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L’arsenic dans l’eau ou quand l’enfer est pavé de bonnes intentions

Mohamed Larbi BOUGUERRA

01 / 2008

De manière continue, les réserves d’eau de la planète sont en train de subir actuellement des mouvements et des variations extrêmes. Les tempêtes violentes et les inondations catastrophiques peuvent apporter de l’eau avec une furieuse et féroce surabondance. D’un autre côté, les sécheresses et la désertification provoquent de désastreuses pénuries.

Ce déséquilibre et cette disparité dans le couple besoins - surabondance se rencontrent partout à travers le globe, aussi bien dans les pays industrialisés que dans les pays en voie de développement (PVD). Aux Etats Unis par exemple, les niveaux d’eau ont dramatiquement baissé dans de nombreux réservoirs comme le célèbre barrage Hoover ou le fameux lac Mead du fait des forts prélèvements effectués sur les réserves par une population en forte croissance. Dans le même temps, les experts relèvent que les aquifères des Grandes Plaines – tel l’Ogallala - baissent du fait des prélèvements dus à l’irrigation.

Bien loin des Etats Unis, au Yémen, à l’extrémité de la Péninsule Arabique, les autorités s’inquiètent de la baisse de niveau qu’enregistrent les réserves d’eau de la capitale Sanaa. En fait, une expansion démographique forte associée à une utilisation accrue de l’eau pour l’irrigation des cultures fait que le niveau d’eau des réserves alimentant la capitale yéménite chute de manière inexorable. Face à cette périlleuse situation, ces mêmes autorités envisagent de déplacer la capitale historique Sanaa et sa population sur la côte de la Mer Rouge dans l’espoir que le dessalement de l’eau de mer permette une alimentation adéquate régulière des habitants.

Lors d’une manifestation scientifique organisée en septembre 2007 à Londres, des spécialistes estiment à 450 millions le nombre de personnes qui souffrent de pénurie d’eau dans le monde et ils sont d’avis que ce chiffre est appelé à augmenter au vu de la croissance démographique attendue.

Souvent, là où la ressource existe, l’eau n’est pas potable car la plupart du temps, elle est contaminée. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime que, au niveau global, 1,2 milliard d’humains n’ont pas accès à l’eau potable et que 2 millions d’enfants meurent annuellement du fait de l’ingestion de l’eau contaminée.

Ainsi, au Bangladesh, les épidémies de choléra – une maladie diarrhéique provoquée par la contamination des eaux de surface par la bactérie Vibrio cholerae- ont provoqué une forte mortalité. Pour les prévenir, on a alors foré des puits profonds dans les années 1950 et 1960 suivant l’exemple fourni par les colonisateurs anglais dans les années 30. Malheureusement, il en résulta une désastreuse – et bien involontaire - conséquence. Les eaux souterraines contenaient des centaines de milligrammes d’arsenic – naturel, d’origine géologique- par litre, teneur bien supérieure à la norme standard internationale de 10 microgrammes par litre fixée par l’OMS. On estime que le quart de la population du Bangladesh boit une eau qui est 10 à 50 fois plus concentrée en arsenic que la norme internationale. Or, la consommation de cette eau arséniée sur de longues périodes conduit à de nombreux et graves problèmes de santé souvent de nature dermique tels la dermatite chronique, l’hyperkératose, le « black foot disease », un cancer de la peau des membres inférieurs et qui affecte aujourd’hui une vingtaine de millions de personnes dans le pays mais aussi le cancer de la vessie et des poumons. Ces affections dues à l’arsenic géologique se rencontrent aussi en Inde (Bengale occidental en particulier) et en Chine notamment.

Mais la contamination de l’eau par l’arsenic n’est pas un phénomène propre au sous-continent indien. Dans certaines régions des Etats Unis, l’eau de boisson ne satisfait pas à la nouvelle norme de 10 microgrammes/litre édictée par l’Environmental Protection Agency (EPA). L’ancienne norme, en vigueur jusqu’en 2001, était de 50 microgrammes/litre.

L’OMS estime que la contamination de l’eau par l’arsenic affecte des dizaines de millions de personnes dans plus de 20 pays à travers le globe (Région de la Lagunera au Mexique, de Codoban en Argentine, en Mongolie intérieure, à Taïwan, en Finlande, au Chili à San Pedro de l’Atacama…).

Key words

water pollution, water sanitation

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La question de l’eau ne peut plus être ignorée tant au Nord qu’au Sud de la planète. Bien qu’il n’existe pas de formule magique pour résoudre ici et là bas les difficultés inhérentes aux pénuries, aux sécheresses et aux inondations, il est clair qu’il faut éviter les solutions simplistes ou apparemment évidentes. La gestion des problèmes de l’eau implique des interactions qui relèvent des champs les plus divers de la connaissance : économie, éducation, géochimie, chimie des solutions, santé publique, microbiologie, hydrodynamique, écologie….

Ainsi, les épidémies de choléra - maladie hydrique par excellence - ne sauraient être définitivement jugulées par la seule fourniture d’eau potable si, dans le même temps, on n’équipe pas les communautés d’un réseau d’assainissement ad hoc car, quand cet équipement fait défaut, les eaux destinées à la boisson et les eaux usées ont de grandes chances de se rencontrer ! Ce qui a été démontré, dès 1854, de façon irréfutable – grâce à la pompe du fameux puits de Broad Street dans le quartier de Soho- par le médecin londonien, John Snow, fondateur de l’épidémiologie. Les travaux du Dr Snow ont permis d’éradiquer, en 1923, la maladie en Europe. Du reste, des villes comme Paris ou Londres n’ont réussi à atteindre le million d’habitants que quand elles ont été dotées d’un tel réseau.

De plus, il faut noter que la prévention du choléra nécessite aussi l’éducation des populations. Il faut inculquer les règles d’hygiène élémentaire tel que se laver les mains après utilisation des toilettes. Il faut, pour ce faire, évidemment, avoir de l’eau à sa disposition.

On notera par ailleurs que lorsque l’épidémie se déclare l’antibiothérapie et l’hydratation des malades peuvent aisément venir à bout des diarrhées. Il faut alors que se manifeste la volonté politique pour allouer les fonds nécessaires pour procurer à la population ces remèdes.

Quand à la présence de l’arsenic, elle prouve la nécessité de forer à bon escient c’est-à-dire après étude géologique et à plus de deux cents mètres en général comme elle prouve la nécessité de l’analyse chimique de l’eau. Dans certaines régions, l’arsenic est naturellement abondant dans le sol comme en Cornouailles au Royaume Uni ou le district de Repora en Nouvelle Zélande (sources chaudes de Waiotapu). De plus, l’arsenic n’est pas seul en cause même si c’est un élément de sinistre mémoire chez la plupart étant donné ses utilisations comme poison par les criminels au cours des âges. C’est ainsi qu’au Niger, certains puits ont une eau trop riche en fluor, eau dont la consommation entraîne de graves maladies osseuses. Ces analyses sont d’autant plus nécessaires que les effets de ces éléments (plomb, arsenic, nitrates, fluor, métaux lourds éléments radioactifs…) se manifestent généralement sur le long terme.

Il faut insister sur le fait que cet élément est présent, comme déjà signalé, dans de nombreux pays du monde et, qu’outre les Etats Unis, en Amérique du Nord, on le détecte dans les eaux puisées dans le fleuve Athabasca alimentant la ville de Calgary comme le rapporte le journal québécois Le Devoir (avril 2006).

Aux Etats Unis, le Président Clinton, juste avant de quitter la Maison Blanche, a pris un Ordre Exécutif pour introduire la norme de 10 µg/l en vigueur dans les pays industrialisés au lieu de celle à 50µg/l jusque là admise dans son pays depuis 1942. Mais le Président Bush s’est refusé en mars 2001 – avant de céder, en janvier 2006, notamment devant la protestation de l’Académie américaine des Sciences- à entériner cette décision de son prédécesseur pour ne pas léser les intérêts des très gros contributeurs à sa campagne électorale : propriétaires de mines (minerais de cuivre, de plomb, d’or…) dont les stériles libèrent de l’arsenic dans les eaux de surface par lessivage du aux précipitations, forestiers dont les bois sont traités avec cet élément pour les protéger des insectes xylophages, producteurs d’électricité thermique employant de la houille des Appalaches dont les cendres et les particules rejetées par les cheminées contiennent cette substance….

Plusieurs procédés chimiques relativement faciles d’emploi ont été mis au point pour rendre potable les eaux arséniées avec une concentration inférieure à 50 µg/l. On signalera celui du professeur Abul Hussam, de l’Université George Mason en Virginie qui se distingue par sa simplicité d’emploi et la modicité de son coût. Il a obtenu, en 2005, le premier prix Grainger Challenge doté d’un million de dollars décerné par l’Académie Nationale des Ingénieurs américains.

De son côté, Jan Roelof van Meer, de l’Institut fédéral suisse des sciences de l’environnement et de la technologie a mis au point une méthode de détection de l’arsenic dans l’eau à partir de très faibles concentrations. Elle a basée sur une lignée modifiée de la bactérie E. Coli qui émet une fluorescence verte dès que la teneur en poison dépasse 4 ppb.

On signalera enfin qu’en 2002, plusieurs centaines de villages du Bangladesh ont porté plainte contre le Service Géologique du Gouvernement britannique (BGS) qui a surveillé l’eau des puits de ces villages depuis 1992 mais n’a pas procédé à l’analyse de l’arsenic. Ils ont gagné au début de la procédure mais ils ont été débouté au final, en appel en février 2004. Ce même service n’a pas non plus détecté, en 1996, la très forte contamination de l’eau des puits de Hanoï au Vietnam laquelle a été mise en évidence par des chercheurs suisses en 2002.

Face à la contamination des eaux par l’arsenic dans de si nombreux pays, il faut que la solidarité entre les hommes se manifestent car tous ne sont pas au même point de développement économique et scientifique pour faire face à cette terrible et insidieuse nuisance.

Source

Diverses sources et notamment :

a) John Emsley, «The elements of murder. A history of poison», Oxford University Press, Oxford, 2005

b) Patricia L. Short, «Keeping it clean», Chemical and Engineering News, organe de l’American Chemical Society, Washington, D.C. ; 13 avril 2007, p.13- 20.

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