12 / 1999
Je suis un fils de paysan de Loire atlantique. En 1942, le jour de mes 12 ans, je suis sorti de l’école pour travailler. On était une grande famille, douze enfants, sur une ferme moyenne de 30 hectares. On ne se posait pas de questions, on travaillait C’était la civilisation du travail, mais on était heureux. Et puis soit on avait des cours par correspondance pour se former, ce qui a été mon cas, soit il y avait la JAC (Mouvement de Jeunesse Agricole Catholique).
J’ai eu très vite des responsabilités au sein de la JAC. A 20 ans, on m’a demandé de devenir permanent national. Ma formation a vraiment été le terrain, en équipe, dans un milieu paysan plutôt évolué.
Puis il se trouve que j’ai eu la tuberculose, et pendant ma convalescence, j’ai intégré l’école supérieure d’agriculture d’Angers, ce qui m’a valu de passer deux ans dans l’enseignement supérieur, comme auditeur et élève.
Je voulais être paysan, c’était dans ma nature. On m’a dit ’ non, tu ne vas pas être paysan ’. Les présidents de la chambre d’agriculture, de la fédération des syndicats agricoles de mon département m’ont dit : ’ tu vas venir avec nous ’. Je suis devenu secrétaire animateur permanent du syndicalisme agricole de Loire Atlantique pendant seize années. Puis très vite je suis devenu permanent régional, des pays de la Loire et de la Bretagne, à l’époque des grandes actions syndicales des années 1960/65.
Vers quarante ans, ça faisait plus de 15 ans que j’étais dans le syndicalisme. Je connaissais bien le milieu, mais les jeunes qui arrivaient ne pouvaient pas s’exprimer. Ils hésitaient devant quelqu’un qui a une expérience, donc j’ai compris très vite qu’il fallait changer. Des responsables syndicaux me l’ont fait comprendre.
Je suis arrivé à 42 ans à la CANA, qui est une grosse coopérative agricole, également comme permanent des paysans, en appui au conseil d’administration. Puis j’ai pris ma pré-retraite. A 56 ans, j’étais en pleine forme. C’est là que l’on m’a dit : ’ mais tu es libre maintenant, tu as du temps ? Tu ne ferais pas ça et ça ? ’.
Henri Rouillé D’Orfeuil et Bertrand Hervieu, qui étaient à la FPH, m’ont parlé du groupe APM (à l’époque ’ Agricultures paysannes et modernisation ’, aujourd’hui ’ Agricultures paysannes, sociétés et mondialisation ’). La FPH venait de se créer quelques années auparavant. Ce groupe se montait et je m’y suis senti très bien.
Avec la FPH, dans le prolongement et après les paysans et le syndicalisme, c’est l’international qui s’est ouvert à moi. Ca m’a toujours passionné, parce que je pense que l’on a beaucoup à s’apporter, non par le discours, mais par des pratiques, des contacts, des relations
Parallèlement, j’ai pris la présidence du réseau GAO (Groupement Associations villageoises et Organisations paysannes)dans les années 88, et l’ai été pendant 7/8 ans. C’est ce réseau, avec ’ Recherche-développement ’ rattaché au GRET (groupe de recherche et d’échanges technologiques)et ’ Stratégies alimentaires ’ rattaché à Solagral (Solidarités agro-alimentaires), qui forme l’Inter-Réseaux, depuis 3 ans. L’action GAO m’amenait à travailler plutôt avec l’Afrique. En même temps, j’étais secrétaire d’une commission à la CANA, car l’on avait créé en 1984 une commission CANA/Tiers-Monde, en partant du principe qu’une coopérative se devait de vivre la solidarité internationale avec des organisations paysannes de pays du Sud.
Michel Sauquet (1)m’a un jour parlé d’une série de documents sur les ’ passeurs de frontières ’. Il s’agit de gens pas vraiment connus et que l’on voudrait faire connaître pour montrer par l’écrit qu’il y a des personnes qui ont réalisé des choses dans leur vie avec des itinéraires particuliers. Ils m’a demandé d’en être par rapport au monde paysan. Je réunissais les conditions, ayant été paysan, salarié des paysans, permanent des paysans on a négocié et j’ai demandé à ce qu’à travers moi on parle surtout du mouvement dans lequel j’ai été engagé. On s’est accordés sur une analyse du mouvement paysan de l’Ouest dans lequel j’ai milité. Après six mois à un an de travail en commun avec Anne Tristan, qui était d’accord pour travailler avec moi, ’ Au delà des haies ’ est sorti aux Editions Descartes et Compagnie, financé par la FPH. C’est un peu tout le combat des paysans autodidactes, formés pour la plupart à la JAC, avec lesquels j’ai milité, en Loire Atlantique et dans l’Ouest.
Comme ça marchait, on a décidé d’aller plus loin, toujours avec la FPH. Lorsqu’on reçoit des délégations étrangères en France, et qu’on leur montre ce que sont nos organisations paysannes en France, ils trouvent que ces grosses coopératives, ces chambres d’agriculture, ces caisses de crédit, ne sont pas adaptées pour eux. Ce qui les intéresse, c’est comment cela a démarré.
Dans le cadre de l’Inter Réseaux, j’ai réuni sept ou huit personnes retraitées ayant exercé pendant plusieurs dizaines d’années des responsabilités dans les organisations paysannes nationales. Je leur ai demandé d’expliquer aux Africains et Centraméricains comment avaient démarré les coopératives, les syndicats, les chambres d’agriculture, les mutuelles, les crédits. Chacun a rédigé un texte ’ avec ses tripes ’. Tous les textes ont été revus, on s’est réunis. Cela a duré trois ans. On a sorti le livre à l’automne dernier. Chacun a été amené à réécrire son travail, il y en a même un qui l’a refait quatre fois, car ce que l’on demandait, c’était des témoignages et non des leçons. Les gars ont lu tout ce qu’ils ont pu sur l’origine des organisations, et on a aussi fait des interviews de personnes qui ont créé des organisations, qui on été au démarrage. Une fois que chacun a écrit son texte, on a tout confié à un journaliste proposé par la FPH qui a tout revu pour le rendre plus lisible, plus coulant et digeste. C’est une bonne méthode, il a respecté le fond, mais amélioré la forme. On a sorti avec la FPH et Inter-Réseaux un document, ’ Campagnes en mouvement ’, sur la démarche des paysans français pour construire leurs organisations paysannes.
Ces deux livres, réalisés avec la FPH, permettent de mieux comprendre le mouvement paysan français, et en particulier le dernier document a été écrit essentiellement à l’intention de nos partenaires du Sud.
J’ai rencontré un Sénégalais de la région de St Louis à un séminaire. ’ Au delà des haies ’ venait de sortir, je lui en ai donné un exemplaire. Je l’ai revu deux ans plus tard. Il m’a dit que mon livre leur avait donné l’idée de créer un syndicat, parce qu’il y a au Sénégal des associations de producteurs, des groupements villageois qui font du développement, mais ce sont les négociants, ceux qui commercialisent, qui en tirent profit. Il a découvert qu’en parallèle des efforts de développement, nous avions travaillé pour améliorer notre revenu, pour commercialiser, que l’on s’était organisé en coopératives, et que l’on avait créé des syndicats pour la défense des intérêts des agriculteurs.
J’ai eu d’autres témoignages oraux, plus qu’écrits. Un autre me disait par rapport à ’ Au delà des haies ’ : ’ on constate que nous on attend tout d’en haut. Mais dans ce livre, on voit que ce que vous avez, vous l’avez arraché. C’est le résultat de luttes, de combats collectifs. ’
Donc ça a servi à quelque chose.
(1)Responsable de la politique éditoriale et de la communication à la FPH. Médard Lebot : président du GAO, membre actif au sein du programme APM.
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