<Dans nos bureaux, les gens disent des choses fortes sur leurs vies, leurs souffrances... mais cette parole ne s’exprime pas publiquement ou alors à travers des porte-parole, les travailleurs sociaux ou certaines associations... ". Une assistante sociale dit cela. C’est cette volonté de donner la parole aux usagers qui a permis l’émergence d’un projet de théâtre forum.
En 1995, ces travailleurs sociaux de la circonscription d’action sociale 08 de Grenoble ont connaissance d’une expérience de Théâtre forum qui s’est déroulée à Rennes, ils découvrent l’outil "théâtre forum ", ils sont emballés.
Le théâtre forum est un théâtre militant né au Brésil dans les années 60. Augusto Boal metteur en scène, l’a créé pour réfléchir avec les habitants des favelas sur les moyens d’améliorer leurs conditions de vie. L’objectif est de provoquer un débat, de donner la parole aux spectateurs en les invitant à monter sur scène. Il ne s’agit donc pas d’une parole de concepts, de théories mais de la parole qui s’échange dans la mise en situation. Le Joker en est le pivot, c’est le personnage qui interroge le public, relance le débat, fait réagir la salle puis demande à l’un ou à l’autre d’aller sur scène. Une fois sur scène, le spectateur est mis en situation " voilà, vous êtes en train de discuter avec votre voisine...". Cela requiert pour les comédiens un grand sens de l’improvisation puisque chaque représentation les place dans des dialogues différents.
Le théâtre forum rassemble deux des souhaits des travailleurs sociaux : amener les gens à parler publiquement de leur vie, poser une problématique sociale avec leurs mots, à partir de leur expérience puis permettre une expression des spectateurs.
Le souci de donner la parole que portaient ces travailleurs sociaux se situe dans la lignée d’une réflexion globale puisque les assises de l’insertion en 1995 portait également sur "la parole de l’usager ". Le financement du projet n’en est que plus facile. C’est la Commission Locale d’Insertion qui financera la première année un stage de cinq jours pour les comédiens, puis la seconde année, un stage de 7 jours. Le pari de ces travailleurs sociaux, c’est de demander à certains de leurs usagers de se former à ce théâtre et d’en être les comédiens.
La première année, le thème choisi par les commanditaires était " La consommation " mais ce thème ne permettra pas autant que souhaité une expression personnelle. De plus, le stage de cinq jours se révèle très court pour élaborer un texte et faire la mise en scène. Enfin, les représentations attirent plus les travailleurs sociaux que les habitants du quartier, le débat s’en ressent.
En 1998, d’autres options sont donc choisies : le stage sera plus long : 7 jours. Et le texte sera tiré de témoignages récoltés par les travailleurs sociaux les mois précédents. Le thème choisi ne laisse pas de place à l’indifférence : <le non-travail>.
Sur les 60 témoignages reçus entre juin et août, les comédiens en ont sélectionné 17 dans lesquels ils se retrouvaient.
En septembre, les comédiens ont été " recrutés " : l’information est passée par les travailleurs sociaux puis ils ont participé à une journée de présentation et ont manifesté leur souhait de participer à l’opération. Le stage n’est pas rémunéré, pas plus que le temps passé pour les représentations. Ils seront neuf à suivre le stage et finalement six sur scène pour réaliser quatre représentations, une dans chacun des quartiers que regroupe la circonscription d’action sociale 08 : Abbaye Jouhaux, Bajatière, Capuche et Teisseire Malherbe. Des quartiers ou le parc de logements publics est important et qui ont chacun leur personnalité, leur public spécifique. Chacune des représentations est marquée par les caractéristiques du quartier.
A Teisseire, la salle est bondée. Certains sont venus en groupe, accompagnés par des travailleurs sociaux, d’autres d’eux-mêmes, quelques-uns uns curieux de savoir si leur texte a été sélectionné. Les familles de certains des comédiens sont dans la salle, quelques enfants perturberont un peu la représentation. Mais le sérieux revient lors de l’échange avec la salle, pour les improvisations.
Ce qui frappe dans ces échanges, et qui, d’après les travailleurs sociaux à l’origine du projet, était également marquant dans les témoignages, c’est le volontarisme qui est exprimé. Au personnage qui perd confiance, qui est abattu, la salle répond : " Il faut lui dire de se bouger, dans la vie on ne peut pas rester comme ça, il faut toujours trouver de la force... ". Le Joker prend la balle au bond : " C’est vrai, vous pensez ça ? Allez venez, venez-le-lui dire... " Et voilà le spectateur sur la scène ! Assis comme sur un banc public, parlant à sa voisine, lui donnant des conseils : " Moi, par exemple... " Quand l’un ou l’autre des comédiens reste sans voix ou avant qu’il ne rentre trop dans son histoire personnelle, le joker intervient, remercie le comédien improvisé, reconnaît que ce n’est pas facile de parler à un personnage comme celui là... et relance le débat !
Les spectateurs devenus comédiens éventuels sont tour à tour mis dans la position d’aider à retrouver courage ou de répondre à un jugement (<Y’a que ceux qui ne cherchent pas qui ne trouvent pas ! >). Comédiens et spectateurs font appel à leur expérience personnelle (<Moi, mon fils >).
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, Franca, Isère, Grenoble
Ainsi, l’objectif de donner la parole semble atteint. Cette parole publique est sans doute différente de celle qui est exprimée dans l’intimité d’un bureau. Elle permet la confrontation avec l’expérience des voisins, met en relief les différences et les similarités. Par moment, il semble que les habitudes de <diagnostic> utilisées par les travailleurs sociaux sont reprises par les habitants (< Est-ce que tu as fait ça ? Est-ce que tu es inscrit là ? Et ton correspondant ? >). Cette reprise du <discours dominant> est sans doute une des limites difficiles à éviter. Autour de ces représentations les travailleurs sociaux espéraient mettre en route une dynamique d’expression qui n’a pas véritablement vu le jour. Dommage d’ailleurs, que le spectacle ne soit pas sorti du secteur de la circonscription d’action sociale. Il aurait pu circuler dans d’autres centres sociaux et rencontrer des questions travaillées ailleurs. Les témoignages écrits seront à disposition dans les centres sociaux et pour certains intégrés à un recueil d’expression réalisés à l’occasion des 10 ans du Revenu Minimum d’Insertion.
Contacts : Monique PASCAL, Assistante sociale au Centre Social Teisseire, 115 avenue Jean Perrot, 38000 Grenoble - Tél. : 33 (0)4 76 25 49 63
Monique BUR, Conseillère en Economie Sociale et Familiale, circonscription d’action sociale 08 du Conseil Général de l’Isère - 11 rue Emile Zola, 38029 Grenoble Cédex 2 - Tél. : 33 (0)4 76 85 07 84
Entretien avec PASCAL, Monique; BUR, Monique
Entrevista
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