Un combat tenace contre le défi majeur de la raréfaction et de la pollution de l’eau, combat soutenu par la Cour Suprême de l’Inde
12 / 2001
Sureshwar D. Sinha, mène une lutte tenace contre un des plus grands fléaux de l’Inde, la raréfaction et la pollution de l’eau potable. En fait, c’est une lutte contre l’ignorance, contre la résignation et le fatalisme, contre la corruption, la paresse, la lâcheté…
En 1992, Sureshwar D. Sinha prit sur lui de déposer une plainte à la Cour suprême de l’Inde accusant les autorités de Delhi de ne pas remplir leurs responsabilités face à la pollution et la raréfaction de l’eau. La Cour lui a donné raison. Mais la cause est très loin d’être gagnée.
Comment cet ancien officier de marine est-il arrivé à mener ce combat qui, avoue-t-il, l’aurait découragé maintes fois si l’enjeu n’était pas capital ? Par un incident presque banal : en 1987, l’ancien capitaine entraînait des jeunes à la voile, sur la Yamuna, affluant du Gange, principale source d’approvisionnement en eau de la ville de Delhi. Un garçon tomba à l’eau. Il fut vite sauvé. Mais de retour sur le bateau, il se mit à vomir dans des convulsions atroces. « Cet évènement déclencha quelque chose en moi. Je n’avais pas imaginé que l’eau de la rivière était polluée à ce point-là. J’ai compris que nous ne devons pas permettre cela. »
Alors Sureshwar D. Sinha se mit à étudier le problème de la pollution et du tarissement progressif de la Yamuna. Il s’adressa aux scientifiques, organisa des séminaires, contacta les officiels. La réaction de ces derniers fut bienveillante : Vous avez raison. Oui, c’est très grave ! « Mais malheureusement, nous n’y pouvons rien. » Cette phrase revenait d’innombrables fois, telle un refrain. Alors S. Sinha rédigea la plainte contre la cour de l’Etat, paya tous les frais et se prépara à une lutte longue et difficile.
Premier succès : La Cour Suprême accepta la plainte et exigea une réaction de la part du Gouvernement. Celle-ci fut : nous savons qu’il y a ces problèmes. Mais nous avons besoin des usines, nous avons besoin de l’irrigation, la population augmente - il est impossible de faire quelque chose. » En somme : il est vrai que tout va de pire en pire, mais nous n’y pouvons rien. » Sureshwar maîtrisa sa colère et dit : donnez-moi quelques mois, et je vous dirai ce qui pourra être fait.
Avec le soutien d’un réseau de scientifiques amis, il se remit au travail. Et il découvrit en particulier une étude scientifique, menée par un chercheur chinois, qui fournit des arguments irréfutables pour la défense d’une de ses thèses principales : la perte de l’eau des rivières et des nappes phréatiques est liée à l’existence des barrages et des canaux de dérivation. Wohan Z. Zhang,du « Department of Engeneering and Hydrology » à l’université de Wuhan University avait observé, au cours d’une longue recherche, par des mesures précises, qu’il existait une corrélation très significative entre les détournements de l’eau des rivières et la baisse du niveau des nappes phréatiques. L’article correspondant, publié dans la revue « Hydrology » 133/92 à Amsterdam, propose par ailleurs un modèle de calcul permettant d’évaluer les conséquences à attendre de telles ou telles constructions, notamment des grands barrages et des canaux à fonds imperméables. Il montre précisément, pourquoi il faut laisser couler les rivières.
Au cours de ces recherches, la Cour Suprême de l’Inde dut répondre à une autre plainte, provenant de l’état de Hariana, en amont du Gange. Dans un contexte de raréfaction de l’eau, celui-ci accusait la Ville de Delhi d’en accaparer une trop grande quantité. L’état d’Uttar Pradesh se joignit à la plainte. Les deux états avaient fait des calculs précis concernant les quantités d’eau supplémentaires dont ils avaient besoin. La Cour demanda à S. Sinha s’il voulait aider en priorité à régler ce contentieux, en acceptant un jugement interlocutoire (un jugement ’avant dire droit’, c’est à dire une décision prise en cours d’instance pour aménager une situation provisoire). S. Sinha accepta. Grâce aux calculs de l’hydrologue chinois, il put évaluer de façon assez nette quelles étaient les pertes d’eau prévisibles entraînées par la construction de barrages et de canaux bétonnés dans les Etats concernés : selon ces calculs, le transport de l’eau vers l’utilisateur à travers le système des barrages et canaux imperméables cause 55 - 60 pour cent de pertes (par évaporation et à cause des murs de rétention défectueux). S.Sinha put également trouver des études scientifiques attestant que l’eau utilisée pour irriguer les champs ne descend pas dans les nappes phréatiques. Celles-ci se rechargent à travers les sédiments des rivières et par les racines des arbres qui retiennent l’eau de la mousson et la rendent ensuite lentement, au cours de la saison sèche. Si l’on laisse couler les rivières, les pertes d’eau s’élèvent à environ 15pour cent, sinon, au pire, au quadruple !
En comparant ces chiffres avec les demandes des Etats de Hariana et d’Uttar Pradesh, on voit que les pertes prévisibles seraient supérieures aux quantités d’eau détournée. La Cour Suprême accepta l’analyse présentée par Sureshwar. Dans une situation de pénurie croissante, il faut éviter toute nouvelle construction susceptible d’aggraver les pertes. Il s’agit au contraire de repenser la gestion de l’eau du Gange et de la Yamuna en vue de rétablir en partie les circuits naturels permettant le rechargement des nappes pour qu’il y ait de l’eau pour tout le monde ! La plainte des deux Etats fut rejetée et c’était une petite victoire. Mais en fait, la cause essentielle, le nécessaire changement des systèmes d’adduction et de gestion de l’eau, était loin d’être gagnée. L’affaire suit toujours son cours.
En avril 1995, une équipe de scientifiques sympathisants examina, pendant 15 jours, sur un parcours déterminé du Gange et de la Yamuna,, la quantité et la qualité de l’eau dans les fleuves, ainsi que l’état des nappes phréatiques. Celles-ci se trouvaient à 30 - 100 pieds de profondeur. Le rechargement observé était minime. Les eaux usées de la ville ne polluaient pas seulement l’eau du fleuve, mais aussi les nappes phréatiques. Les résultats de l’étude furent intégrés dans un rapport de la Cour Suprême. Ce document officiel, constate de nouveau la justesse des observations, des analyses et des propositions présentées par S. Sinha : il faut profondément changer la gestion des bassins hydrauliques.
Au cours des années 90, Sureshwar D. Sinha créa, avec ses sympathisants, la « Fondation pour le développement rural en Inde » (Rural Development Foundation of India), une ONG qui travaille depuis sur les solutions innovatrices à mettre en oeuvre face à la raréfaction et la pollution de l’eau, fléaux qui ne font que s’aggraver.
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, Índia, Delhi
Regards croisés sur la gestion de l’eau
Contact : Sureshwar D. Sinha, Rural Development Foundation of India, 73 Sainik Farms, Khanpur, New Delhi 110062, India - sureshwarsinha AT hotmail.com
La Cour Suprême est la plus haute autorité judiciaire du pays. Ses membres, officiellement nommés par le Président, sont en fait choisis par le Gouvernement. Ses fonctions sont diverses et recouvrent à la fois les compétences de notre Conseil d’Etat, de notre Cour de Cassation et de notre Conseil Constitutionnel. Son prestige est lié principalement à son rôle de garant des droits fondamentaux.
Cette fiche a été rédigée lors de l’Assemblée mondiale des citoyens organisée par l’Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire, Lille, décembre 2001.
Entretien avec Sureshwar D. Sinha