01 / 1999
Dans le cadre d’une "Action Lecture" conduite depuis plusieurs années par la ville d’Echirolles, des "vacances lecture" sont proposées à des enfants en difficulté scolaire avec la lecture. En plus des activités classiques de loisir, une activité spécifique est organisée portant sur la littérature jeunesse et les pratiques autour de l’écrit, telle que la rédaction d’un journal quotidien selon des techniques mises au point par l’Association Française pour la Lecture. Les parents s’engagent par contrat à venir, collectivement, voir leurs enfants et passer une journée au centre de vacances. Les enfants en font un événement festif au cours duquel ils présentent des livres et mettent en valeur leurs nouveaux savoirs. Ils animent un débat autour des livres qu’ils ont travaillés avec une équipe d’animation particulièrement compétente en littérature jeunesse. C’est parfois la première occasion pour les familles de découvrir que l’écrit, y compris le livre pour enfant, permet de réfléchir sur des sujets importants ou graves, de comparer les expériences, les conceptions, et même d’échanger avec des voisins qu’on ignorait. Cette découverte, que font aussi bien les mauvais lecteurs que les analphabètes, nous semble déjà de nature à modifier les attentes des parents que nous souhaitons voir passer du "savoir lire" pour être conforme à la norme scolaire au "savoir lire" pour prendre du pouvoir sur la vie. Au cours de cette rencontre entre familles, enfants et animateurs, des liens amicaux et d’estime mutuelle se nouent : la richesse de ces échanges est à l’origine du projet "histoires de vie".
Nous proposons aux parents les plus participants de faire de leur histoire un livret à l’intention de leurs enfants. Nous rencontrons les volontaires, mère, père, parfois le couple parental avec un interprète si nécessaire, pour engager le travail. Initialement nous avions l’intention de les faire parler de leur propre enfance, et, avec les éléments recueillis, d’écrire une fiction dans laquelle ils se reconnaîtraient et que leurs enfants seraient invités à lire. Nous imaginions qu’il en résulterait tout d’abord des échanges bénéfiques sur le plan relationnel provoqués par un écrit chargé affectivement et que ce serait l’occasion pour les enfants et les parents de découvrir de nouveaux pouvoirs de l’écrit, d’explorer le passé, de réfléchir au présent et peut-être d’infléchir l’avenir.
L’idée d’écrire une fiction s’est vite révélée inappropriée. Ces personnes ne pouvaient entrer dans un jeu littéraire qui suppose une culture de l’écrit. Bien qu’elles souhaitent conserver l’anonymat, en commençant par le changement des prénoms, elles n’admettent pas la transposition de leur histoire ce que la fiction réalisait. Elles manifestent avec vigueur leur volonté d’une fidélité rigoureuse à leur histoire telle qu’elles la racontent.
La préoccupation de sa transmission aux enfants semble rapidement passer au second plan. En effet, cet écrit, le premier qui les concerne directement, prend une grande importance personnelle. Il constitue le témoignage concret de la reconnaissance de leur existence et de son intérêt, par des personnes "instruites" dont elles attendraient inconsciemment plutôt du mépris.
Le déroulement de l’action avec entretien, présentation du premier écrit, demandes de transformations et de précisions, seconde lecture, puis rencontre avec un petit groupe d’autres parents également impliqués dans le projet, modifie considérablement l’idée que ces personnes se font de l’écrit. Au départ, l’écrit a, au mieux, un statut utilitaire. L’effort de mémoire, d’organisation et d’expression des souvenirs, constitue parfois un premier acte de distanciation. Si le point de départ est centré sur les enfants, peu à peu il concerne les parents eux-mêmes et apparaît dans sa fonction essentielle de réflexion, de prise de conscience.
Il ne s’agit pas là d’une extrapolation : chaque histoire est l’occasion d’un retour sur le passé et de la mise en question de situations, généralement douloureuses, touchant en particulier les problèmes de statut. Statut de la femme, statut de l’enfant, statut que les parents ont eu, statut qu’ils ont engendré, statut de l’homme (et pas seulement de culture musulmane !) et encore problème de violence, historique ou institutionnelle. Fillette mariée à un homme âgé, tyrannie de la belle-famille, mariage sans (ou avec) amour, fille privée de droits qu’on accorde au frère, domination du père sur le fils, violence subie à l’école, violence subie dans la guerre, au travail... L’écrit permet d’ordonner ces pensées, de les consigner et d’y revenir, de les faire connaître à d’autres enfants, conjoints, cousines ou amis, d’en discuter, de rêver ou de vouloir des transformations de statut, de confronter les cultures, de remettre en cause plus ou moins radicalement le phénomène de reproduction familial.
L’action s’étale sur une courte période, un mois environ, et pourtant des conséquences surprenantes apparaissent qui témoignent d’un processus d’émancipation : telle maman ose aborder l’ancienne institutrice pour lui faire part des souffrances qu’elle lui a infligées quand, à quatre ans, elle arrivait de sa Turquie natale, tel père prend conscience très douloureusement de son ingratitude vis à vis de sa mère et déclare ; " On parle, on parle, et on ne se rend pas compte, mais quand c’est écrit, ce n’est pas pareil... ".
luta contra a exclusão, relação com o conhecimento, fracasso escolar, educação e intercâmbio cultural, memória, educação e intercâmbio social
, Franca, Isère, Echirolles
Il reste à convaincre les différents partenaires et à faire converger les efforts. Des développements sont encore à réaliser : "salons de lecture" pour des lectures à haute voix de certains passages de ces Histoires de vie et pour des mises en réseau avec des écrits littéraires, interviews des enfants, réalisation de petits livres qui pourraient être lus aussi bien par d’autres parents que d’autres enfants et même par les enseignants qui porteraient peut-être ainsi, un autre regard sur les familles et sur les enfants en difficulté (mis en difficulté par les normes de l’école ?). Actions au bénéfice des apprentissages scolaires mais aussi du "lien social", des échanges interculturels et même de certains processus d’émancipation.
Nous ne pouvons évidemment prétendre changer le monde avec ces Histoires de Vie, mais nous donnons la preuve qu’il n’existe pas de fatalité.
Contacts : Acteurs de l’action : "Action lecture" de la Ville d’Echirolles - Ernest BOIS - place de la Libération, BP 248, 38433 Echirolles Cedex - Tél. : 33 (0)4 76 20 63 00
Entretien avec BOIS, Ernest
Entrevista
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