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La parole des ’gangs’ contre les violences urbaines

A Marseille, Dakar, Rio de Janeiro, Philadelphie, Mexico, Bogota et Fortaleza, les gangs analysent la violence urbaine et proposent des pistes aux habitants

Jérôme BAR

12 / 2001

La parole peut-elle être une arme contre les violences urbaines ? Yves Pedrazzini en est persuadé. Cet enseignant en sociologie du département d’architecture de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) a étudié, de 1987 à 1991, la parole des gangs des bidonvilles de Caracas (Venezuela). Son expérience est retranscrite dans "Malandros", livre coédité en 1998 par les éditions Charles-Léopold Mayer et Desclée de Brouwer. Depuis, Yves Pedrazzini coordonne un travail sur les violences urbaines dans le cadre du programme "Construction de la paix" de la Fondation Charles-Léopold Mayer. Pour lui, la construction de la paix n’est pas seulement une macro question et le problème des Etats, mais doit être amenée au pied des immeubles, dans les quartiers défavorisés, et impliquer l’ensemble des habitants. A Marseille (France), Dakar (Sénégal), Rio de Janeiro (Brésil), Philadelphie (Etats-Unis), Mexico (Mexique), Bogota (Colombie) et Fortaleza (Brésil), les gangs ont pris la parole pour exprimer leur expérience de la rue. Ils ont eux-mêmes réalisé une auto-enquête qui avait pour objectif de répondre aux questions suivantes :

* De quel type sont les problèmes de violence dans les quartiers ?

* Comment y répondre ?

* Que proposez-vous pour votre quartier ?

Au-delà du récit de vie et, pour le chercheur, d’une source d’informations sur le banditisme et la délinquance, donner la parole aux acteurs de la violence urbaine permet de construire des stratégies de valorisation et, parfois, d’en faire des habitants investis dans une dynamique positive. En effet, le sens de l’humour, la maîtrise de la parole, la capacité de mobilisation ou de prise de risque sont des qualités indispensables pour faire partie d’un gang ("street credibility"). Ce sont aussi des atouts pour obtenir la participation de ces jeunes à la vie de leur quartier. Pour tendre à cela, Yves rappelle qu’il faut d’abord accepter d’écouter des personnes souvent diabolisées de l’intérieur, dans des quartiers où les classes moyennes sont souvent seules détentrices de la parole. Pour cela, l’auto-enquête est confiée à un leader, qui s’engage à répondre aux questions, à interroger les membres de son gang et à restituer les résultats au cours d’une réunion publique. C’est sur une place, à Dakar, ou dans une salle, à Philadelphie, qu’habitants et membres des gangs se retrouvent pour la restitution. Pour les jeunes délinquants, ces moments sont des occasions de changer de statut et de gagner une légitimité dans le quartier.

Loin de vouloir faire expier leurs fautes aux gangsters, Yves Pedrazzini a simplement l’ambition de les amener à réfléchir sur leurs actes, puis à se corriger et à bannir les violences inutiles. Et ce fut souvent le cas, la parole permettant aux jeunes d’expliquer qu’ils sont contraints de vivre dans une logique dangereuse (où la guerre et la mort ont une place prépondérante), sans alternative. Par exemple, à Dakar, l’enquête a révélé que la violence des jeunes était due à leur refus d’un système dans lequel les "vieux" sont seuls détenteurs du pouvoir. Les gangs ont mis en avant la nécessité d’un respect réciproque : ils ne respecteront les traditions que si celles-ci tolèrent l’émergence de coutumes modernes et de nouveaux codes sociaux. Chaque enquête a apporté des pistes pour sortir de la violence urbaine ou la limiter. Il était important que ces pistes soient partagées. Ainsi, en juin 2001, à Philadelphie, des membres de gangs de la ville ont rencontré leurs homologues de Bogota et de New York (ceux de Marseille et de Dakar n’ont pas obtenu de visa pour entrer aux Etats-Unis). Les participants se sont aperçu que leurs discours étaient proches et qu’ils pouvaient être des alliés contre une dictature économique ou politique plutôt que des ennemis dans la conquête d’un territoire.

Palavras-chave

construção da paz, educação a não violencia, participação dos moradores, cidadezinha, violência urbana, bairro urbano

Comentários

Les gangs sont surpris d’être sollicités. Ils apprécient qu’on leur donne la parole et, souvent, coopèrent sans trop de difficultés. A la suite de ces enquêtes, Yves Pedrazzini veut, en 2002, mettre en place des territoires de paix dans les quartiers, zones symboliques où toute violence sera proscrite. Il souhaite également utiliser le sport comme un moyen de parler de l’organisation des gangs qui sont, selon lui, "des associations sportives ayant recours à la violence pour se financer".

Notas

Entretien avec Yves Pedrazzini, réalisé au cours de l’Assemblée Mondiale des Citoyens organisée par l’Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire à Lille du 2 au 10 décembre 2001. Dans la continuité de son action pour la construction de la paix dans les quartiers d’Amérique du Sud, d’Amérique du Nord ou d’Afrique, Yves Pedrazzini est président de l’association IRCL (International Roller Contest Lausanne), qui a pour objectif, depuis 1994, de réinvestir la rue grâce aux sports alternatifs. Contact : Yves Pedrazzini, Route de Rolle 17, 1162 Saint Prex, Suisse - Tel : (00 41) 21 806 27 72 - yves.pedrazzini@epfl.ch

Entretien avec PEDRAZZINI, Yves

Fonte

Entrevista

L’AMI (Ateliers Mutualisés pour un Usage Social de l’Information) - 61 rue Victor Hugo, 93500 Pantin, FRANCE - Tél. : 33 (0)1 48 44 09 52 - Fax : 33 (0)1 48 43 74 44 - Franca - www.lami.org - lami (@) lami.org

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