40 % de l’Inde rurale dispose à présent de sanitaires. Derrière ce chiffre, quelles réalités ?
04 / 2007
« Humne khule mein shauch jaane ki pratha chhod di hai ». Etat d’Uttar Pradesh, district de Bijnaur, village de Baruki. Sur le mur passé à la chaux de l’école primaire, cette inscription qui proclame une victoire : Nous ne faisons plus nos besoins n’importe où ! En réalité la victoire n’est pas tout à fait acquise : dans le village, on voit des murs inachevés, des cabinets sans porte, une cuvette enfoncée dans le sol, le tout faisant partie de la Campagne Assainissement total du gouvernement.
M. Shahi, fonctionnaire chargé des affaires municipales au district (= préfecture) de Bijnaur déclare : « Nous avons obtenu d’assez bons résultats. Les gens ont l’habitude de faire leurs besoins dehors ; cela ne va pas changer du jour au lendemain. Nous avons rencontré des difficultés d’ordre culturel, c’est évident, mais le taux de réussite est quand même de 70 % ». Or, sur les 2 000 habitations que compte le village de Baruki, 269 seulement ont un cabinet. Et pour ce qui est des « aspects culturels », disons que les gens ne sont pas génétiquement prédestinés à aller au petit coin dans la nature. Les femmes et les personnes âgées surtout aimeraient bien faire ça à la maison plutôt que de devoir se rendre dans un champ.
Selon un rapport réalisé par la Mission Rajiv Ghandi pour l’eau potable, 30 millions de ruraux souffriraient de pathologies liées à des problèmes d’assainissement. En termes économiques, cela se traduit par la perte annuelle de 180 millions d’hommes-jours et de 220 millions d’euros. En 1981, seulement 1 % de l’Inde rurale disposait de sanitaires. En 1986, le premier plan officiel structuré dans ce domaine (Programme central d’Assainissement rural) a été mis en oeuvre, avec une faible participation populaire. En 1999, une version revue et corrigée a vu le jour, remplacée aujourd’hui par la Campagne Assainissement total, qui voudrait que les initiatives viennent des populations elles-mêmes. D’après les statistiques officielles, plus de 29 millions de cabinets ont été installés, ce qui veut dire que les campagnes sont en principe pourvues à hauteur de 40 %. Les pouvoirs publics visent une couverture à 100 % à l’horizon 2012. Avant d’envisager des objectifs aussi ambitieux, il serait bon d’examiner sur le terrain certains aspects techniques et financiers incontournables.
Le village d’Akka Dilari, dans le district de Moradabad, a reçu en 2005-2006 le trophée Nirmal Gram Puraskar (Villages propres) pour avoir mis fin à la pratique de la défécation en plein air. Chaque habitation avait effectivement été pourvue d’un cabinet ; mais bon nombre d’entre eux ne sont déjà plus utilisés un an après. Devant la maison de Sabir Khan, le tableau n’est pas très attirant. « Comme la fosse n’a pas été bien faite, au bout de quelques mois, de l’eau sale stagnait devant la porte. Puis l’eau qui sortait de la pompe a commencé à sentir mauvais. Alors on a laissé de côté le cabinet », explique l’intéressé.
Le modèle officiel est celui de la latrine à fosse simple avec chasse manuelle. On verse un peu d’eau dans la cuvette pour emporter les matières fécales dans la fosse. Le liquide et les gaz sont absorbés par le sol et la vidange des matières solides se fait en principe tous les trois ou quatre ans. Uno Winblad, l’architecte suédois pionnier en matière de solutions innovantes dans ce domaine, fait remarquer que la prédominance de ce modèle vient des préférences des organismes donateurs. « Dans les années 1980, l’aide internationale pour l’adduction d’eau et l’assainissement était le monopole du TAG (Groupe de conseillers techniques) de la Banque mondiale. Ces gens-là estimaient avoir trouvé « la bonne recette » et ne voulaient pas entendre parler d’autre chose. Pour l’Asie, il fallait des latrines à fosse double avec chasse manuelle. Et si quelqu’un s’aventurait à proposer d’autres méthodes, par exemple des toilettes sèches surélevées et non polluantes, il était considéré comme hérétique. »
L’inconvénient avec les cabinets avec chasse d’eau manuelle c’est qu’il y a une conduite (avec ou sans siphon) enterrée. Si elle se bouche, les déchets s’accumulent et l’installation est vite hors d’usage. Un habitant dit : « Quand le cabinet ne fonctionne plus, il n’y a personne dans le village pour le réparer. Ou bien le propriétaire s’en charge, ou bien il laisse tomber ». Un autre habitant montre une cuvette recouverte de briques : « Qu’est ce que je vais faire avec ça ? Je suis prêt à donner un coup de main mais il faut aussi que le gouvernement donne des sous. Ils ont mis ces choses là, mais il n’y a personne pour faire la construction ».
Le coût officiel d’un cabinet en Uttar Pradesh est de 1 900 roupies (35 €). La subvention est de 1 500 roupies (27,7 €), le bénéficiaire devant fournir 400 roupies (7,4 €) ou l’équivalent en matériaux ou en main-d’oeuvre. Sur le terrain, ce sont les panchayats (conseils municipaux) qui ont la charge de la Campagne Assainissement total et de la gestion des fonds. Au lieu de faire participer activement la population au processus, ils ont tendance à devenir un élément de plus dans l’engrenage bureaucratique. Les gens se plaignent d’être traités de façon assez cavalière, surtout en matière de sous. A Akka Dilari, ils disent qu’on exigeait le versement de la contribution avant même le début du chantier ; et il fallait obligatoirement régler sa part en argent, à l’exclusion des deux autres possibilités.
water sanitation, water pollution, public health
, India
« Économie politique de la défécation » (Notre Terre n°23, sept. 2007)
Traduction en français : Gildas Le Bihan (CRISLA)
CRISLA, Notre Terre n° 23, septembre 2007. Sélection d’articles de Down To Earth, revue indienne écologiste et scientifique, publiée par CSE à New Delhi.
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