Les fonctions sociales des guérisseurs en Russie contemporaine, et notamment en Oural
Iaroslav STARTSEV, Inga JOUKOVA
08 / 2001
Des guérisseurs ont toujours existé en Russie toujours, même à l’époque soviétique, et cela malgré les persécutions. La chute du "rideau de fer" et du régime communiste donne naissance à une vague de nouveaux guérisseurs, magiciens etc. dont le nombre s’accroît rapidement. C’est à cette période que le spécialiste d’hypnose A.Kashpirovsky a fait des séances publiques diffusées par la TV nationale, et que la Douma a invité des visionnaires et des extralucides etc. La mode passée, les guérisseurs qui restent assez nombreux forment une communauté qui possède des caractéristiques stables et qui occupe une place importante dans la société russe. La structure et le rôle de cette communauté que l’on peut observer en Oural, sont typiques pour plusieurs régions russes et met en avant en même temps la situation différente qu’il existe en province par rapport à l’état de choses à la capitale.
Selon les statistiques disponibles, aujourd’hui le nombre total de guérisseurs, magiciens et autres personnes se spécialisant dans le domaine de services occultes ou liés est estimé en Russie à 250 000. Il faut noter pourtant que les données sont très approximatives: de nombreux représentants de ce "métier" ne sont pas enregistrés auprès des services des impôts; d’autre part, l’expression souvent utilisée pour l’enregistrement en tant que désignation du domaine d’activités, "services à caractère social" peut désigner une organisation de bienfaisance, un organisme de consulting ou un "maître de la magie noire",...
Des observations permettent de faire un inventaire systématique des guérisseurs répartis par types :
1) la vieille femme. La figure traditionnelle de guérisseur du peuple, le plus souvent c’est une femme, plus ou moins âgée. La liste de services inclut le traitement de quelques maladies à caractère psychosomatique (eczémas, acné, hernie, migraines, crise nerveuse, coliques de nourrisson etc.), un minimum de services occultes (prédiction de l’avenir, défense contre le mauvais sort, envoûtement, philtre magique) ;
2) le sorcier. Les représentants de ce type se nomment magiciens, sorciers, parapsychologues, etc. Les services proposés vont de l’amélioration du karma jusqu’à la programmation du destin individuel ou à l’anéantissement des concurrents; un service très demandé est la recherche d’objets perdus (volés) et de personnes disparues ;
3) le médecin non traditionnel. C’est souvent un médecin ou un ancien médecin traditionnel qui a le droit de pratiquer des services médicaux et paramédicaux qui ne sont pas liés à l’emploi de médicaments ni à l’intervention chirurgicale. Cela suppose normalement un traitement avec des herbes, des éléments de kinésithérapie, le traitement par cautérisation etc. Ces pratiques sont généralement associées dans la conscience populaire aux guérisseurs et à la magie, non pas à la médecine ;
4) le psychologue. Les guérisseurs de cette catégorie peuvent se nommer psychologues, psychothérapeutes, psychanalystes, etc. A la différence d’autres représentants de ces professions, ils ne possèdent souvent pas la formation professionnelle nécessaire, mélangent la thérapie, l’analyse et des invocations ou des incantations et ils organisent le traitement toujours de façon directive ;
5) le commerçant. A la différence de représentants d’autres catégories, il s’agit de personnes qui n’effectuent pas de traitement direct mais qui vendent des produits réputés d’être magiques ou aidant contre tous les maux et souvent accessibles à travers un réseau spécialisé uniquement;
6) le gourou. Un guérisseur qui ne pratique pas et qui ne fait qu’enseigner son art. Peu nombreux en province, les personnages de ce type sont répandus surtout à Moscou.
En province ces différents types sont souvent mélangés, un "psychologue" peut s’avérer adepte d’un culte et un "magicien" peut ne faire que du consulting psychothérapeutique doublé d’incantations; une spécialisation plus poussée (chiromanciens, vaudou etc.) est très rare. S’adresser à un guérisseur ce n’est aujourd’hui pas une mesure extraordinaire, c’est plutôt un trait typique de la vie quotidienne. Des sondages montrent qu’un tiers au moins des Russes majeurs aurait eu l’occasion de voir un guérisseur pour un problème quelconque. Les raisons en sont simples. D’abord, c’est la crise du système de santé publique. Aller voir un guérisseur, c’est toujours plus agréable (l’attitude des médecins du secteur public est parfois agressive, si ce n’est indifférente), c’est souvent moins cher (même s’il s’agit d’un médecin d’Etat, vu le prix des médicaments) et c’est parfois, selon les avis, plus efficace que d’aller voir un médecin. Les malades s’adaptent en recherchant des remèdes simples et peu coûteux. Les guérisseurs résolvent leurs problèmes d’emploi : nombreux sont ceux qui choisissent ce métier suite à un licenciement lié à la crise économique. Ensuite, c’est l’absence en Russie des spécialisations modernes de psychologue et psychanalyste, alors que la demande est très grande (les changements sociaux et économiques de la dernière décennie y contribuent). Il existe des spécialistes ayant une formation suffisante, mais qui ne satisfont pas la demande parce que 1) le coût de leurs services n’est accessible que pour 10-15 pour cent des Russes, 2) la culture correspondante est absente: les gens refusent de reconnaître que la source de problèmes personnels peut résider en eux et non pas ailleurs; le reconnaître ce serait se déclarer publiquement "malade mentalement". La notion traditionnelle de norme comme presque synonyme d’honnêteté reste très répandue. Enfin, la chasse gardée des guérisseurs, c’est l’occultisme et la recherche d’effets surnaturels. Ce domaine toutefois est lié à la situation économique lui aussi : plusieurs demandes sont adressées à des magiciens parce que les services d’Etat ne savent pas ou ne veulent pas les satisfaire avec des moyens profanes (il s’agit notamment de recherche d’objets volés ou de personnes enlevées ou d’erreurs médicales). L’offre et la demande s’adaptent mutuellement. Par ailleurs, l’Etat sait utiliser les services des magiciens: il y a plusieurs cas avérés où la police, des fonctionnaires ou même des médecins se sont adressés aux magiciens et guérisseurs pour résoudre des cas particuliers.
medicina paralela, psicologia, medicina tradicional, saúde pública
, Rússia
Les activités de guérisseurs font partie d’un succédané socio-politique ayant remplacé ou repoussé les services d’Etat dans le domaine traditionnel de leurs activités. Le désenchantement concernant l’aptitude de l’Etat à gérer les choses coïncide avec son incapacité réelle à remplir les fonctions de l’époque soviétique. Tout comme des groupes criminels usurpent les fonctions de maintien de l’ordre ou d’arbitrage, les guérisseurs usurpent plusieurs fonctions de santé publique ou qui incombaient au parti communiste y faisant concurrence à l’Eglise. L’Etat le reconnaît mais de façon informelle : la situation est connue, utilisée mais elle n’est pas inscrite dans un cadre légal bien défini.
Texto original
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