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Le choc en retour des participations illégales

Utile mise en garde des communes risquant de se faire piéger par un aménageur lotisseur qui peut les conduire à la faute en leur versant des participations financières qui seront ensuite récupérées par la voie contentieuse une fois l’opération terminée.

Jean-Pierre Demouveaux

1998

Le régime des participations exigibles des constructeurs au titre du financement des équipements publics résulte, actuellement, de la superposition de trois textes : la loi du 18 juillet 1985, la loi Sapin du 29 janvier 1993, et enfin la loi Bosson du 9 février 1994.

Après quelques années de fonctionnement du dispositif1, le juge administratif voit apparaître les premiers contentieux. Il se révèle des risques d’effets pervers dont il est encore difficile de mesurer l’importance.

D’une part, l’application des dispositions très favorables aux constructeurs que sont les articles L. 332-6 et L. 332-6-1 du Code de l’urbanisme peut donner à ceux-ci l’occasion de réaliser un montage stratégique d’autant plus redoutable que l’avantage final en est obtenu par la voie contentieuse. Le juge administratif donne ainsi la caution involontaire de sa légitimité à une opération fort avantageuse, mais qui, pour avoir respecté les formes légales, n’en constitue pas moins un détournement ou un abus de droit.

Racket municipal

D’autre part, les communes, qui, pour peu qu’elles n’aient pas modifié leurs pratiques, se trouvent placées dans l’illégalité plus facilement et plus fréquemment qu’auparavant, sont dès lors tentées de s’y enferrer, et de récupérer par la pression ou la contrainte les ressources dont le droit les prive.

Nous étudions ici le premier de ces effets pervers. Du point de vue du constructeur, les dispositions de l’article L. 332-30 du Code de l’urbanisme constituent, et tel était l’objectif du législateur, une protection efficace contre la tentation des communes de ” négocier ” la délivrance du permis de construire ou de lotir un terrain en contrepartie du financement ” gracieux ” d’équipements d’intérêt général faisant défaut dans la commune.

Afin de dissuader définitivement les collectivités locales de jouer un tel jeu, dont l’opacité donnait lieu à des abus conduisant à des accusations constamment renouvelées de ” racket municipal “, le législateur a non seulement élargi le champ d’application de ” l’action en répétition ” (pour obtenir la répétition de l’indu, c’est-à-dire le remboursement de ce qui a été payé sans cause), mais en a alourdi les dispositions pénalisantes.

Désormais encadrée par l’article L. 332-30 du Code de l’urbanisme, l’action en répétition s’étend indifféremment aux participations indûment versées, que celles-ci l’aient été au titre d’un permis de construire, d’une autorisation de lotir ou d’une convention de ZAC. L’article L. 332-28 définit le fait générateur de la participation comme étant l’autorisation d’urbanisme elle-même, le programme d’aménagement d’ensemble ou encore la convention d’aménagement de la ZAC. En conséquence, fût-elle relative à des travaux susceptibles d’être légalement mis à la charge du constructeur, toute participation négociée ou exigée en marge de l’autorisation d’urbanisme, et dont il ne serait pas fait état dans les prescriptions financières de celle-ci, est de ce seul fait illégale et peut donner lieu à une action en répétition3.

La tentation du constructeur

Le corollaire de cette obligation de transparence est la possibilité, reconnue par la jurisprudence4 et le législateur5, de dissocier les dispositions d’urbanisme du permis de construire de ses dispositions financières (susceptibles de recours pour excès de pouvoir). Ainsi, la réalisation de l’opération n’est pas mise en péril par un recours spécifique dirigé contre la participation. Ce point n’est pas sans incidence sur l’essor constaté du recours à l’action en répétition, et permet sans doute de lever une réticence naturelle du constructeur à invoquer l’illégalité d’une autorisation d’urbanisme obtenue à grand peine quelques années plus tôt. Cette réticence peut subsister en dépit des incidences limitées de l’exception d’illégalité sur le sort d’un acte administratif.

Enfin, si l’article L. 332-30 a repris les dispositions de l’article L. 332-6 ancien, reconnaissant au constructeur un droit à répétition des sommes indûment versées, assorties d’un délai de prescription de cinq ans, il a en outre prévu que ” les sommes à rembourser porteraient intérêt au taux légal majoré de cinq points “. Cette disposition s’est trouvée être la bienvenue, car la loi Sapin est intervenue d’une part en pleine crise de l’immobilier, d’autre part au début d’une période de décrue des taux d’intérêts. Une telle conjonction privait les entreprises de promotion et de construction pratiquant le crédit immobilier d’une source très appréciable de revenus.

Le resserrement des contraintes pesant sur les catégories de participations pouvant être légalement exigées d’un constructeur a, par contrecoup, élargi le champ d’application de l’action en répétition de l’indu. Par ailleurs, la crise de l’immobilier a levé les considérations de prudence qui, de la part des constructeurs, rendaient relativement rare l’utilisation de cette procédure à l’encontre des communes trop gourmandes.

C’est donc là l’occasion ou jamais pour les constructeurs d’éprouver les insignes avantages que comporte par elle-même la procédure d’action en répétition de l’indu. Ils sont évidents même au constructeur le moins machiavélique, et il est très tentant, en une période de vaches maigres, d’en exploiter les possibilités.

Ces avantages se laissent résumer en quelques points.

 

La créance générée par une participation illégale revêt un caractère non fiscal. La commune débitrice de cette participation ne peut donc invoquer un droit général de compensation qui lui permettrait de déduire de cette somme celle qu’elle aurait été en droit de réclamer au titre de la taxe locale d’équipement6.

L’action en répétition se distingue d’une action en dommages-intérêts engagée sur le fondement de la faute. Il en résulte qu’elle exclut tout partage de responsabilité entre le constructeur et la commune. Celle-ci ne peut par suite, pour diminuer le montant de sa créance, invoquer utilement les turpitudes dont se serait rendu coupable son partenaire, que celles-ci aient consisté à faire de lui-même l’offre de la participation illégale7, ou à en accepter le principe dont il connaissait parfaitement le caractère illégal8.

Le remboursement de la participation illégale reste en totalité exigible par le constructeur, alors même qu’il a pris la précaution d’en répercuter intégralement le coût dans les prix de vente des lots ou des constructions9.

Surtout, et c’est là un point encore mal perçu par de nombreuses communes, le fondement des participations ne saurait revêtir un caractère contractuel. Un contrat ou une convention portant sur la nature et le montant des participations, et qui révèle la réalité d’un accord intervenu à ce sujet entre la commune et le constructeur, ne fait donc pas obstacle, quelle que soit la forme de ce dernier, à l’action en répétition pouvant être engagée ultérieurement par le constructeur cocontractant, dès lors bien sûr que les participations en question ne font pas partie de celles énumérées par l’article L. 332-6-1 du Code de l’urbanisme10.

Une arme redoutable aux mains des constructeurs

De ce caractère objectif de l’action en répétition de l’indu, il s’ensuit enfin qu’il est vain pour une commune de chercher à la prévenir par le biais d’une renonciation écrite du constructeur à toute action contentieuse ultérieure : il a été récemment jugé qu’une telle convention n’a pas pour effet de rendre irrecevable une action en justice engagée sur le fondement de l’article L. 332-30 du Code de l’urbanisme11.

Maniée intelligemment, l’action en répétition de l’indu peut devenir une arme redoutable, non seulement défensive et destinée à protéger les constructeurs des tentatives de ” racket municipal ” évoquées plus haut, mais aussi offensive, car garantissant la rentabilité d’une opération dès l’origine illicite.

Prenons d’abord l’exemple d’une petite commune, dotée d’un cadre de vie agréable et dont le caractère rural est en sursis en raison de l’attraction exercée en périphérie de son territoire par une agglomération plus importante. En raison de sa faible population et des capacités contributives limitées de ses ressortissants, elle ne dispose pas d’un service d’urbanisme capable de surmonter les difficultés juridiques d’une opération d’urbanisme importante.

Un contexte aussi favorable attire un constructeur, qui envisage d’y réaliser un lotissement de cinquante maisons individuelles. La commune se montre d’abord réticente, car il lui est facile de constater que la taxe locale d’équipement ne pourra lui permettre de faire face aux besoins de la nouvelle population. Mais elle se laisse convaincre qu’un apport de population nouvelle, s’il impose certes la réalisation d’équipements nouveaux, est à terme garant du dynamisme de la commune, et que d’autre part, la question des besoins nouveaux pourra facilement se résoudre soit par l’adoption d’un programme d’aménagement d’ensemble (PAE), en application de l’article L. 332-9, soit par une convention de travaux à mettre à la charge du constructeur.

Les dispositions de l’article L. 332-6 du code permettent en effet de choisir entre l’assujettissement mécanique de l’opération à la taxe locale d’équipement, la fixation d’une participation forfaitaire par le constructeur dans les secteurs d’aménagement de l’article L. 332-9, ou le versement d’une ” contribution aux dépenses d’équipements publics ” dont la liste est précisée par l’article L. 332-6-1, la seule contrainte étant de ne pas cumuler ces participations sur une même opération.

Le maire constate que la construction de cinquante maisons dans un ” écart ” de la commune va entraîner l’extension des divers réseaux, la création d’une voie de raccordement de la voirie interne du lotissement à la voie publique communale, et imposer l’aménagement d’un carrefour à la jonction de ces deux voies. Il propose alors de mettre à la charge du constructeur, par convention négociée parallèlement à l’instruction du permis de construire ou de l’autorisation de lotir, l’intégralité de ces travaux. Le constructeur, pressé d’obtenir le permis de construire et de pouvoir engager l’opération, s’engage sans difficulté à réaliser ces travaux à ses frais. Le maire inscrit donc au nombre des prescriptions du permis de construire le versement d’une participation pour ces divers équipements.

Naïveté ou corruption

L’opération achevée, le constructeur s’avise que les travaux d’aménagement du carrefour, situé en dehors du lotissement et qui sera emprunté, du fait de l’urbanisation croissante du quartier, par bien d’autres utilisateurs des deux voies que les résidents de son lotissement, n’auraient pas dû être mis à sa charge. Il demande donc la répétition de la somme indûment versée à ce titre, reversement que la commune, sûre de son bon droit et lui rappelant les termes de son engagement conclu quelques mois plus tôt, lui refuse. Démarre alors la procédure contentieuse, au terme de laquelle le constructeur obtient la condamnation de la commune à lui rembourser l’intégralité des sommes versées au titre des travaux indûment mis à sa charge, assortie des intérêts au taux légal, majorés de cinq points, et ce à compter de la date de versement de ces sommes.

Dans cette description du mécanisme de la répétition de l’indu, les acteurs sont de bonne foi. Imaginons maintenant le même scénario, avec cette fois une duplicité partagée. Les dispositions du Code de l’urbanisme ont alors pour effet de rémunérer au profit du constructeur la corruption ou la naïveté de la municipalité, alors même que l’opération n’aurait jamais pu être engagée si la commune ne s’était préalablement laissée abuser ou corrompre.

Il est en effet tout à fait possible à un constructeur expérimenté, se trouvant dans un cas analogue à celui précédemment décrit, non seulement de convaincre un maire des bienfaits et des avantages qu’apporte, par rapport au mécanisme de la taxe locale d’équipement, un système de financement des équipements publics par voie de participations négociées, mais également de l’inciter à gonfler la liste de ces participations de manière à sortir du champ d’application tracé par l’article L. 332-6-1 du Code de l’urbanisme.

C’est là poser les jalons, pour les prochaines cinq années, d’une future action en répétition à coup sûr victorieuse ! Plus l’opération sera importante, plus l’empressement du constructeur à acquitter en contrepartie de lourdes participations pour l’équipement de la commune paraîtra crédible et n’être en somme qu’un échange de bons procédés. Cette générosité sera d’autant plus justifiée aux yeux de la municipalité que la délivrance de l’autorisation de lotir aura été précédée d’une opportune modification du POS réalisée par ses soins.

Placement fructueux

Si une autorisation est délivrée dans de telles conditions, il est certes indispensable à son succès final que l’action en répétition soit engagée après la commercialisation des lots ou l’exécution des travaux, car on ne saurait sous-estimer les dangers suscités par un conseil municipal surpris et rendu furieux par l’engagement d’une action contentieuse inattendue. La commune doit par ailleurs avoir épuisé tous les attraits dont elle peut être revêtue aux yeux du constructeur et tous les services qu’elle peut lui rendre, car il est bien sûr exclu, après un tel exploit, de la solliciter à nouveau pour une seconde opération.

On mesurera le bénéfice réalisé si l’on constate que, pour un montant de participations de dix millions de francs, le constructeur a eu ” droit ” à la modification du POS qui le gênait, à la délivrance de l’autorisation de lotir qu’il sollicitait, à l’exonération de la taxe locale d’équipement dont il était redevable, et ce, tout en obtenant quelques années après, d’une part, la récupération de cette somme par l’intermédiaire des prix de vente, d’autre part son remboursement intégral par voie de justice, sans compter un taux d’intérêt légal majoré de cinq points, courant depuis la date du versement de la somme jusqu’au prononcé du jugement, placement fructueux s’il en est !

Curieusement, les recours interviennent presque toujours à la limite de l’expiration du délai de prescription, de façon trop systématique pour que ce fait puisse être imputable à une négligence ou une méconnaissance de cette procédure de la part du constructeur. Comme le délai de prescription de cinq ans est interrompu par la procédure contentieuse, l’explosion du contentieux permet en effet aux parties d’ajouter les délais de jugement au décompte des intérêts. Il est clair que dans ces affaires les longs délais parfois mis par les juridictions administratives à statuer sur les requêtes sont favorables au demandeur, pour peu que celui-ci ait une surface financière importante, et également sans doute aux décideurs locaux, qui peut-être ne seront plus en place à la date du paiement effectif de la somme due par les contribuables de la commune.

De plus, sur le plan fiscal, les produits d’un litige de ce type, qu’ils aient été comptabilisés au titre des ” pertes et profits exceptionnels ” ou à celui des bénéfices après en avoir été, lors du paiement, déduits au titre des charges, entrent dans le calcul de l’impôt.

Le constructeur garde, sous réserve de l’aléa que constitue le délai de jugement de l’action contentieuse, la maîtrise de la date à laquelle ce produit apparaîtra dans ses comptes. Pour le constructeur, qui a la possibilité d’intégrer le coût des participations dans le prix de revient de l’opération, il peut être intéressant de minorer le résultat d’une opération en prenant en compte le versement de participations que l’on sait indues, pour les récupérer quelques années plus tard dans un contexte peut-être fiscalement plus favorable. Et ce alors même que celles-ci auront été répercutées dans le prix de vente des lots…

Quant aux intérêts moratoires, ils sont, de manière générale, considérés par l’administration fiscale comme non imposables, dès lors qu’ils sont afférents à des dégrèvements d’impôts12. Si l’on veut bien accepter d’assimiler la répétition de la participation indue à un dégrèvement fiscal, les intérêts moratoires, particulièrement élevés, perçus à la suite d’une répétition de l’indu, pourraient se voir reconnaître ce caractère non imposable. Le constructeur bien conseillé ne fera alors apparaître dans ses comptes, et avec un différé de plusieurs années, que la part correspondant à la somme indûment versée, et non les intérêts de celle-ci.

Attirer la curiosité des journalistes

Une tentative d’atténuation à ce mécanisme implacable a été opérée dans une récente affaire soumise au tribunal administratif de Versailles13. S’inspirant d’une jurisprudence classique de la Cour de cassation (le caractère particulier de la répétition de l’indu ne fait pas obstacle à l’application de l’article 1378 du Code civil)14, le juge administratif a tenu compte de la ” mauvaise foi ” du constructeur. Celui-ci avait délibérément incité la commune à mettre à sa charge des travaux indus et attendu la limite du délai de prescription de l’action en répétition pour demander à la commune le reversement des sommes litigieuses. La seule marge de manœuvre envisageable était le point de départ du calcul des intérêts, qui dans cette affaire a été fixé à la date de la demande de remboursement, et non comme le juge l’avait jusqu’alors admis, la date du versement de la participation indue à la commune15.

Modeste modulation qui, si elle était confirmée en appel, permettrait d’introduire dans la pratique de l’action en répétition en droit administratif une part d’équité qui serait bienvenue. Cela permettrait peut-être de réduire la tentation de part et d’autre de dévoyer la dernière en date des tentatives de moralisation de ce domaine.

Les participations pour équipements publics n’ont jusqu’à présent pas attiré la curiosité du juge pénal ni celle des journalistes. Nous ne disposons donc pas d’enquêtes approfondies dont les résultats confirmeraient les soupçons qu’un tel régime de financement fait immanquablement naître, et le juge administratif s’interdit quant à lui de relever de tels errements, dès lors qu’il n’en peut tirer pour son propre compte aucune conséquence juridique.

Il est en tout cas clair, et constatable au seul vu des textes et de la jurisprudence, que les dispositions du Code de l’urbanisme et les particularités de l’action en répétition fournissent aux opérateurs privés des armes actuellement imparables. La question reste ensuite posée de savoir si les risques de dévoiement évoqués ne sont qu’une hypothèse d’école ou s’ils correspondent à une pratique effective et ayant cessé d’ores et déjà d’être marginale.

Malignité de certains grands constructeurs

Il est au moins un cas d’espèce que nous aimerions évoquer pour finir, tant il est amusant et témoigne jusqu’à la caricature de la naïveté des maires de petites communes et de la malignité de certains grands constructeurs. Il s’agissait, dans une commune de la région parisienne comprenant 2107 habitants, de réaliser auprès d’un golf 61 maisons individuelles. La société de construction, ayant son siège avenue Montaigne, et le maire de la commune signent une convention par laquelle ” dans le cadre de l’arrêté de permis de construire groupé “, la société accepte de réaliser des travaux, de rétrocéder des terrains, et d’acquitter une participation financière, destinée notamment à la réfection de deux rues, à la ” remise aux normes de l’école “, à la construction d’une cantine scolaire, ainsi qu’à la réalisation de quatre courts de tennis, d’une salle polyvalente, d’un terrain de sports et d’un ” parcours de santé “. Sans oublier l’amélioration de la bibliothèque, l’aménagement d’une aire de stationnement pour les nomades, et enfin, last but not least, la quatrième tranche des travaux de restauration de l’église !

Le résultat est prévisible. Une fois le permis de construire exécuté, la société obtient du tribunal administratif la restitution par la commune à concurrence de 5 836 622 F des sommes ainsi versées, le tout augmenté bien entendu des intérêts au taux légal. Le maire s’était abstenu de toute défense, et quand il s’est décidé à faire appel, sa requête a été rejetée pour tardiveté. En tout état de cause, il estimait que le soin d’assurer la défense des intérêts communaux devait incomber à l’Etat : n’était-ce pas sur les conseils du sous-préfet de l’arrondissement qu’il avait signé cette mirifique convention, si avantageuse pour la commune ! Il ignorait que la sottise des sous-préfets n’est, pas plus que la malice des promoteurs, de nature à dispenser la commune de son obligation de payer, lorsque c’est elle-même qui a pris la responsabilité de prescrire les participations illégales et en a tiré bénéfice16. Et la Cour administrative d’appel lui a rappelé ce principe lorsqu’il a recherché devant elle la responsabilité de l’Etat à raison des fautes commises par les services de celui-ci.

” Dans un Etat de droit, l’achat de la décision est inconcevable “, écrivait P.-L. Frier lors de l’entrée en vigueur de la loi Sapin17. Bien que ce dernier texte ait tenté de mettre fin à cette pratique, on peut douter qu’il y parvienne, puisque le mécanisme de l’action en répétition de l’indu permet à la fois d’acheter la décision, d’en répercuter le coût dans les prix de vente, d’être exonéré de la taxe locale d’équipement, et de récupérer ensuite la somme en liquidités, augmentée d’un taux défiant toute concurrence ! Le juge administratif manifeste généralement envers les constructeurs et les aménageurs une sévérité excessive, et il est très difficile aux membres de cette profession d’obtenir par voie de justice la réparation des préjudices qu’ils subissent du fait des fautes ou des errements commis par l’administration, ceux-ci fussent-ils avérés18. La combinaison des articles L. 332-6 et L. 332-30 du Code de l’urbanisme leur permet de tirer de cette relative iniquité des revanches éclatantes. Mais la manière dont parfois ils y parviennent ne contribue guère à moraliser le secteur pourtant déjà bien décrié du financement de l’urbanisme.

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1. Pour sa description voir : F. Bouyssou : ” Participations des constructeurs et lotisseurs “, Juris-cl. Fiscalité immobilière, Fasc. 640 et 641 ; P.-L. Frier : ” Participation financière et corruption “, AJDA spécial, 20 mai 1993, p. 148 ; J. Molas : ” Le contentieux des participations “, in Qui doit payer la ville ?, ADEF, 1996, p. 65.

2. CAA Lyon 24 février 1994, M. Malet, BJDU, mai 1994, p. 78, concl. Halvoet.

3. Ce principe avait toujours valu pour les autorisations de lotir : CE 20 juillet 1971, Sté civile du Domaine du Bernet, JCP éd. G. 1973, II, 17330, obs. Bouyssou ; CE 2 décembre 1991, Cne de Varetz, req. 82406 ; CE 30 mars 1994 Sté Loficoop, Droit fiscal, 1994, comm. 1415.

4. CE 13 novembre 1981, Plunian, Rec. p. 413, concl. Labetoulle, AJDA 1982, p. 92.

5. Art. L. 332-7 du Code de l’urbanisme (loi du 18 juillet 1985).

6. CE 22 juin 1987, Ville de Rambouillet, req. 69759.

7. CE 29 avril 1983, Cne de Carqueiranne, req. 25382, RD imm. 1984, p. 47, chron. Bouyssou.

8. TA Versailles 16 décembre 1997, SNC Constantinowitz, req. 94-5113.

9. CE 12 avril 1991, Cne de Mallemort, req. 73795.

10. CE 6 mars 1989, Cne de Crolles, Dr. adm. 1989 comm. 225.

11. TA Versailles 5 mai 1998, Sté franco-suisse de bâtiment, req. 95-1332.

12. Note 19 avril 1994, 5 1-2-94, citée in Doc. pratique Francis Lefebvre fiscal, RM IV, 7400.

13. TA Versailles, 16 décembre 1997, SNC Constantinowitz, req. 94-5113 ; BJDU 1998, p. 155 ; Mon. TP 2 mai 1998, p. 50; Dr. adm. 1998, com. 230.

14. Cass. Com. 16 décembre 1980, Adm. des douanes c/ SARL ” Les fils de Henri Ramel ” ; D. 1981.380, note C.-J. Berr.

15. CAA Lyon, 18 février 1997, SCI 268 Avenue de la Lanterne, req. 94-1386 ; Dr. adm. 1998 comm. 39, note Grau.

16. CE 8 février 1989, Cne d’Auzeville-Tolosane, Rec. CE tables p. 516-604-923-925 ; Dr. adm. 1989 comm. 225.

17. In Participations financières et corruption, p. 154, op. cit.

18. Citerons deux espèces à notre avis choquantes, dans lesquelles les communes ont été entièrement exonérées des fautes qu’elles avaient commises lors du montage d’opérations d’urbanisme, les aménageurs devant, selon le juge, assumer les risques inhérents à leur profession : CAA Paris 19 septembre 1995, M. Sillé, Quot. jur. 5 mars 1996, chron. Morand-Deviller, et TA Paris 29 octobre 1997 SOFIM, Etudes foncières n° 78, mars 1998, p. 42, chron. B. Lamorlette.

Participations et PAE

Depuis 1967, il est admis que pour financer une certaine sorte d’équipements publics, soit mis en place un dispositif de participation financière auquel puissent être assujettis les constructeurs ou les aménageurs concernés par le projet. Ce dispositif a fini par être assez bien encadré, la jurisprudence et la doctrine ayant notamment pris le parti, pour définir ces équipements, d’affiner toujours davantage la notion restrictive ” d’équipements propres “.

La loi du 18 juillet 1985 a mis au point une procédure de financement des équipements publics, le programme d’aménagement d’ensemble (PAE), qui fonctionne grâce à un critère plus souple, celui des équipements ” correspondant aux besoins des habitants actuels ou futurs du secteur concerné et rendus nécessaires par la mise en œuvre du programme d’aménagement “. Un tel critère permet d’inclure dans le programme des équipements ne répondant pas exclusivement aux besoins des habitants du secteur considéré2.

L’application de ce critère n’a pas toujours produit des résultats excellents, puisqu’est née dès lors une pratique consistant à faire supporter par les constructeurs le coût d’équipements sans rapport ou hors de proportion avec les besoins spécifiques des futurs bénéficiaires des opérations de construction.

La loi Sapin du 29 janvier 1993 a tenté de mettre fin à ces abus, en posant le principe selon lequel les équipements publics devaient être réalisés ” dans l’intérêt principal des usagers des constructions à édifier dans le secteur concerné “. La notion ” d’intérêt principal ” n’a pas pour autant réussi à s’imposer. Elle s’est révélée ou bien de maniement trop difficile, ou bien a eu pour effet d’exclure des équipements incontestablement utiles, mais dont l’importance ne pouvait être limitée à un secteur ou une zone particulière.

Il a donc incombé au législateur du 9 février 1994 de lever la condition relative à l’intérêt principal. Lui a été substitué, par une sorte de retour à la loi de 1985, le critère selon lequel les équipements doivent ” répondre aux besoins des futurs habitants ou usagers “. Un principe de proportionnalité était par ailleurs apparu, dans la loi Sapin, entre la participation exigible du constructeur et les besoins nouveaux induits par les usagers des constructions à édifier, le constructeur ne pouvant supporter seul le coût d’équipements publics réalisés certes à l’occasion de son projet, mais dimensionnés de façon à permettre soit la poursuite d’une urbanisation future, soit la satisfaction de besoins existants que la commune avait jusqu’alors négligés.

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Droit de l’urbanisme en milieu urbain.

Source

Jean Pierre Demouveaux et Isabelle Maréchal, Etudes foncières, 1998.

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