Puisque c’est autour de la communication que, dans nos expériences de capitalisation, nous avons organisé l’élaboration de la connaissance, c’est autour des caractéristiques du produit à diffuser, à partager, que nous avons posé les règles du jeu. Il s’agissait de deux défis ayant pour fonction de guider les auteurs de capitalisation dans leurs processus: que chaque produit soit utile et accessible.
UTILE ? Il y avait là un grand danger ! De toutes parts on réclame pour le terrain des trucs, des méthodes, des manuels : on confond souvent l’utilité avec la simplicité dans l’utilisation, on veut des schémas à appliquer sans trop réfléchir. On prétend quel’action alterne avec la réflexion et que cette dernière doit offrir à la première des mécanismes clairs et faciles. Il y a un moment pour penser et un autre pour agir !
Mais justement les expériences les plus riches en enseignements sont celles où l’action et la réflexion n’ont pas divorcé, ne font pas chambre à part. L’action implique une succession de prises de décisions et c’est dans la mesure où il s’agit de décisions réfléchies que l’on peut y apprendre. Simplement il y a des différences d’intensité.
A certains instants les décisions doivent être immédiates et on ne peut refaire alors tout le processus de réflexion ni reconsidérer les innumérables critères qui entrent en jeu, on agit donc en s’inspirant d’un ensemble accumulé de réflexions et de connaissances (qui s’appelle « automatismes », qui s’appelle métier, qui s’appelle expérience professionnelle) et on observe les réactions. A d’autres instants on peut prendre le temps de réviser différentes alternatives et leurs conséquences avant de décider et d’agir. A d’autres instants on se consacre surtout à réfléchir l’action à entreprendre ou l’expérience vécue pour établir les pistes qui permettront d’améliorer ensuite les décisions et l’action.
La capitalisation de l’expérience telle que nous la comprenons se situe dans cette optique. Son utilité ne vient pas de ce qu’elle prétende dire ce qu’il faut faire (et donc éviter aux autres d’avoir à penser) mais de ce qu’elle enrichit cet ensemble de réflexions et connaissances qui peuvent contribuer à améliorer les décisions instantanées, celles qui ont un peu de temps, celles qui se mûrissent lentement.
Que le produit de la capitalisation soit utile ? Oui. Mais sans avoir besoin pour cela de plonger dans la formulation de recettes ni de s’enfermer seulement dans « le concret » ou « l’utilitaire ». La capitalisation peut naviguer dans tous les océans de la pensée, de l’action et de sa réflexion.
ACCESSIBLE ? Nos terrains réfléchissent beaucoup. Mais trop souvent en circuit fermé. Par manque d’opportunités parfois. Mais aussi parce que ce qui circule ce sont les modes et leurs recettes, ou bien les études pour initiés qui embrouillent et étourdissent les non-initiés. En général sur le terrain on n’a ni le goût ni les conditions pour décrypter ces messages avec un dictionnaire ou une encyclopédie.
C’est donc en pensant à tout cela que se pose le défi de produits accessibles. Tout dépend alors de l’ambition : veut-on se limiter à un public local ? Veut-on élargir à tout le pays, à d’autres réalités et pays et même continents ? Comment le faire sans retomber dans le langage universalisant des disciplines académiques ?
Nous n’avons pas trouvé de formule miracle. Mais en choisissant de travailler autour d’un récit (le plus universel des langages même si ses formes diffèrent d’une culture à l’autre), c’est-à-dire de raconter ce que l’on a appris et comment on l’a appris,nous pensons pouvoir aider d’autres à se resituer dans leur propre expérience et à la regarder sans doute avec des yeux plus attentifs, à en voir des dimensions cachées.
Peut-être y aurait-il des manières plus efficaces pour diffuser la connaissance en tant que telle ? Du moins espérons nous ainsi que, à défaut d’assimiler nos connaissances, ces autres y trouvent un appui pour enrichir leur propre production de connaissances. Alors le dialogue deviendra encore plus aisé et le partage encore plus vaste.
recomposição do saber, comunicação, metodologia, acesso à informação, capitalização de experiência
, América Latina
Ce n’est donc pas la connaissance en soi qui a été notre guide principal, mais « l’autre » d’un dialogue où il s’agit de partager la recomposition du savoir, « l’autre » d’un terrain qui a également ses expériences et ses connaissances. D’une certaine manière il s’agissait tout autant de lui offrir les apports de nos pratiques que de l’inciter à donner forme à son tour aux acquis de son vécu. S’il trouvait plaisir et utilité à nos « produits », peut-être aimerait-il entrer lui aussi dans la danse ?
Fiche traduite en espagnol : « Capitalización: Dos desafíos para cada producto »
Ce dossier est également disponible sur le site de Pierre de Zutter : p-zutter.net
Version en espagnol du dossier : Historias, saberes y gentes - de la experiencia al conocimiento