La destruction du Cartucho, un quartier en plein centre de Bogota
07 / 2001
Le Cartucho est un quartier misérable situé en plein coeur de la capitale colombienne : 4 rues, 4 avenues, quelques « cuadras » à peine… On ne soupçonne pas l’existence d’un tel univers de pauvreté et de marginalité entre la majestueuse Plaza Bolivar - où se trouvent les édifices historiques tels le Palais de justice, la maison de l’Indépendance et la Cathédrale - et l’Avenida Caracas où passe depuis décembre 2000 le Transmilenio, le nouveau moyen de transport, symbole de modernité.
La destruction du Cartusien est déjà à l’oeuvre : gravats, silhouettes noires fouillant dans les décombres, bulldozer … : voici le spectacle qui s’offre à nous depuis l’Avenida Caracas. Une ceinture de policiers empêche les indigents de sortir de leur taudis afin qu’ils n’aillent pas importuner les passants. Et personne n’ose s’aventurer dans ce quartier déshérité.
En 1990, près de 100 000 personnes vivaient dans le secteur, entassées dans les demeures coloniales construites au début du siècle par des familles parties depuis vers le Nord chic et résidentiel de Bogota. A l’époque, le quartier était encore le paradis des junkies de toutes origines : avocats, médecins, voyageurs européens s’y sont perdus dans la poudre. Aujourd’hui, les habitants expulsés ont été placés dans les foyers gérés par des ONG, mais, faute d’argent, certains programmes de réinsertion doivent s’arrêter à la fin de l’année.
Le quartier concentre depuis 30 ans tous ceux que les 7 millions d’habitants de la capitale colombienne appellent les « desechables » de la ville, littéralement, les « jetables » : drogués, indigents, gamins abandonnés, petits voleurs, dealers et trafiquants en tous genres. Les habitants consomment le « basuco », pâte base de cocaïne bourrée d’impuretés…
Le « nettoyage social » est une pratique qui a cours à Bogota. Engagés parfois par des sociétés de sécurité, paramilitaires ou policiers à la retraite se font payer quelques milliers de pesos pour éliminer les indésirables, les gamins des rues et les mendiants…
C’est ici que la mairie va mettre en oeuvre son projet immobilier et construire le parc du Tercer Milenio. En 1998, le maire de l’époque, Enrique Penalosa, prévoit de raser le Cartucho pour édifier un quartier décent : immeubles résidentiels, rues piétonnes et centres commerciaux. Le nouvel ensemble gommera le cloaque de la capitale colombienne, situé à quelques centaines de mètres du palais présidentiel. Le projet a été repris par son successeur, Antanas Mockus, universitaire d’origine lituanienne, pourtant considéré à l’étranger comme un bienfaiteur des pauvres de la ville…
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, Colômbia, Bogotá
Exclusion et fragmentation urbaine
Ce qui est déroutant, c’est qu’une même municipalité, celle de l’administration Mockus, soit à l’origine de projets allant dans des sens contradictoires : d’une part des mesures positives et sociales visant à recréer un lien entre les habitants et un sentiment d’appartenance à la ville par la mise en place du Transmilenio, des nouvelles méthodes politiques… et d’autre part cette politique ultralibérale qui semble fondée sur l’idée que s’il y de la pauvreté, c’est parce qu’il y a des pauvres et non l’inverse !
Alors, lorsque les gens nous disent que Bogota a changé, que la ville est plus propre, plus agréable, qu’il y a moins d’indigents dans les rues, on s’interroge : est-ce à ce prix que l’on modernise une ville ? La modernité et le nettoyage social sont-ils les deux faces d’une même monnaie ?
D’après un article de Libération, « Nettoyage social en vue à Bogota : la mairie veut raser un quartier peuplé de pauvres et de trafiquants », jeudi 2 août 2001 ainsi que du témoignage du rédacteur.
Fiche rédigée par Delphine Astier (5 rue Boisset, 38000 Grenoble - Tél : (33) (0)4 76 43 39 72 / 06 76 84 96 02 - delphine.astier@ifrance.com) dans le cadre de la préparation de l’atelier Etat et développement de l’Alliance pour un monde responsable, solidaire et pluriel. Pour plus d’informations, on peut consulter le site : www.alliance21.org/fr/themes/pol-dev.htm.
Entretien avec <TEXTE ORIGINAL>
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