que les avantages espérés d’une participation locale à la gouvernance de la ressource peuvent être remis en cause par divers facteurs : manque de transparence dans la mise en œuvre de la réforme, manque de souplesse pour l’intégration du savoir local, mauvaise volonté du gouvernement central pour restituer les ressources naturelles productives aux communautés locales, insuffisance des financements accordés aux autorités décentralisées.
Et la décentralisation risque de créer de nouveaux conflits locaux, de nouvelles tensions sociales, surtout lorsque des écosystèmes particuliers se retrouvent sous plusieurs juridictions politiques/administratives, lorsque des groupes locaux non représentatifs, des pouvoirs coutumiers autocratiques parviennent à accaparer les avantages apportés par la décentralisation. Toutes ces préoccupations sont bien évidentes en Sierra Leone où les conseils locaux établis à la suite de l’entrée en vigueur de la Loi de 2004 ont pris sous leur coupe tous les bateaux artisans, malgré les inquiétudes du Ministère des pêches et des ressources marines sur plusieurs aspects : participation limitée des communautés locales, faiblesse des institutions, pénurie d’informations en matière de gestion au plan local, insuffisance criante des ressources humaines et physiques pour accomplir les tâches de gestion et d’administration.
Six conseils de districts à façade maritime exercent leur juridiction sur les eaux nationales. Selon les dispositions de la Loi de 2004, chacun doit constituer un Comité de la pêche et de la mer composé comme suit : un président (qui est aussi un conseiller élu), d’autres membres du Conseil, des représentants d’organisations et de communautés de pêcheurs, des anciens, des fonctionnaires cooptés du Ministère des pêches et des ressources marines. À l’heure où cet article est écrit, sur les six Conseils concernés, seul celui de Port Loko a reçu du personnel qualifié pour aider à la gestion de la ressource. Par ailleurs, alors que les six districts possédaient déjà une antenne administrative (établie par le Ministère avant le processus de passation de pouvoirs) qui est chargée de la collecte des données et des taxes sur les permis et aussi de la formation des communautés en matière de gestion des pêcheries et d’exploitation durable des ressources, il semblerait que le nouvel environnement institutionnel ait laissé (dans certains cas) les politiciens locaux déstabiliser le fonctionnement de ces structures en faisant nommer des responsables de station qui n’ont jamais reçu de formation dans ce domaine.
Il est évident que le Ministère ne dispose pas actuellement des ressources humaines et financières qui permettraient d’apporter un soutien approprié aux Conseils locaux. Ceux-ci doivent se débrouiller avec les maigres sommes octroyées par le gouvernement central dans la phase initiale. Chaque Conseil reçoit maintenant 4 millions de leones (à peine 1 000 dollars) pour s’occuper des affaires de tout un district de la côte). À long terme, les Conseils deviendront (ou devraient devenir) plus autonomes lorsque les mécanismes de collecte des taxes sur les permis et autres choses auront été renforcés. Pour le moment, le manque de financement gêne considérablement les rentrées fiscales de l’Administration locale.
Ajoutons que les relations entre les Conseils et les divers acteurs locaux (capitaines de port, maîtres-pêcheurs, avec leurs rôles et responsabilités) sont mal définies dans la législation actuelle. À ce jour, seul le Conseil de Freetown City a permis aux capitaines de port de garder 20 % des revenus collectés, pas seulement pour optimiser les immatriculations mais aussi en guise de compensation pour les nombreux services rendus au nom de la collectivité (s’occuper de l’assainissement sur le port, lancer des opérations de sauvetage…).
Suite à la mise en œuvre de la Loi de 2004 sur l’Administration locale, des préoccupations se sont également exprimées en matière de responsabilité institutionnelle. Les pêcheurs ne parviennent pas à faire appel aux tribunaux et ne savent pas où aller se plaindre, par exemple lorsque leurs engins de capture sont détruits par des chalutiers. Le partage des responsabilités entre les Conseils et le Ministère n’a pas encore été clairement fait. Et les organisations de producteurs - SLAFU (Sierra Leone Artisanal Fishermen’s Union/syndicat des pêcheurs artisans de Sierra Leone) et SLAAFU (Sierra Leone Amalgamated Artisanal Fishermen’s Union/syndicat unifié des pêcheurs artisans de Sierra Leone) - sont faibles, peut-être parce qu’elles n’ont pas un fonctionnement démocratique et qu’elles ne s’entendent pas bien.
La SLAFU représente les pêcheurs locaux et les travailleurs des services (charpentiers de marine, bûcherons/ scieurs, transformateurs, fabricants de paniers, machinistes, transporteurs…). Créée en décembre 2006, cette union syndicale cherche à harmoniser les objectifs de ses adhérents et à agir comme leur porte-drapeau. Elle élabore des règles pour une exploitation durable de la ressource et proteste contre les atteintes aux écosystèmes, contre l’usage d’engins interdits et la pêche sur des frayères et zones d’alevinage, par exemple. Elle a aussi d’autres objectifs : améliorer la gestion et l’hygiène sur les sites de débarquement, lutter contre la pollution, contre la déforestation des mangroves, veiller à la sécurité en mer, résoudre les conflits. La SLAFU a été formée par des pêcheurs connus de la communauté de Tombo, à l’ouest du pays ; et ils en constituent le bureau.
L’autre union syndicale
La SLAFU cherchait à se transformer en organisation nationale, ce qui n’était pas goût de certains pêcheurs d’autres régions du pays qui considéraient la SLAFU comme non démocratique (parce que les adhérents n’avaient pas leur mot à dire dans le choix de leurs représentants) et ayant un parti pris en faveur de la Région ouest où elle était née. La SLAAFU, comme son nom l’indique (amalgameted = unifiée) tente d’agir en tant qu’organisme chapeau, ce contre quoi la SLAFU fait de la résistance. Les relations entre ces deux structures sont faites de méfiance : c’est le moins qu’on puisse dire ! La constitution d’une organisation de producteurs acceptable, démocratique dans le secteur de la pêche artisanale en Sierra Leone demeure un gros problème.
Avec la Loi de 2004, des opportunités s’offrent en tout cas à ce secteur, car elle permet de tendre vers divers objectifs importants :
• Rapprocher les processus décisionnels des usagers de la ressource, des acteurs locaux et autres parties prenantes ;
• Comme toutes les parties prenantes sont dans le coup, assurer transparence et sens des responsabilités ;
• Dans le cadre communautaire, développer les capacités en matière de gestion des pêches ;
• Définir des plans de gestion avec la pleine participation des acteurs locaux ;
• Identifier les besoins, les manques au niveau local ;
• Promouvoir la prise de responsabilités pour la gestion de la ressource au niveau local et communautaire ;
• Chercher à établir un cadre favorable au développement durable et à la cogestion des pêcheries, et l’améliorer au fil du temps ;
• Intégrer les groupes d’usagers de la ressource à mesure que les rôles et les responsabilités des uns et des autres seront mieux définis.
Ce secteur est aussi confronté à des difficultés évidentes :
• L’absence de réelles structures étatiques, la faiblesse des ressources humaines dans l’Administration locale ;
• Le caractère insuffisant des fonctions dévolues à la pêche artisanale pour une bonne gestion des pêcheries au niveau local ;
• Le flou persistant quant aux rôles et responsabilités des diverses parties prenantes ;
• Financements limités (les versements aux Conseils locaux pour assurer les fonctions qui leur ont été dévolues se font à un rythme trimestriel) ;
• Conflits entre les différents usagers de la ressource et divers intervenants (SLAFU, SLAAFU, Conseils locaux, pêcheurs, poissonniers…), conflits internes aussi ;
• Assurer l’élection légitime d’acteurs clés comme les capitaines de port, les maîtres-pêcheurs, et limiter l’influence politique du gouvernement central et ses interventions.
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, Sierra Leone
Cet article a été publié dans Samudra 55, March 2010. Cette fiche existe également en anglais et espagnol.
Pour plus d’information
www.illegal-fi shing.info/sub_approach.php?country_title=sierra+leone
Infos sur la pêche illégale : Sierra Leone
www.imcsnet.org/imcs/docs/sierra_leone_fi shery_profi le_apr_08.pdf
Profil de la pêche en Sierra Leone
ftp://ftp.fao.org/FI/DOCUMENT/fcp/en/FI_CP_SL.pdf
FAO - Profil par pays : Sierra Leone
ICSF (International Collective in Support of Fishworkers) - 27 College Road, Chennai 600006, INDIA - Tel. (91) 44-2827 5303 - Fax (91) 44-2825 4457 - India - www.icsf.net - icsf (@) icsf.net