Les doutes d’un observateur engagé (ASSY)
Baba OUEDRAOGO, Christophe VADON
07 / 1998
Baba OUEDRAOGO, président de l’ASSY (Association pour la Survie dans le Sahel au Yatenga) raconte ceci :
"Au sein des groupements Naam. Plusieurs fois, on a montré à des bailleurs de fonds un champ d’arachide cultivé par un paysan en lui faisant croire que c’était un champ collectif. Un jour, on a même fait cela sans avoir le temps d’informer le paysan. Ce jour-là, on a échoué. Il voit des voitures qui se garent autour de son lopin de terre et il est venu et leur a dit : "Mais qu’est-ce que vous voulez ? Vous regardez quoi ? Pourquoi visitez-vous mon champ ? Vous voulez me le saboter ?" Et celui qui faisait visiter a essayé de traduire le contraire de ce qu’il disait. Pareil pour le maraîchage : on visitait des maraîchages de familles réussis au lieu de maraîchages de groupements qui n’existaient pas ou qui étaient mauvais. On voulait toujours montrer aux bailleurs de fonds des choses jolies ! Et toujours on disait : "Le groupement a réalisé ceci ou cela" alors que c’était la famille qui l’avait fait.
Je voyais cela et je me disais : "C’est la famille qui a de la valeur". En plus, dans notre propre ferme c’était vraiment la famille qui l’avait faite, ce n’était pas le groupement. Elle est très visitée et toujours présentée comme une réalisation des groupements Naam. Alors je me disais pourquoi ne pas reconnaître que les familles s’impliquent directement dans le processus de développement, pourquoi ne pas s’attaquer à l’amélioration de la méthode de travail au sein même des familles qui sont déjà responsables d’elles-mêmes ? Pourquoi ne pas présenter directement ces familles aux visiteurs et à ceux qui aident ?
De plus, les familles ont toujours un champ familial qui est cultivé par tout le monde et ensuite chaque foyer a son champ. Il y a un grenier familial et des greniers de foyer. Ce grenier de famille, on l’ouvre pendant la saison des pluies, au moment où on en a besoin pour travailler. C’est quelque chose de sûr pour la période de soudure. Ce grenier familial, aujourd’hui, tend à disparaître.
Et puis, le champ familial représente une grande superficie, et c’est donc plus facile d’entreprendre une activité d’agro-foresterie dans ce champ que dans les champs de chacun. D’un seul coup, tu prends en compte plusieurs foyers.
Un autre exemple pour le reboisement, les groupements collectifs ont des problèmes. Tout le monde vient pour trouer, tout le monde vient pour planter, mais personne ne vient pour arroser. Et puis au moment de l’exploitation; qui va exploiter ce bois ? Le groupement veut exploiter et puis toi c’est ton terrain : tu veux exploiter aussi. C’est pour cela qu’aujourd’hui il y a des reboisements bien réussis qui ne sont pas exploités. On n’arrive pas à se mettre d’accord. Tandis que si ce reboisement est réalisé par une famille, quand elle a des problèmes à résoudre, elle peut l’exploiter, vendre ses perches et organiser une caisse familiale pour résoudre son problème.
De plus, chaque chef de famille a une certaine capacité pour faire participer tout le monde à ses activités de famille. Généralement c’est une personne âgée, respectée et influente.
Une autre chose spécifique à chaque famille; c’est le bosquet de famille. Elles commencent le bosquet chacune elle-même, avec ses propres moyens et si l’association cherche des moyens supplémentaires, c’est seulement pour renforcer. On demande à chaque famille de planter 10 pieds par membre. Cela permet de développer la responsabilisation. De bien savoir qui est le propriétaire de ce reboisement. Sinon dans les reboisements des groupements, il n’y a pas de responsables et beaucoup n’ont pas d’intérêt direct et ne sont pas motivés. C’est surtout au moment de l’entretien qu’est la grosse différence parce que là, celui à qui cela appartient fait attention aux divagations d’animaux, etc.
C’était là nos premières idées pour prendre la famille en compte dans le développement. En général dans les villages, chaque famille est propriétaire d’un terrain. Elle dispose d’une forte main d’oeuvre en général. Chacun peut avoir sa propre pensée, mais il y a un objectif commun au sein de la famille, ils ont les mêmes besoins. Cet intérêt commun là n’est pas proposé par l’association. A partir des premiers essais faits par des familles qui ont réussi, on a fait appel à un bailleur de fonds pour soutenir cet effort d’une façon indépendante. Chaque famille a pu bénéficier directement d’un matériel, à elle, pour son travail. Chaque famille va planter par an 30 arbres; on a décidé cela avec elles. Certaines disent qu’elles pourraient en faire 40, alors que je connais des groupements de 72 personnes qui ont mis en place 700 plants. C’est que chaque famille voit directement son bénéfice, son intérêt."
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, Burkina Faso, Yatenga
L’auteur de ce récit est le premier à avoir percé l’absurdité de faire croire que chaque groupement d’une fédération régionale bien connue des bailleurs de fonds, était capable de faire des choses, quitte à tromper les visiteurs étrangers. Il est aussi -à notre connaissance- le premier à avoir mis la famille au centre du dispositif d’appui au sein de l’association ASSY, qu’il a créé en 1994.
Baba Ouedraogo est un innovateur. C’est pourquoi plusieurs fiches retraçant son parcours et décrivant ses activités lui sont consacrées.
Voir fiches DPH : 7.439
Entretien avec OUEDRAOGO, Baba réalisé à Ouahigouya en mars 1998.
Entrevista
VADON, Christophe
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