Migration silencieuse et transferts financiers à travers la dollarisation
03 / 2004
Aujourd’hui, les migrants équatoriens en Europe, constituent le deuxième groupe de clandestins présent en Europe. La plupart d’entre eux habitent et travaillent en Espagne, pays d’accueil préféré depuis 1995 par les liens historiques et culturels entre la " mère patrie " et l’ancienne colonie andine. La migration équatorienne est un phénomène assez récent provoqué par la crise économique qui sévit dans ce pays de 12 millions d’habitants depuis les années 80. Deux aspects de ce mouvement migratoire sont surprenants : il s’agit d’une migration causée pour des raisons économiques et non plus politiques comme toutes les migrations précédentes d’Amérique latine. Deuxièmement, les migrants actuels sont d’origine rurale (notamment des provinces andines Azuay, Cañar et Lojas) et non plus urbaine.
La dollarisation : une réponse à la crise économique
L’économie équatorienne souffre pendant les années 80 de la baisse des prix des produits d’exportation sur le marché mondial (notamment du pétrole en 1986). Les inondations provoquées par l’effet climatique " el Niño " (en 1982, 83 et fin 90) détruisent les plantations et les cultures de crevettes. Le tremblement de terre de 1987 cause d’importants dégâts, comme la rupture de l’oléoduc, d’où la baisse des exportations pétrolières. Début 2000, en pleine crise économique et politique, l’Équateur surprend le monde en annonçant sa dollarisation, la première en Amérique latine. Le gouvernement de J. Mahuad espère ainsi contrôler l’inflation, équilibrer les finances de l’Etat et relancer les marchés locaux, dont le marché de travail. Au cours du mois du janvier, les protestations contre la dollarisation menées par des groupes indigènes sous la direction de la CONAIE échouent : Le nouveau gouvernement de G. Noboa, installé sous la pression des Etats-Unis et du FMI suite au coup d’Etat du 21-23 janvier 2000, promet de mettre la dollarisation en oeuvre.
L’émigration des Équatoriens s’accélère vers 1995. Alors que la destination principale des migrants pendant des décennies étaient les États Unis, la plupart d’entre eux se dirigent désormais vers l’Espagne. Ils appartiennent, pour la plupart, aux couches sociales basses et moyennes. Ce sont des jeunes hommes (60 pour cent) et femmes (40 pour cent) qui cherchent un emploi, des salaires plus élevés et des meilleures conditions de vie. La migration clandestine est très répandue parmi les migrants équatoriens : normalement, ils arrivent avec un visa de touriste en Europe, où ils se procurent de faux papiers en payant cher les services intermédiaires. Les clandestins travaillent souvent dans le travail domestique ou agricole et dans les travaux du bâtiment. Leur salaire est faible et leur emploi précaire. En Espagne et dans certains autres pays européens, le clandestin peut espérer pouvoir légaliser sa situation après un certain nombre d’années, soit au cours d’une campagne de légalisation soit par un mariage avec un/e espagnol. Les lois pour la régularisation des clandestins deviennent de plus en plus dures en Europe, mais le besoin de main d’ouvre reste élevé, surtout dans des pays à basse natalité comme l’Espagne ou l’Italie.
Impact de la dollarisation sur les transferts financiers
Malgré la clandestinité de la migration équatorienne, les transferts financiers envoyés par les émigrés à leur famille sont devenus un poste non négligeable de la balance des paiements de l’Équateur. En 1991 les transferts ne représentaient que 109 millions de dollars (soit moins de 1 pour cent du PIB), ils se montent à 1 415 millions de dollars en 2001 (soit 10 pour cent du PIB). Ils sont ainsi devenus la deuxième source de devises (après les exportations de pétrole), dépassant les revenus des exportations de produits alimentaires (bananes, cacao, café, crevettes, thon). Les familles utilisent cet argent pour acheter des biens de consommation (produits alimentaires, appareils électroménagers), pour la construction ou l’amélioration des habitations et pour couvrir leurs frais de santé et d’éducation. Malgré la crise économique, le niveau de consommation a sensiblement augmenté dans les régions à forte pression migratoire.
Cependant, la dollarisation signifie une considérable perte de pouvoir d’achat des transferts financiers : Lorsque le taux d’échange entre le sucre (monnaie locale) et le dollar était libre, le cours du dollar était parallèle à l’inflation. Une fois le taux de change du dollar fixé, puis le dollar introduit comme monnaie dans le pays, les prix ont continué à augmenter (ce qu’on voulait éviter avec la dollarisation !), mais les dollars envoyés par les familles ne pouvaient plus contrebalancer l’inflation. Les transferts ont donc perdu de la valeur pour les destinataires. Les destinataires, souvent déjà défavorisés, sont alors doublement victimes de la dollarisation. Par contre, plusieurs analystes économiques pensent que l’augmentation ultérieure des prix s’est produite seulement grâce aux paiements en provenance de l’étranger.
La migration évite l’échec de la dollarisation
Les transferts financiers jouent un rôle primordial dans l’économie actuelle de l’Équateur : Ils évitent l’échec de la dollarisation. L’économie équatorienne est devenue l’une des économies les plus chères de l’Amérique latine. En juillet 2002, le " panier de la ménagère " coûte 336 dollars alors que le salaire minimum est de 224 dollars par mois. Selon les accords pris avec le FMI, le gouvernement a suspendu une bonne partie de ses paiements sociaux pour pouvoir servir sa dette extérieure. Pour beaucoup de familles, les transferts en provenance de l’étranger substituent les anciennes aides de l’État (éducation, santé etc.). Pour d’autres, jetés dans la pauvreté après la dollarisation, les transferts couvrent d’abord les besoins primaires (alimentation, vêtements, etc.) Les transferts contribuent donc à la réduction et prévention de la pauvreté.
L’économie dollarisée bénéficie d’un deuxième effet sur l’émigration : õ cause du départ d’une partie de la population active, les chiffres de chômage ont considérablement baissé (de 16 pour cent en 2000 à 9 pour cent en 2001). Cette tendance est encore plus visible dans les régions les plus affectées par l’émigration, devenues ensuite des destinations de migration interne au niveau national. Le gouvernement a ainsi tenu sa promesse de baisser le chômage, même si aucun poste de travail n’a été créé. Les statistiques cachent également un considérable sous-emploi, des emplois mal rémunérés et précaires.
Cependant, la plupart des promesses faites avant la dollarisation se sont montrées trop optimistes : L’inflation continue à croître en atteignant encore 22,4 pour cent en décembre 2001 par rapport au mois précédent, mais les salaires n’augmentent pas assez. La productivité du pays reste faible et les investissements baissent. La consommation recule au niveau national, mais elle augmente dans les régions les plus affectées par l’émigration. On observe la croissance de l’endettement privé. Au niveau national, le bilan commercial démontre une hausse des importations accompagnée par une baisse des exportations. Un problème primordial est le recul des exportations pétrolières provoqué par la baisse des ressources qui ne sont extractibles que par une dégradation de l’environnement.
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, Equador, Espanha
Une telle économie n’est pas viable. Elle est actuellement en équilibre grâce aux transferts financiers provenant des émigrés équatoriens. Ces transferts financiers représentent 16 pour cent de la consommation nationale en 2000 et 11 pour cent en 2001. En 2001, leur volume est presque le triple des redistributions sociales du gouvernement et dépasse le double de l’aide internationale. Ainsi, c’est l’émigration qui soutient de loin l’économie du pays. Néanmoins, il s’agit d’un soutien fragile qui dépend de la volonté et de la capacité des expatriés à envoyer leur épargne au pays d’origine. Avec la naissance d’une deuxième génération d’Equatoriens à l’étranger, les transferts tendent à baisser. Cet effet, observé déjà pour plusieurs groupes de migrants, est provoqué par deux facteurs : d’un coté, une partie plus haute du salaire de l’émigré est consommée sur place, il peut donc transférer moins à sa famille en Equateur. De l’autre coté, l’émigré qui a des enfants à l’étranger est souvent plus motivé pour son intégration dans la société d’accueil et considère sa migration plutôt de moyenne à longue durée. Il est donc moins motivé pour envoyer de l’argent à son pays natal ce qui prive l’économie équatorienne du soutien qu’elle a connu auparavant.
CONAIE : Confédération des nationalités indigènes de l’Equateur.
Source : Lucas, Kintto (2000) : La rebeliïn de los indios. Abya-Yala, Quito.
"Las remesas de los emigrantes y sus efectos en la economia Ecuadoriana " dans CARTILLAS SOBRE MIGRACION, Mayo del 2002, n°1. voir http://www.elcomercio.com/fotos/pdf/Las_remesas.pdf
"Ecuador emigra en silencio " dans BBC MUNDO.com du 16/07/2002, voir http://news.bbc.co.uk/hi/spanish/latin_america/newsid_2122000/2122583.stm
Acosta, Alberto (2002) :"Deuda externa y migraciïn, una relaciïn incestuosa (II)" dans LA INSIGNIA. Ecuador voir http://www.lainsignia.org/2002/septiembre/dial_003.htm
Acosta, Alberto (2002) :"La dolarizaciïn es una bomba de tempo"voir http://www.ildis.org.ec/articulo/Dolarizacion.htm
Eguez, Alejandro (2001) : " Las remesas de emigrantes en Ecuador tras la dolarizaciïn " dans Observatoirio de la Economça Latinoamericana voir http://www.eumed.net.cursecon/ecolat/ec/Eguez-remesas-A.htm
Texto original
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