Ce sont les faits de la pratique qui sont au centre de la réflexion dans la capitalisation d’expérience. Mais comment les présenter et surtout comment les intégrer dans cette réflexion ?
Lors de bien des tentatives nous nous étions heurtés soit au simplisme caricatural d’un résumé qui ne servait plus que d’exemple et de prétexte au discours postérieur, soit à d’interminables explications aussi bien sur les détails que sur le contexte de l’action.
Ce n’est que lorsque nous avons assumé que la capitalisation soit personnalisée (pas nécessairement en employant la première personne mais toujours en affirmant la subjectivité de l’auteur ou des auteurs) que nous avons pu nous en sortir.
Plus que « les faits » il s’agissait alors de raconter l’anecdote qui illustrerait le cheminement de la pensée de l’auteur confrontée à l’action. Ce n’était qu’une anecdote et elle n’avait pas besoin de tout dire, ni en longueurs ni en synthèses. C’était une anecdote et son conteur pouvait alors choisir de dire ce qui l’y avait marqué et jongler entre les faits et leur réflexion.
Même, c’était une anecdote et son acteur-auteur pouvait plus facilement y ressentir le dialogue avec un public-lecteur du terrain. Combien de spécialistes, dans nos projets de développement, ont-ils ainsi découvert le plaisir d’être pour la première foisvraiment lus par leurs collègues d’autres disciplines du même projet alors que leurs différents « papiers » antérieurs végétaient dans les tiroirs ?
Il y a cependant un transit relativement difficile entre l’anecdote en soi et les réflexions que l’on en tire. Après avoir enfin réussi à stimuler nos auteurs de capitalisation à entreprendre de raconter, j’ai souvent eu ensuite à intervenir lorsque surgissait un nouveau blocage: comment en tirer parti? Car, une fois posée l’anecdote, on ne savait plus comment revenir au modèle appris, le discours.
Il s’agit là en fait du passage d’un dialogue à un autre.
L’anecdote reprend généralement un dialogue qui s’est donné dans l’action, soit avec des gens soit avec des réalités et leurs réactions à nos initiatives: elle reprend les conversations qui se produisirent alors entre les interlocuteurs et/ou dans nos têtes.
Au lieu de réintégrer ensuite le style du discours théorique, mieux vaut essayer de continuer en dialogue, avec le lecteur cette fois-ci. C’est ainsi que les réflexions du moment, qui peuvent être insérées dans l’anecdote elle-même, se complètent avec d’autres, nées du recul de la capitalisation, stimulées par les questions que le lecteur ne manquera pas de se poser, etc.
C’est ainsi que l’anecdote nous a permis de danser entre les faits et la réflexion. Elle n’était plus un fait à analyser (donc à exposer de manière adéquate) mais un point de départ (et d’arrivée) pour la pensée en action. Plutôt qu’un fait en tant que tel, l’anecdote peignait un moment d’une intensité particulière et autour duquel il était possible de faire sa ronde de réflexions, sa récolte de connaissances.
comunicação, metodologia, capitalização de experiência
, América Latina
En fait c’est souvent lorsque l’anecdote manifeste le sentiment vécu (la frustration, l’ébahissement, la rage, l’enthousiasme…) qu’elle se prête le mieux à cette danse entre les faits et la réflexion. Mais ce sentiment n’a pas toujours besoin de s’exprimer directement, de s’étaler. La pudeur a aussi ses avantages. Malheureusement elle tourne trop souvent à la dissimulation et l’on retombe alors dans la version apparemment aseptisée et en réalité faussée.
Fiche traduite en espagnol : « Capitalización: La anécdota para bailar entre los hechos y la reflexión »
Ce dossier est également disponible sur le site de Pierre de Zutter : p-zutter.net
Version en espagnol du dossier : Historias, saberes y gentes - de la experiencia al conocimiento