Bandes, gangs et enfants de la rue : culture d’urgence à Caracas
01 / 2002
« Mon nom est Pulido, et je suis un de ces trop nombreux « malandros ». Je vis dans la rue, depuis l’âge de quatre ou cinq ans, difficile à dire. Au début, j’ai incorporé la bande de Nuevo Circo, parce que personne ne faisait attention à moi, en dehors de Rolando qui en était le chef à l’époque. Depuis toujours, même sous mes trois frusques pourries, j’ai mon chuzo, un morceau de fer taillé pour me défendre, et bien qu’au début, ils aient voulu me soumettre, ils ont vite renoncé en voyant que j’hésitais rarement à leur tailler le lard… Ceux qui ne sont pas mes amis se tiennent à l’écart… »
« Suppose que tu rentres et que pour trois enfants tu n’arrives pas à couvrir les dépenses de ta vie; il n’y a rien à manger, tes gosses ont faim, et ils voient que tous les autres aussi ont faim. Ils te disent « maman j’ai faim », et toi « putain, je n’y arrive pas ». Alors, tu es tenté de les tuer, ou de te tuer toi même… »
« Moi, je suis un malandro de 28 ans du barrio Marin. Plus que tout, je m’intéresse à ma famille. Aujourd’hui, j’écris à mon fils une carte, c’est son anniversaire… : Salut, ciao, comment vas tu ? … Moi, ton père, je t’aime beaucoup et je ne te trompe pas, je t’aime vraiment, le fait que je te frappe ou que je te gronde ne veut pas dire que je ne t’aime pas, - si je le fais c’est parce que je ne veux pas que tu passes par là où j’ai passé, je ne veux pas que dans la vie tu te sentes comme je me sens, pour ça, je vais toujours prendre soin de toi. Je t’aime, ton papa… - O putain, si je les aime ces mioches ! »
La traduction française du terme hispanique « malandro » pourrait être malandrin, qui selon le dictionnaire est un voleur ou un vagabond dangereux ; il se compose du terme « vago », le vagabond et du terme maleante qui pourrait être traduit par malfaisant. Or, il y a aujourd’hui en Amérique latine cent millions d’enfants qui vivent dans les rues et qui sont donc des vagabonds dont le quotidien est nourri de violence. Et s’ils ne sont certainement pas tous des voleurs et des brigands, tous ces vagabonds ne vivent que dans la culture d’urgence, leur principal souci étant la survie quotidienne tant la sous-alimentation, les maladies et les assassinats sont fréquents…
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, Venezuela, Caracas
Le livre présenté n’est pas un traité sur la violence dans les grandes villes du continent sud-américain, ou un traité de criminologie, même s’il est souvent question de violence et de crime. C’est une analyse sociale à partir d’une oreille attentive aux voix de ces défavorisés que la société voudrait faire taire, ne voulant pas les entendre, et encore moins les comprendre.
Les deux auteurs, sociologues et professeurs dans les universités et les grandes écoles se sont longtemps déplacés dans les barrios de Caracas (zones auto-construites des métropoles sud-américaines dont le milieu social et spatial est hétérogène et méconnu) pour partir à la rencontre des malandros et comprendre leurs vies et leurs pensées. Malgré une tendance à la violence - certains secteurs ne sont plus pénétrables par des étrangers dans le quartier concerné - la nature profonde des malandros reste l’esprit de ruse, l’inventivité, le « double registre passe-partout ». Et si la violence s’étend, se généralise et se banalise, elle ne reste qu’un attribut de la culture d’urgence et non cette culture elle-même.
Malandros est un livre qui nous plonge dans les dures réalités des quartiers les plus pauvres de Caracas, dans lesquels se mèlent amour, violence et mort, amitiés et trahisons, débroullardise et fatalité. C’est un livre souvent dur tant la violence y est crûment présente. Mais c’est aussi un livre plein d’humanisme, d’optimisme puisqu’à sa lecture on ressent que pour toutes les personnes rencontrées, la vie (la ville) demeure une aventure digne d’être vécue. Les nombreux récits des jeunes malandros qui illustrent les propos sociologiques des auteurs sont touchants de spontanéité (même si le mensonge et la roublardise sont fréquents) et restent dans notre mémoire une fois le livre fermé.
Les auteurs ont aimé leur travail de recherche et se sont pris d’affection pour ces jeunes malandros avec qui ils ont pu partager un petit bout de leur quotidien. Par leur écriture, ils ont su nous transmettre les nombreux ressentis, nous permettant une double lecture de leur ouvrage. La science et l’analyse sociologique (parfois un peu froide et trop complexe, ayons l’honnêteté de l’avouer) issues de ces rencontres côtoient le vécu dans toutes ses dimensions, et ceci pour le plus grand intérêt et le plaisir du lecteur.
Livro
PEDRAZZINI Yves, SANCHEZ Magaly, Malandros, Editions Charles Léopold , 1998/02 (FRANCE), 271 p.
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