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Comment s’informer, se former et planifier (Sénégal)

3 priorités pour mieux aider un paysan innovateur

Julien BADJI, Benoît LECOMTE

2002

M. Julien BADJI, paysan innovateur en Casamance, explique ceci : " Je ne suis pas né au village. Quand je suis revenu pour cultiver le riz, on pensait que je ne réussirai pas car je venais de la ville et quand on a partagé les parcelles du groupe, les gens ont dit qu’ils verraient comment j’allais me débrouiller. La première année, j’ai eu la première production de la vallée. Les gens se sont dits : "Il n’est pas Diola et il parvient à cultiver le riz et à avoir une récolte supérieure". Alors je leur ai dit que j’avais utilisé les techniques nouvelles, labouré à temps, semé à temps et que j’avais également utilisé une variété qui était de haut rendement. Par contre j’ai appris avec les autres paysans comment améliorer certaines choses, comme ne pas dépendre de l’extérieur.

J’ai appris avec le temps et si je devais refaire certaines choses, je ne les referai pas comme ça. J’ai été à l’école d’agriculture, j’ai appris comment greffer, mais aujourd’hui on ne greffe plus comme on l’a appris. Si on greffait comme on l’a appris à l’école, on aurait fait à peu près 75 à 86 jours mais par mon expérience propre je vais jusqu’à 150 à 200 jours. L’essentiel est que je puisse changer ceci ou cela. J’ai échangé avec d’autres, j’ai visité d’autres agriculteurs, mes voyages m’ont vraiment aidé. Quand j’ai visité une ferme en France j’ai vu leur mode de travail. On pensait ici en Afrique que "toubab" signifiait quelqu’un qui est à l’ombre. Mais quand j’ai vu un paysan toubab, alors j’ai compris qu’il bossait dur : il se lève avant le soleil et descend tard. J’ai dit (dans mon village catholique) que les toubab travaillaient même le dimanche après la messe. J’ai côtoyé des chercheurs comme ceux de l’ISRA (Institut Sénégalais de Recherche Agricole), qui installent des parcelles de démonstrations qui m’ont aidé. Maintenant je lis et j’applique aussi. Parfois je bouche mes oreilles et je fais, parfois on me dit que ça n’ira pas mais je ne renonce pas.

J’ai trois priorités pour ceux qui veulent m’aider et nous aider:

1/ L’information : on la sous-estime mais c’est capital. Je peux rester là à attendre ou aller chercher des clients qui ne viennent pas parce que je suis passé à côté de certains clients que je ne connaissais pas. Il faudrait s’informer, qu’on sache ou aller les trouver, car on n’a pas le temps de faire le tour des clients potentiels. Par exemple, au CONGAD (Coordination des ONG du Sénégal) et à la FONGS (Fédération des ONG du Sénégal), il y a des organisations paysannes qui ont un programme de production végétale notamment d’arboriculture fruitière. Il faut voir avec la FONGS comment, avec toutes ces informations, on réussit à informer tous les gens qui sont dans la région du fleuve. Dans la région du fleuve, je sais que l’ASESCAW (Amicale Socio-Educative, Sportive et Culturelle des Agriculteurs du Walo) est là, je vois quelques membres, mais je ne connais pas l’ASESCAW à travers son programme. Donc il me faut un gars comme Kalilou qui va au niveau de ces rencontres et qui leur demande si l’arboriculture fruitière ne les intéresse pas. S’ils répondent par oui, Kalilou leur propose mes services et mes produits, il vend mon prospectus. Cela doit être régulier pour que je puisse faire tourner mon moulin. L’information est utile et il m’en faut pour mon affaire. Pas seulement pour les marchés potentiels mais aussi pour connaître l’évolution des choses ailleurs.

2/ La formation. Pour que j’installe une affaire plus opérationnelle j’ai besoin d’argent, j’ai également besoin d’être compétent, d’être gestionnaire pour cette activité. J’ai été en formation pour avoir des notions de base : comment semer, comment planter, comment améliorer les variétés et comment gérer l’exploitation. Si j’ai tout appris à l’école, avec le temps j’ai pu acquérir de l’expérience.

Mais attention, le côté commercial c’est une nouveauté : savoir produire n’inclut pas savoir vendre son produit, être prêt à subir la concurrence des autres, savoir présenter ses produits (le marketing commercial), gérer ses revenus, essayer de réajuster, être entrepreneur, conduire une activité économique comme il se doit. Je pense que j’ai un déficit de ce côté-là. C’est là que je voudrais une aide, un savoir commercial. Si on me dit qu’on peut m’accompagner et que je peux me former dans un domaine, il faut que je vois si cette aide cadre avec mes activités, avec mes attentes. Je n’irai pas en centre de formation pour qu’on me forme dans la gestion comme on formerait n’importe qui. Il faut que cela soit une formation à la carte, qui cadre vraiment avec mes activités. Si une aide ne vient pas pour répondre à mes besoins spécifiques, je n’en veux pas.

Je suis prêt à contribuer pour ma formation tant en espèces qu’en nature. Et franchement c’est cela qui me donne ma liberté d’initiative. Quand je suis avec des partenaires, j’affiche d’avance la couleur. A une rencontre j’ai dit aux gars : "Ecoutez mon couteau de greffage me rapporte au minimum x francs par jour et ce que nous sommes en train de faire ici ne me rapporte rien, même pas ces x francs". Devant les partenaires je ne suis pas complexé, je gagne ma vie avec mon mode de travail et je donne des preuves en sortant des photographies de chèques, des factures pro-forma. J’ai besoin d’un partenariat mais pas d’un assistanat. Et quand on me demande de participer, je participe à la mesure de mes possibilités. Si je peux participer en nature ou en espèces je le dis. Quand on organise une formation quelque part où je peux aller avec mes propres moyens, j’y vais. Mais si cela est au delà de mes possibilités, je renonce et je démontre pourquoi.

3/ La planification. Si je suis sollicité par CORD (Collectif d’Organisations de Développement à Bignona), par l’AMICAR (Amicale des Centres des Animateurs Ruraux) et par ma famille, je refuse de prendre un autre engagement si j’ai déjà pris l’engagement de m’occuper de ma famille. Il faut vraiment que je revoie tout le temps où cela peut se situer et dire à CORD que je suis disponible tel ou tel jour. Si l’action tombe ce jour-là, je m’engage, sinon je ne participe pas. Même si je suis en Mauritanie, je téléphone pour avoir des nouvelles de la CORD. Je leur dis que je suis en train d’exécuter des marchés, de négocier des affaires et qu’ils ne m’attendent pas. Si je ne suis pas là, quelqu’un d’autre devra assumer les responsabilités. Je n’aime pas que le vide se crée parce que je ne suis pas là. Je voudrais plutôt voir comment on va mettre ensemble le mécanisme : si quelqu’un n’est pas là, que les autres fassent le travail, surtout quand c’est un travail communautaire. Chez moi par exemple, à Balandine, quand je ne suis pas là, c’est ma femme qui s’occupe de la maison. Ce n’est pas parce que je ne suis pas là que je dois emporter la clé du grenier. Je laisse donc la clé à ma femme pour qu’elle nourrisse la famille. A CORD, et pareillement dans toutes les organisations dont je suis membre, je dis la même chose : "Je ne suis pas marié à l’organisation".

Le fait d’être à CORD est mon engagement syndical. Je suis là dans la corporation, on travaille ensemble et c’est donc une affaire communautaire mais au-delà de ça, je ne laisserais pas ma profession de producteur ni mon couteau de greffage. Laisser 30 jours dans ma poche mon couteau de greffage parce que je suis à une réunion pendant 30 jours est possible seulement si ces 30 jours de réunion me nourrissent. Alors je prends 5 jours pour la réunion et 5 autres jours pour aller greffer et gagner de quoi compenser les 5 jours de la réunion. C’est pour cela que je dois répartir mon temps pendant le mois. "

Palavras-chave

informação, comunicação, formação permanente, vulgarização agrícola, inovação, meio rural


, Senegal, Bignona

Comentários

Notre interlocuteur souligne l’importance de l’échanges d’expériences et de l’observation. Il parle aussi de l’importance de l’information, de la formation et de la planification quand elles sont liées à des objectifs et des exigences bien définis.

Notas

Voir les fiches extraites de la même interview. Entretien mené par Benoît Lecomte, en mars 1999.

Entretien avec BADJI Julien, réalisé à Bignona en mars 1999.

Fonte

Entrevista

LECOMTE Benoît

GRAD (Groupe de Réalisations et d’Animations pour le Développement) - 228 rue du Manet, 74130 Bonneville, FRANCE - Tel 33(0)4 50 97 08 85 - Fax 33(0) 450 25 69 81 - Franca - www.grad-france.org - grad.fr (@) grad-france.org

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