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La bulle immobilière

Description générale des mécanismes économiques et sociaux de formation d’une bulle immobilière et d’amplification des changements survenus dans le domaine de l’immobilier sur le marché des terrains

Vincent RENARD

2003

Le fonctionnement des marchés fonciers conduit à un « effet multiplicateur » par le biais du compte à rebours effectué par les promoteurs : dans le bilan d’une opération, les coûts de construction, les frais financiers, les impôts et participations divers varient peu à court terme. Dès lors, pendant la phase ascensionnelle du cycle, la hausse du prix du mètre carré construit produit un effet hypertrophié sur le foncier. Si par exemple la part du foncier entre pour 20 % dans le coût total d’une opération, une augmentation de 20 % du prix de demande (l’offre restant à peu près stable à court terme en raison de l’inertie du processus de production) conduit à une hausse du prix du terrain qui peut avoisiner 100 %.

Cet effet multiplicateur exerce des effets considérables en retour sur les règles d’urbanisme, dans le sens de la flexibilité et de la négociation généralisée. Il devient bien difficile de « tenir » un zonage lorsque s’exprime une demande dans de telles conditions. On l’a constaté à la fin des années 1980, et à nouveau, quoique de façon différente, au cours des deux premières années de ce siècle.

Lorsque la demande est entraînée dans la spirale d’une bulle spéculative, l’effet de levier sur les prix fonciers produit avec retard des effets lourds de conséquences : des opérations lancées dans la phase haussière du cycle, sur une base de prix fonciers excessifs, peuvent ne se dénouer définitivement que quelques années plus tard, lorsque la bulle est en cours de dégonflement et que le prix de vente réel est devenu inférieur au prix escompté au moment du lancement du projet. Nombre de zones d’aménagement concerté de la région parisienne ont ainsi été bloquées au cours des années 1990 ; cela explique leurs déséquilibres financiers et en toute rigueur il faudrait accepter de revoir complètement les prix du foncier en fonction de prix de sortie revenus à la normale.

Le cliquet lors du retournement du cycle

Le fonctionnement des marchés fonciers ralentit d’autre part le retour à l’équilibre par un « effet de cliquet », frein à la baisse traduisant le comportement de propriétaires fonciers, personnes physiques ou personnes morales, qui ne souhaitent pas remettre leurs terrains sur le marché dans le climat qui succède à la phase haussière du cycle, quand les prix devraient normalement baisser. Il en résulte une raréfaction de l’offre de terrains et une tension permanente à la hausse sur les prix. Les niveaux anormaux atteints par les prix fonciers à la fin des années quatre-vingt, résultant d’ailleurs en bonne part de rumeurs et de quelques opérations spéculatives de marchands de biens, conduisent ainsi à une rétention quand les prix sont considérés comme insuffisants ; celle-ci est accrue dans la phase décroissante du cycle, et exerce un effet amortisseur à la hausse lors de la reprise.

Cet effet de cliquet à la baisse n’est pas de même nature que le multiplicateur, il ne résulte pas d’un mécanisme de nature économique, mais plutôt d’un effet de psychologie collective, d’un classique comportement d’attentisme fondé sur les anticipations de prix, par la simple extrapolation de prix qui avaient atteint des niveaux anormaux.

On peut noter ici que la transparence des marchés pourrait contribuer à limiter cet effet cliquet. L’évolution des prix fait preuve ainsi d’une plus grande inertie dans le processus de retour à l’équilibre en France que dans d’autres pays, comme la Grande Bretagne ou les Etats-Unis, où l’information sur les données foncières est plus importante. A l’inverse, des pays - tels le Japon ou l’Espagne - où l’information est moins transparente ont davantage mis en évidence cet effet de résistance à la baisse, de façon paroxystique dans le cas japonais.

Cycles et bulles sur les marchés immobiliers

Le marché immobilier a présenté, depuis le milieu des années quatre-vingt, toutes les caractéristiques d’une «bulle spéculative» au sens où les prix observés sur ces marchés ont été déconnectés de l’évolution des variables déterminantes de l’économie (prix, croissance, masse monétaire, etc.) et par rapport à des placements comparables en termes de durée et de risque.

Dans le prolongement des réflexions sur les marchés financiers, une recherche très abondante s’est développée depuis une quinzaine d’années sur ce thème sans parvenir à quelque consensus sur l’analyse des évolutions observées. Elle s’appuie davantage sur des phénomènes de mimétisme, du caractère auto-réalisateur des anticipations..

On peut prendre pour exemple l’évolution du prix des appartements à Paris intramuros ; celui-ci a presque doublé entre 1986 et 1990, tandis que le pouvoir d’achat augmentait de moins de 5 %… Le dégonflement de la bulle, amorcé à partir de 1990-1991, mais de façon très lente et progressive, a produit des résultats très négatifs, aussi bien en termes d’équilibre sociospatiaux que par ses effets macroéconomiques. Les pertes d’importants acteurs des marchés immobiliers ont ainsi été camouflées en « foncières » et autres techniques de « défaisance », consistant à « loger » des actifs surévalués ou des créances douteuses, voire clairement irrécouvrables, dans des sociétés créées à cette fin. Le montant total de ces créances douteuses aurait atteint entre 100 et 150 milliards de francs sur la période 1993-1995.

Ce cycle immobilier n’a atteint de façon marquée qu’une partie limitée du territoire (la région parisienne au premier chef, la Côte d’Azur, quelques grandes villes de province). Mais, par son importance et l’effet d’entraînement qu’il a exercé, il a pris une ampleur considérable et exercé un effet macroéconomique sensible.

Les explications des facteurs du déclenchement, de la poursuite et du retournement du cycle sont très délicates à mettre en évidence. Le déclenchement de la phase ascendante du cycle peut se produire pour des raisons liées au climat économique général, à l’intervention d’investisseurs étrangers, à des interventions législatives ou réglementaires. En 1985-1986, les trois conditions ont été réunies, avec notamment, sur le plan réglementaire, un allégement très marqué, en janvier 1985, des contraintes pesant sur la construction de bureaux : suppression de l’ »agrément-constructeur » en blanc, abaissement de l’ »agrément-utilisateur » à 2000 m2 de bureaux par an et par site, suppression pour les villes nouvelles. Ce « climat » propre au marché des bureaux a été étendu et renforcé par le vote fin 1986 d’une loi sur l’urbanisme et le logement (« loi Méhaignerie ») comprenant des mesures de déréglementation et d’offre foncière, en particulier la relaxation de la règle dite de « constructibilité limitée » restreignant les possibilités de construire dans les communes ne s’étant pas dotées d’un Plan d’Occupation des Sols.

Il serait pourtant hasardeux de s’en tenir à une explication purement hexagonale de la genèse de ce cycle immobilier. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer la quasi simultanéité, à partir du milieu des années 1980, de cycles d’une ampleur exceptionnelle dans des pays aussi différents que le Japon, la Corée, l’Espagne, la France, la Grande Bretagne, la Suède ou les Etats-Unis (RENAUD, 1997). Force est donc de chercher des facteurs d’une portée plus large. Mais si de nombreux pays ont été atteints par cette bulle spéculative, ils se sont nettement différenciés dans leur déroulement, en particulier dans la vitesse du retour à l’équilibre, la France se caractérisant dans cette phase, comme le Japon, par une forte rigidité à la baisse, aggravant ainsi la crise financière induite.

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Marchés, conjoncture et bulles immobilières

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Texte extrait de l’ouvrage Claude Lacour, Evelyne Perrin, Nicole Rousier, Les nouvelles frontières de l’économie urbaine Editions de l’Aube, 2005. Ce livre rassemble les contributions de l’Atelier Economies urbaines du PUCA

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