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dialogues, proposals, stories for global citizenship

Développement soutenable, des institutions urbaines à recycler en urgence

Claude Jacquier

2008

La troisième composante des territoires, les institutions, publiques et privées que ces gens construisent (institutions communautaires) et/ou qui s’imposent à eux (institutions sociétales) (Tönnies, Durkheim) est généralement négligée par les diagnostics et les stratégies mises en œuvre. Le mal être des territoires urbains est généralement imputé aux autres composantes (la dégradation des lieux, des gens peu recommandables) ou encore à leurs relations mutuelles (ne parle-t-on pas d’espaces criminogènes) mais rarement aux institutions. En fait, les villes sont plutôt malades de leurs institutions qui, en tant qu’artefacts historiquement datés, sont souvent devenues incapables de s’ajuster aux transformations de la réalité et d’assurer leur régulation. Les stratégies intégrées de développement urbain soutenable ont surtout mis en évidence le rôle déterminant qu’il faut accorder à cette dimension institutionnelle dans les dynamiques des villes (stagnation ou redéploiement).

La notion d’institution doit être comprise au sens large. Elle couvre l’ensemble des dispositifs de coordination des relations qui naissent au sein des composantes des territoires ou entre elles : des gens par rapport aux lieux (production, échange et consommation de biens), des gens par rapport aux gens (production, échange et consommation de services) ou encore les dispositifs de régulation de l’ensemble des relations qui prennent naissance au sein des sociétés (principalement politique). Ces institutions regroupent à la fois des entreprises industrielles et commerciales ou de services qui sont réglées par des conventions ou encore des institutions traditionnelles créées pour réguler et pour gouverner ces composantes des territoires (structures politico-administratives, associations, ONG, etc.).

Dans la première catégorie d’institutions figurent celles du champ économique au sens large (production, circulation et consommation des biens et services), et tout particulièrement les entreprises et les firmes, régies par des conventions particulières au sein desquelles se crée la valeur ajoutée et sont distribuées les rémunérations de ceux qui y ont contribué (rémunération du travail et du capital). Parmi ces institutions soulignons aussi celles qui sont chargées de prélever les contributions sociales et publiques, de les redistribuer et d’organiser les solidarités au sein du territoire entre les gens (solidarités sociales) et entre les lieux (solidarités spatiales). Les nouvelles approches de l’économie mettent de plus en plus l’accent sur cet encastrement nécessaire de la sphère de l’économique dans celles du social et de l’environnement. La seconde catégorie d’institutions regroupe celles qui sont supposées réguler les rapports entre les gens, entre les gens et les lieux où ils habitent ou travaillent et entre les institutions elles-mêmes ce qui contribue à maintenir l’être et le vivre ensemble dans la communauté. Ce sont des institutions à caractère politique au sens où ces rapports ne peuvent être réglés ni par des procédures techniques, ni par les mécanismes du marché mais nécessitent de faire des choix qui obéissent à d’autres rationalités (éthiques, morales, idéologiques, choix stratégiques). Parmi ces institutions, il y a celles détentrices de la «violence légitime» (Weber), chargées de maintenir l’ordre civil au sein du territoire (police) et d’assurer sa défense à sa périphérie (armée). Le nom du territoire (toponymie) avec sa symbolique associée peut aussi être considéré comme une institution, particulièrement lorsque ce territoire fait l’objet d’une taxinomie classificatoire (cf. les qualificatifs à charge ou à décharge qui leur sont attribués).

Face aux mutations qui affectent les autres composantes du territoire, les formes institutionnelles existantes, résultantes de rapports sédimentés au fil du temps (activités économiques, services publics, organisations, associations) n’ont plus la même maîtrise sur les lieux et ne sont plus investies de la même manière par les gens et par les nouveaux arrivants. Outre le fait de perdre de leur efficacité, ces vieilles institutions ont assez souvent des effets régressifs (peu d’incitations à innover, voire blocage des innovations). D’autres organisations institutionnelles se substituent à elles ou doivent leur être substituées. Elles ne poursuivent pas obligatoirement les mêmes objectifs. Cette adaptation institutionnelle a besoin de temps pour se mettre en place et pour permettre un certain enracinement dans les lieux et auprès des gens pour être efficace. Parfois, les institutions existantes freinent ces nouvelles pratiques sociales et leur opposent des codes et des routines anciennes que celles-ci doivent contourner. Tout cela ne va pas sans conflits et peut déboucher sur des affrontements autour de la question de l’appropriation des lieux (voir les affrontements entre jeunes dans certains quartiers de la ville ou entre communautés de diverses origines), affrontements qui se manifestent par exemple par la dégradation et la dévalorisation physique et symbolique des lieux et de l’environnement, par des trajectoires résidentielles ascendantes ou descendantes des gens, par le caractère régressif d’institutions désormais vidées de leur contenu suite au départ, ailleurs, de ceux qui les avaient édifiées. Ce constat qui vaut pour certains quartiers de villes est extensible aux évolutions des institutions chargées de réguler les territoires métropolitains ou les régions urbaines.

La mise en œuvre des stratégies intégrées de développement soutenable nécessite la construction de nouvelles institutions de régulation et de gouvernance. Les travaux de recherche réalisés en Europe montrent que ces institutions font appel essentiellement à des mécanismes coopératifs (l’intérêt bien compris de coopérer propre aux économistes). Trois types de coopération ont été expérimentés et mis en œuvre au fil du temps : la coopération horizontale, la coopération verticale et la coopération transversale. Ces coopérations sont de nature conflictuelle.

  • Avec la coopération horizontale (cf. l’intercommunalité), il s’est agi de lutter contre la fragmentation et de balkanisation des espaces urbains pour essayer de construire des espaces d’intervention plus homogènes par delà la diversité des intérêts en présence. Ce mouvement a été amorcé partout en Europe, dès la fin du 19ème siècle notamment lorsqu’il a fallu construire des réseaux qui ont aujourd’hui une importance majeure pour le développement soutenable (adduction d’eau, assainissement, électrification, ramassage des ordures ménagères et des déchets industriels, transports en commun, réalisation d’équipements collectifs scolaires, culturels, etc.). Ce mouvement de recomposition des territoires politico-administratifs ne s’est jamais interrompu (tentative d’une plus grande intégration politique des territoires urbains, fusion communales ou coopérations intercommunales). Il se prolonge au niveau européen avec la coopération transfrontalière, transrégionale ou transnationale (cf. INTERREG), ou pour la période 2007-2013 la coopération territoriale européenne avec la mise en place récente des Groupements européens de coopération territoriale –GECT),

  • Avec la coopération verticale (multivel), il s’agit de rompre avec une approche hiérarchisée, top-down, pour valoriser le principe de subsidiarité et une conception plus bottom-up de la conduite des politiques. On passe ainsi d’une approche dominée par les procédures administratives à des approches qui font appel aux processus négociés entre les acteurs. Ce mouvement a été amorcé dans les différents pays européens au tournant des années soixante-dix, notamment dans les villes, au moment où il est apparu qu’il n’était plus possible de «faire» la ville selon des procédures centralisées mais qu’il fallait «faire avec» la ville, avec ses divers acteurs, les gens qui s’y étaient installés et les lieux hérités de décennies, voire de siècles d’urbanisation. Le temps est alors venu d’approches contractuelles, multiniveau, mariant top-down et bottom-up.

  • La coopération transversale (multisectoral) est plus récente. Elle est née avec la diffusion des exigences du développement soutenable et la mise en œuvre des approches intégrée de développement urbain dès lors qu’il est apparu nécessaire de rompre avec une approche sectorisée de la mise en œuvre des politiques : sectorisation des politiques publiques (habitat, urbanisme, sécurité, social, éducation, culture, etc.), sectorisation des services, des agences et des organismes qui les mettent en œuvre. Il faut alors passer d’une organisation de type «appareil» à une organisation de type «réseau» d’acteurs (partenariat, interministérialité, interservices, coproduction entre acteurs). De toutes les formes de coopération, cette dernière est sans doute la plus difficile à mettre en œuvre et tous les pays buttent en la matière sur des résistances. Alors que les deux premières coopérations conduisaient à un élargissement des pouvoirs et des prérogatives de l’appareil politico-administratif, la troisième conduit à une mise en tension des champs de compétence politique traditionnels et surtout des cultures professionnelles, des déontologies, des routines et des logiques bureaucratiques. Personne n’est vraiment prêt à céder une parcelle de pouvoir et de territoire. La coopération transversale serait donc une manière de contourner le fonctionnement traditionnel des administrations (organisées selon les logiques d’appareil) par la mise en réseaux des acteurs qui les composent. Les logiques autoritaires, dirigistes, généralement top down (pouvoir d’un centre sur une étendue et un territoire bien délimité par une frontière) doivent céder désormais le pas à la coopération contractuelle (horizontale, verticale et surtout transversale) entre acteurs publics et privés au sein d’espaces moins homogènes et parfois plus fragmentés dont les limites et les frontières sont devenues plus floues. Tout cela relève pour paraphraser la conspiration des modernisateurs de Pierre Grémion, d’une conspiration réformiste (1).

Options possibles pour le recyclage institutionnel :

• Recruter des professionnels de talent disposant de savoirs et de savoir-faire leur permettant de faire une lecture anthropologique de la réalité du territoire (lieux, gens et institutions), de dynamiser les acteurs et les gens et de contourner de manière douce les obstacles bureaucratiques et les routines. Recruter des conspirateurs des réformes. La formation de ces professionnels doit être une préoccupation impérative des villes et de l’UE. Elle doit s’appuyer aussi sur des programmes de recherche permettant la mise à jour des savoirs enseignés (Recherche FP7 2007-2013).

• Elaborer des diagnostics partagés de la réalité des territoires urbains en sollicitant toute la diversité des acteurs qui y sont présents et tout particulièrement les gens. Ces diagnostics doivent porter sur les différentes composantes mises en évidence précédemment :

  •  

    • les lieux, en ne se limitant pas à leur dimension physique mais en se préoccupant de l’ensemble de leur dimension environnementale,

    • les gens en proposant des approches anthropologiques et en mettant l’accent sur la question du genre

    • la diversité des institutions.

• Prendre en compte les caractéristiques des milieux locaux, leur capital humain, leur capital social et surtout l’atmosphère relationnelle (Marshall) entre les gens et les acteurs locaux. Chaque territoire est singulier de ce point de vue. Là, résident des opportunités particulières de développement et des agents capables de les valoriser. Un programme visant à mobiliser les élus locaux doit être envisagé.

• A partir de ces diagnostics partagés et après avoir hûmé l’atmosphère locale, il est possible, avec ces acteurs, d’élaborer des projets et des plans d’action locaux de développement soutenable (cf. URBACT).

• S’appuyer sur l’élaboration de ces plans stratégiques pour réunir les divers intérêts présents sur un territoire et conforter par leur mise en œuvre la qualité du partenariat local. L’efficacité de ce partenariat public-privé local, support de ces projets et plans de développement est fondé sur la construction de coalitions socio-politiques (partnership agreement) regroupant les intérêts actifs au sein des trois piliers du développement soutenable (environnement, social et économie). Veiller à l’intégration des minorités et des populations marginalisées dans ces plans stratégiques.

• Construire les dispositifs de régulation de ces projets en mettant en œuvre les trois types de coopérations (coopération horizontale, coopération verticale, coopération transversale) conduisant à une coproduction du développement soutenable. Veiller à articuler dans une approche mixte, approche procédure (top-down, délégation, appareil) et approche processus (bottom-up, subsidiaire, réseaux).

• Veiller à consolider ces dispositifs en cherchant à transférer ces formes organisationnelles et ces pratiques au sein des vieux appareils politico-administratifs. Il faut pour cela construire des complicités au sein des administrations et auprès des divers acteurs : rôle des nouveaux professionnels, importance de la conspiration réformiste.

• Capitaliser ces expériences et leur dissémination. Mobiliser la recherche et la formation sur un grand programme européen prioritaire intitulé : «Les villes et le développement soutenable». Il faut former les élus locaux, les professionnels et les cadres du mouvement communautaire sur cette thématique essentielle pour le devenir du du continent européen et de la planète.

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Villes et territoires du recyclage urbain

Comments

Propositions pour le Conseil européen des ministres de la ville, Marseille 25 novembre 2008

Notes

1 GREMION P (1987).- L’échec des élites modernisatrices.- Esprit, Novembre, n° 11, pp. 3-8.

JACQUIER C. (2005).- On relationships between integrated policies for sustainable urban development and urban governance.- in Beaumont J., Musterd S Governance, Decentralization and the Rise of Local Participatory Democracy?., Tijdschrift voor Economische en Sociale Geografie Vol. 96, No. 4, the Royal Dutch Geographical Society KNAG, Blackwell Publishing, Oxford

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