Le droit à l’eau - 2
11 / 2009
Le droit à l’eau et le droit à l’assainissement sont des droits humains fondamentaux, reconnus implicitement ou explicitement dans plusieurs traités internationaux et régionaux (1) et dans le droit interne de certains États (1). En 2003, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies a donné la définition du droit à l’eau et des obligations corrélatives des États qui fait aujourd’hui autorité en droit international (2). Dans son plus récent rapport, l’Experte indépendante du Conseil des droits de l’homme (CoDH), Catarina de Albuquerque, a défini le droit à l’assainissement et les obligations corrélatives des États (3).
a) La reconnaissance du droit à l’eau et du droit à l’assainissement dans les traités internationaux et régionaux et dans le droit interne de certains États
Le droit à l’eau et le droit à l’assainissement ont été reconnus implicitement dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (article 25) et dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) de 1966 (article 11), à travers le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant et le droit à la santé (2). Ils ont également été reconnus implicitement à l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui consacre le droit à la vie (3).
La première reconnaissance explicite du droit à l’eau au niveau international a eu lieu à la Conférence des Nations Unies sur l’eau, qui s’est tenue à Mar del Plata en 1977. Au cours de cette conférence, les États ont déclaré que « tous les peuples, quels que soient leur stade de développement et leur situation économique et sociale, ont le droit d’avoir accès à une eau potable dont la quantité et la qualité soient égales à leurs besoins essentiels. » (4)
Le droit à l’eau et le droit à l’assainissement ont ensuite été reconnus dans la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, en 1979, et dans la Convention relative aux droits de l’enfant en 1989. La première prévoit que les États parties doivent assurer aux femmes vivant en milieu rural le droit de « bénéficier de conditions de vie convenables, notamment en ce qui concerne le logement, l’assainissement, l’approvisionnement en électricité et en eau » (article 14, paragraphe 2). La seconde prévoit que les États parties doivent lutter contre la maladie et la malnutrition grâce « à la fourniture d’aliments nutritifs et d’eau potable, compte tenu des dangers et des risques de pollution du milieu naturel » (article 24, paragraphe 2).
Au niveau régional, la reconnaissance la plus explicite du droit à l’eau et du droit à l’assainissement se trouve dans les instruments africains de protection des droits des femmes et de l’enfant. Dans le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes, les États se sont engagés à assurer l’accès à l’eau potable des femmes (article 15) et à réglementer la gestion, la transformation, le stockage et l’élimination des déchets domestiques (article 18). Dans la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, ils se sont engagés à prendre les mesures nécessaires pour assurer la fourniture d’eau potable aux enfants (article 14, paragraphe 2).
Dans le Protocole de San Salvador, qui complète la Convention américaine des droits de l’homme, les États ont reconnu que « chacun a droit de vivre dans un environnement sain et d’avoir accès aux services publics de base » (article 11, paragraphe 1).
Au niveau national, le droit à l’eau et le droit à l’assainissement sont reconnus dans plusieurs Constitutions nationales – par exemple en Bolivie et en Uruguay. Ils sont également reconnus dans un très grand nombre de lois nationales (5) et une jurisprudence importante confirme qu’ils peuvent être protégés à travers le droit à la vie, le droit à la santé ou le droit à un niveau de vie suffisant (6). L’un des meilleurs exemples de la protection du droit à l’eau au niveau national est la consécration du droit à l’eau dans la Constitution de l’Afrique du sud (7) et sa reconnaissance dans une loi nationale (8), qui ont permis à une Haute Cour de la région de Johannesbourg d’obliger la municipalité de la ville à fournir 50 litres d’eau par habitant et par jour, dans une décision rendue en 2008 (9).
b) La définition du droit à l’eau et des obligations corrélatives des États par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels
En 2002, à la veille de l’année internationale de l’eau douce, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CODESC), qui surveille l’application du PIDESC, a adopté l’Observation générale n°15, dans laquelle il a défini le droit à l’eau et les obligations corrélatives des États.
Dans l’Observation générale n°15, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a commencé par reconnaître que le droit à l’eau était un droit humain fondamental protégé par le Pacte. Pour le Comité, « le droit à l’eau est indispensable pour mener une vie digne. Il est une condition préalable à la réalisation des autres droits de l’homme » (10). Le Comité a également insisté sur le fait que « l’eau devrait être considérée comme un bien social et culturel et non essentiellement comme un bien économique. Le droit à l’eau doit aussi être exercé dans des conditions de durabilité, afin que les générations actuelles et futures puissent en bénéficier » (11).
Le Comité a ensuite donné la définition du droit à l’eau qui fait aujourd’hui autorité en droit international. Selon cette définition, le droit à l’eau est « le droit à un approvisionnement suffisant, physiquement accessible et à un coût abordable, d’une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques de chacun » (12).
Selon la définition donnée par le CODESC, toute personne a droit à une eau qui soit salubre et de qualité acceptable, disponible en quantité suffisante et de façon constante, et accessible physiquement, économiquement (à un coût abordable) et sans discrimination (13).
Le Comité a précisé que « l’eau disponible pour chaque personne doit être suffisante et constante pour les usages personnels et domestiques, qui sont normalement la consommation, l’assainissement individuel, le lavage du linge, la préparation des aliments ainsi que l’hygiène personnelle et domestique » (14).
Le Comité a également souligné l’importance de l’accès à l’assainissement, en indiquant que « garantir l’accès à un assainissement adéquat est non seulement fondamental pour le respect de la dignité humaine et de la vie privée, mais constitue aussi un des principaux moyens de protéger la qualité de l’approvisionnement et des ressources en eau potable » (15). Dans cette observation générale, le Comité n’a cependant pas précisé que le droit à l’assainissement était un droit autonome.
Dans la suite de son Observation générale n°15, le CODESC a défini les obligations corrélatives des États. Pour le Comité, les États, comme pour tous les autres droits humains, ont l’obligation de respecter le droit à l’eau, de le protéger et de lui donner effet (16).
L’obligation de respecter le droit à l’eau implique que les États ne doivent pas interférer dans l’exercice du droit à l’eau. Les États ont par exemple l’interdiction d’interrompre le service de l’eau, de distribuer de l’eau insalubre, ou d’augmenter de façon disproportionnée ou discriminatoire le prix de l’eau gérée publiquement (17).
L’obligation de protéger le droit à l’eau implique que les États doivent empêcher les tierces parties plus puissantes, comme les entreprises transnationales, d’interférer dans l’exercice du droit à l’eau. Les États devront par exemple surveiller la qualité de l’eau, protéger les plus vulnérables contre la pollution de l’eau par des pollutions industrielles, ou contre l’augmentation du prix de l’eau distribué par une entreprise privée (18).
L’obligation de donner effet au droit à l’eau implique que les États prennent des mesures positives pour faciliter le droit à l’eau de leur population et distribuer de l’eau en cas de catastrophes. Le programme « 1 million de citernes » au Brésil, qui consiste à recueillir de l’eau de pluie dans des citernes dans la région du semi-aride brésilien, est un exemple de mise en œuvre de cette obligation (19).
L’obligation de garantir que le droit à l’eau sera exercé sans discrimination et de manière égale entre les hommes et les femmes implique que les États doivent lutter contre les discriminations de jure et de facto dans l’accès à l’eau. Les États devront par exemple mettre en place des politiques pour garantir un accès égal à l’eau pour les femmes et les enfants discriminés, les personnes vivant dans les zones rurales éloignées et les bidonvilles, même illégaux, les populations autochtones, les nomades, les réfugiés et les requérants d’asile, trop souvent discriminés dans l’accès à l’eau potable (20).
Finalement, le droit à l’eau, comme les autres droits de l’homme, implique également des obligations extraterritoriales pour les États. Pour le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, les États doivent respecter l’exercice du droit à l’eau dans les autres pays ; ils doivent prendre des mesures pour empêcher leurs propres ressortissants ou des compagnies qui relèvent de leur juridiction, de violer le droit à l’eau de particuliers et de communautés dans d’autres pays ; et en fonction des ressources dont ils disposent, ils doivent faciliter l’exercice du droit à l’eau dans les autres pays et apporter l’assistance nécessaire (21).
Comme l’a souligné le premier Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation dans ses rapports de missions en Éthiopie, en Inde et au Bangladesh, ces obligations extra-territoriales impliquent que les États, dans l’utilisation des cours d’eau transfrontaliers, donnent la priorité à la satisfaction des besoins humains essentiels des populations dépendant des cours d’eau, en particulier concernant l’eau potable et l’eau nécessaire à l’agriculture de subsistance (22).
c) La définition du droit à l’assainissement et des obligations corrélatives des États par l’experte indépendante du Conseil des droits de l’homme
Dans son rapport présenté en septembre 2009 au Conseil des droits de l’homme, Catarina de Albuquerque, experte indépendante chargée d’examiner la question des obligations en rapport avec les droits de l’homme qui concernent l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, rappelle qu’un quart des décès d’enfants de moins de 5 ans dans le monde peut être attribué à l’insuffisance des systèmes d’assainissement, et que l’objectif du Millénaire des Nations Unies concernant l’assainissement ne sera vraisemblablement pas atteint en 2015 pour plus de 700 millions de personnes (23). C’est pourquoi, dans ce rapport, elle a décidé de mettre l’accent sur la nécessité de reconnaître le droit à l’assainissement comme un droit humain autonome.
Pour l’experte indépendante, le droit à l’assainissement est protégé en droit international à travers la reconnaissance de plusieurs autres droits de l’homme, en particulier le droit à un niveau de vie suffisant, le droit au logement, le droit à la santé et le droit à l’eau (24). Mais pour elle, cela ne suffit pas ; et il faut aller plus loin en reconnaissant le droit à l’assainissement comme un droit humain autonome, car il est nécessaire à la protection de la dignité humaine (25).
Dans son rapport, Catarina de Albuquerque donne la définition suivante du droit à l’assainissement et des obligations corrélatives des États : « L’experte indépendante est d’avis que l’assainissement peut être défini comme étant un système de collecte, de transport, de traitement et d’évacuation ou de réutilisation des excréments humains, auxquels sont associés les dispositifs d’hygiène connexes. Les États doivent veiller à ce que chacun ait accès, sans discrimination, physiquement et économiquement, à des équipements sanitaires, dans tous les domaines de la vie, qui soient sans risques, hygiéniques, sûrs, socialement et culturellement acceptables, protègent l’intimité et garantissent la dignité. » (26)
Comme l’experte indépendante l’explique elle-même, il y a de nombreuses définitions de l’assainissement et certaines sont plus larges (27). Sa définition du droit à l’assainissement est restrictive, puisqu’elle se limite à « l’assainissement individuel » (évacuation des excreta humains) (28). A l’avenir, il serait souhaitable que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels se penche sur la question pour élaborer une définition plus large qui engloberait l’assainissement de tout type de pollution de l’eau. L’experte indépendante décrit également dans son rapport les obligations des États de respecter, de protéger et de donner effet au droit à l’assainissement (29) et leur obligation de « prêter tout spécialement attention aux groupes particulièrement exposés à l’exclusion et à la discrimination quant à l’accès à l’assainissement, notamment les personnes vivant dans la pauvreté, (…) les femmes, les enfants, les personnes âgées, les handicapés, les malades, les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ainsi que les groupes minoritaires, entre autres » (30).
Notons encore que dans l’Observation générale n°15, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels avait déjà indiqué que « les États parties ont l’obligation de fournir progressivement des services d’assainissement sûrs, en particulier dans les zones rurales et les zones urbaines déshéritées, en tenant compte des besoins des femmes et des enfants » (31).
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