Une logique territoriale de paix sur l’île de Mindanao (Philippines)

Sur l’île de Mindanao, aux Philippines, cohabitent trois communautés, les Moro (musulmans), les Lumad (population indigène) et les Settlers (catholiques). Cette coexistence sur un territoire fermé a souvent été conflictuelle, à la fois entre les membres des trois groupes et avec le gouvernement central. Ces conflits se sont particulièrement aggravés ces dernières années, provoquant l’installation sur l’île d’importantes forces militaires : 80 pour cent des forces armées des Philippines y sont basées. A ce contexte de guerre s’ajoute depuis peu la présence de troupes américaines, installées sur l’île dans le cadre de la campagne américaine de lutte contre les groupes terroristes liés au mouvement d’Al Qaeda. Complètement affaiblie par les conflits armés et par la situation économique déplorable qui en résulte, la population civile s’est trouvée, première victime des conflits, mais également totalement exclue de la table des négociations. C’est à cette situation que tente de remédier le réseau Sumpay, depuis 1999.

A l’initiative de personnalités et de groupes communautaires originaires des trois peuples, Sumpay (qui signifie lier, construire) a voulu, depuis ses débuts, donner à la population civile dans son ensemble une place à la table des négociations, et ce en dépassant une logique de représentation strictement communautaire. C’est la Caravane pour la paix (24 avril - 3 mai 1999) qui, rassemblant différents membres des communautés et différents acteurs civils, a suscité sur son passage des réunions publiques dans les villages et des consultations avec les autorités locales sur le thème de la paix. A l’issue de cette expérience a été formellement créé le réseau Sumpay, avec pour but la construction de liens de solidarité et d’unité entre les peuples et les organisations de l’île, et la participation de la population à des projets de modèles alternatifs de développement.

Ainsi, Sumpay a commencé par mobiliser les habitants de l’île autour de la présence anticonstitutionnelle des troupes américaines. Il en a résulté leur départ pour Basilan. Ce même programme de construction de la paix favorise également la résolution des conflits par le biais de séminaires d’éducation à la paix, séminaires qui impliquent toujours des représentants des trois communautés et s’appuient sur des principes de médiation propres aux populations. Une autre initiative emblématique de cette logique liant territoire et communautés est le programme de développement communautaire, qui permet la réalisation de projets de développement territorial intégré. Les projets sélectionnés, qui peuvent être de nature très diverse, doivent rassembler au minimum deux des trois communautés sur un territoire donné, qui prend alors le nom de zone de paix (peace zone), et s’inscrire dans une logique de développement rural. Enfin, le réseau facilite et contribue à la collaboration des trois communautés en matière de défense des droits communautaires. Le résultat fut, notamment, la diffusion auprès de différents groupes d’une loi inscrite dans la Constitution, qui accorde le droit aux communautés d’appliquer certaines coutumes en matière de résolution des différends. La mobilisation des membres du réseau a par ailleurs permis la construction dans l’une des communautés (celle des Teduray), d’une maison du droit, dont les décisions sont reconnues par les autorités locales.

Enfin, grâce à la mise en place d’un réseau de communication (Internet et téléphonie mobile), une cinquantaine d’organisations non gouvernementales et d’organisations communautaires sont reliées entre elles et peuvent avoir accès à un certain nombre d’informations en matière de développement et de médiation, plus précisément dans les domaines concernés par les trois programmes cités plus haut.