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Les paysans indigènes de la sierra équatorienne élèvent la voix

Pour une gestion municipale au service de l’homme et de la Mère Nature

Carla ESTRADA JOPIA

09 / 2006

Une réforme agraire au bénéfice d’un tout petit nombre

A partir des années 60, en conséquence d’une crise temporaire dans la production bananière, de la baisse des prix du café et des conflits politiques entre les groupes représentant les intérêts des classes dominantes de la sierra et de la costa (montagne et côte), apparurent des conditions propices à l’élaboration d’un projet de diversification et d’industrialisation de l’économie et de modernisation de la production agricole permettant l’élimination de tous les vestiges féodaux du secteur.

La réforme agraire de 1964 fut l’une des axes principaux des efforts entrepris par les forces modernisatrices. Bien que son impact sur la distribution des terres soit resté limité, la réforme a signé l’arrêt de mort de formes féodales de production comme le huasipungo (morceau de terre affecté à l’indigène par son patron comme paiement de sa main d’œuvre et de ses services) et a marqué le début de changements structurels dans l’utilisation de la terre, l’équilibre entre les différentes cultures et l’application de technologies contribuant à la modernisation des campagnes.

Cependant, l’accès des paysans aux terres les plus fertiles a tendu à diminuer en raison des conditions de redistribution des terres. La pauvreté rurale est généralisée et profonde, et persiste en dépit de l’augmentation du revenu moyen.

La réponse paysanne

En 1972, dans la province de Chimborazo, dans la sierra équatorienne, se tint un congrès où fut décidée la constitution d’ECUANARI (Ecuador Runacunapac Riccharimui, Confédération des peuples de nationalité Kichwa/Quechua de l’Équateur). Cette création visait à répondre au besoin d’une organisation plus forte pour mener la lutte pour récupérer les terres expropriées durant la réforme agraire.

La récupération effective des terres dut attendre les années 90, années au cours desquelles l’organisation s’est renforcée et est parvenue à des accords avec les latifundistes pour racheter les terres et pouvoir les cultiver.

Depuis cette époque, nombreuses furent les transformations et les revendications. Une fois épuisé ou atteint l’objectif initial de cette organisation se fit jour la nécessité de consolider Ecuanari comme mouvement politique. Aujourd’hui, Ecuanari participe activement aux événements politiques équatoriens.

L’émergence d’un projet politique

Ecuanari a participé activement à des processus politiques comme ceux qui ont mené à la démission des présidents Abdalá Bucaram et Jamil Mahuad, a remis en question le cadre politique traditionnel et la corruption. Elle propose en outre la redistribution des ressources aux mains du peuple, et non seulement pour les riches et les transnationales.

La Confédération souhaitait entrer dans l’arène électorale et en 1996, un processus de consultation fut engagé, lequel déboucha sur le diagnostic suivant : il y avait besoin de former un nouveau parti politique. C’est ainsi que fut créé le Pachakutik.

Maintenant, le mouvement ne souhaite plus se transformer en parti politique. Ecuanari a appuyé, pour les élections présidentielles, Fredy Ehlers et Lucio Gutiérrez (lequel fut élu, mais avec qui toute relation fut rompue au bout de 6 mois de gouvernement). Bien qu’ils aient réussi à faire élire quelques représentants, à ce niveau on ne peut pas parler de succès très nombreux. Lors de la dernière élection, le candidat soutenu par Ecuanari était le dirigeant indigène Luís Macas, président de la Confédération des nationalités indigènes d’Équateur (CONAIE), dont Ecuanari fait partie au titre des indigènes de la sierra. [NdT. C’est Rafael Correa qui a remporté cette dernière élection, avec une large part des voix indigènes et l’appui d’une mouvance significative de la CONAIE.]

Participation à la gestion municipale

« Actuellement, la CONAIE dirige 27 mairies (sur 220) et 5 préfectures (sur 22). Ils sont passés de 12 à 10 députés. La région amazonienne est marquée par la prédominance indigène – là-bas nous avons le contrôle -, mais au niveau de la côte, nous sommes très faibles. Ils sont très sensibles, très fragiles, et se laissent avoir par les promesses des politiques. », soutient Guzmán.

Dans les zones qui connaissent une administration indigène, la perception du travail réalisé est bonne. Guzmán affirme qu’à Cotacachi, province de Imbabura, par exemple, la nouvelle administration a soutenu la comparaison avec les administrations antérieures, et une réelle intégration a été expérimentée.

En 1992, Guamote (Chimborazo) a élu son premier maire indigène, et depuis lors a toujours eu un maire et un conseil à majorité indigène. Selon l’étude « Espacios Públicos de Concertación Local y sus Límites en un Municipio Indígena: Guamote, Ecuador » d’Anthony Bebbington, durant le premier mandat du maire indigène Mariano Curicama, l’objectif fut poursuivi d’améliorer les relations inter-ethniques et, bien que le pouvoir fût indigène, le maire avait pour stratégie explicite de préserver et renforcer les liens avec les métis, principalement à la présidence du canton. Ces liens ont été maintenus dans une grande mesure, ce qui a posé les bases d’une meilleure entente entre groupes ethniques, et d’une diminution de l’exploitation des indigènes.

Les conseillers municipaux ont convoqué les représentants des commissions paroissiales et un Comité de développement a été mis en place pour prioriser les travaux à réaliser et les dépenses en fonction des besoins des communautés. Les municipalités indigènes rendent des comptes, informent sur la marche des activités. Certaines municipalités n’ont pas réussi à décoller – elles se caractérisent par un manque de formation et un défaut de vision des objectifs politiques à long terme.

Toutefois, considérant que la municipalité doit supporter tout le poids de l’administration des ressources, le reste de la population les a regardées avec bienveillance. « Leur évaluation est globalement positive, parce que dans ces municipalités s’est imposée une manière distincte de voir la politique. », soutient Guzmán. « Lorsqu’il y a un maire métis, il faut demander une audience ; au contraire, notre administration est bien plus participative. C’est ce qui nous a permis de gagner 27 mairies, alors que nous sommes un mouvement relativement nouveau. »

Un projet participatif

Le projet participatif d’Ecuanari a pour base l’augmentation de la participation. Sont proposés ainsi des Grands conseils, qui émanent des comités des pères de famille, des commissions des eaux, des catéchistes, etc. Cela permet des discussions sur des thèmes d’intérêt local et national, comme la disparition des cours d’eau en raison de l’avancement de la frontière agricole vers les zones de captage.

D’un autre côté, on essaie d’inculquer dès l’enfance le souci de la forêt et des rivières, comme s’il s’agissait de frères et de sœurs. De faire en sorte que les entreprises horticoles prennent soin de la ressource en eau, car son absence affecte tout le monde.

Key words

indigenous peoples, municipality and civil society, relationship between citizens and elected representative, protection of natural resources, regional cooperation, farmer’s claim


, Ecuador

file

Indigenous Peoples

Mountain people in the world

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Ainsi, ce mouvement, préoccupé par les problèmes quotidiens des indigènes de la sierra, mais avec le regard fixé sur l’horizon politique du pays, recherche en permanence l’intégration et la coopération avec d’autres organisations similaires de la région. C’est ainsi que des liens ont été maintenus avec la Confédération nationale des communautés affectées par les activités minières (CONACAMI) au Pérou, le Conseil nationale des Marcas et des Ayllus du Collasuyo (Bolivie), avec l’Organisation nationale indigène de Colombie et avec les mouvements Mapuche.

Tout le travail d’Ecuanari est traversé par une seul idée, le respect de l’environnement. « Si l’on ne met pas en œuvre des politiques en équilibre avec la nature, conclut Guzmán, elle va nous punir, et elle nous a déjà punis. La montagne est un espace de vie, c’est à où nous sommes nés, elle nous donne à manger, nous bénéficions de la chasse, de la pêche, de la laine, du bois, nous semons le fruit. La montagne est supérieure à l’homme lui-même. Sa valeur est plus grande que celle d’une mère, c’est grâce à elle que nous survivons. »

Notes

Entretien réalisé par ALMEDIO Consulting avec l’appui de la Fondation Charles Léopold Mayer durant la rencontre régionale organisée par l’Association des peuples de montagne du monde - APMM.

Fiche originale en espagnol : Campesinos indígenas de la sierra ecuatoriana alzan la voz. Traduction : Olivier Petitjean.

Sur le mouvement indigène équatorien et ses rapports avec la vie politique nationale de ce pays, voir la fiche de Marie-Elodie Soret sur le site Irénées : « Le mouvement indigène équatorien au début du 21ème siècle ».

Pour une autre fiche sur la municipalité de Guamote évoquée ici, voir Gobiernos locales y la defensa del agua en la Sierra central del Ecuador.

Source

Interview

Entretien avec Gonzalo Guzmán, chargé des ressources naturelles, ECUARUNARI. Julio Matovelle 128 entre Vargas y Pasaje San Luis Edif. El Conquistador, 1er. Piso Quito - Ecuador. gonzaloguzman@yahoo.com. Fono: 593-2- 2580700 Fax: 2580-713 Cel: 093173316 / 093174316

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