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La capitalisation d’expérience : des temps et des espaces de récupération, des détours stratégiques, sont nécessaires pour avancer

Noël CANNAT, Sylvie ROBERT

12 / 1999

Pour moi la capitalisation est une sorte de danse, ou une marche : un pas en avant, un pas en arrière, un autre petit pas en avant, qui va donner l’orientation pour la suite. Immersion, récupération, puis invention. Pour moi c’est capital et ça a des répercussions dans beaucoup de domaines.

La plupart des maux dont notre société souffre actuellement vient du fait que nous concevons nos actions en termes d’agressivité, de compétitivité : non seulement aller de l’avant, mais aller plus vite que les autres, et l’on oublie complètement la phase de récupération. Et ce qui est bien pire, c’est que l’on oublie de créer dans les structures urbaines, dans les villes, les espaces intermédiaires où cette récupération pourrait avoir lieu.

Avoir des espaces de récupération, c’est essentiel. Dans un bureau par exemple, il n’y a pas d’endroit où s’allonger. Pour moi, quand je travaille, un moment vient où je sens que ça fléchit. Je viens par exemple de faire une faute de frappe à l’ordinateur. Je m’arrête, je ferme, je mets en veille. Je m’allonge et me laisse aller. Au bout de 20 minutes, ça repart pour plusieurs heures.

Se donner ces moyens, comme le mi-temps, semble un luxe, mais ce n’est qu’apparent. C’est de la stratégie. Même dans le système compétitif actuel, ce qui fait progresser quelqu’un, c’est la capacité d’avoir un plus, une faculté d’invention, une créativité plus grande, de savoir mieux se situer par rapport au problème. Si vous êtes pris dans un engrenage, vous n’aurez pas le temps d’avoir ça. Donc c’est une sorte d’investissement dans le temps que vous faites. Il faut investir dans le temps, et pas seulement pour recevoir de l’argent.

Le vrai drame des bidonvilles, de la misère, c’est de vivre au jour le jour. Au lieu de parler d’éradiquer la pauvreté, ce qui est absurde, il faut d’abord permettre aux gens de prendre du recul. Ce que fait Mohamed Yunus, de la Grameen Bank, revient à cela : donner aux gens une petite possibilité de recul. La véritable aide c’est de donner aux gens la capacité de recul que leur état de dénuement leur interdit.

Et L’espace relationnel...

Dans l’éducation, la famille et le monde extérieur, représenté par les médias, la presse, ce que l’on voit dans la rue l’organisation de l’espace est importante. Les espaces intermédiaires pour moi correspondent dans le domaine social à la récupération dans le domaine psychologique. Le lieu intermédiaire est un champ relationnel, où se tissent des relations entre les personnes. ’ Relation ’ ne veut pas dire pure ’ communication ’, il peut y avoir communication sans relation. Or ce qui compte c’est la relation entre deux êtres, ce n’est pas la communication, nous ne sommes pas des espèces d’émetteurs-récepteurs avec des flux qui vont de l’un dans l’autre, nous ne sommes pas des vases communicants. La communication n’est donc fondée, ou justifiée, que s’il y a relation, et il n’y a relation que s’il y a un tiers. Le tiers, c’est le projet. C’est la famille par exemple, avec les enfants comme projet, c’est Dieu dans un monastère.

La ligne indirecte est le meilleur chemin.

On retrouve toujours ce mouvement d’aller en avant, de se récupérer, et de préparer les éléments d’un progrès, d’une avancée plus lointaine, mais qui ne sera donc pas strictement linéaire. C’est très important, et c’est ce qui contredit l’esprit même de notre civilisation de pensée linéaire, à l’inverse de la pensée africaine, qui fait des détours, ou de la pensée chinoise, qui est une pensée du labyrinthe. Comme le dit François Jullien, c’est le détour qui donne l’accès. La ligne directe est utile dans certains moments, pour faire une percée. Mais si elle n’est pas suivie d’une récupération, de la création d’espaces intermédiaires, c’est à dire d’espaces qui concentrent les énergies en vue d’une avancée ultérieure, et bien vous aboutissez à la névrose, à tous ces gens déprimés, dépressifs, qui prennent des anxiolytiques c’est notre système social qui est en cause.

La nécessité d’unir les contraires va contre notre culture. Les chinois le savent bien. On ne fait rien sans unir les contraires. Il n’y a pas de jour sans nuit, d’homme sans femme, de jeune sans vieux. C’est le contraire qui nous fait être.

C’est lorsque l’on rencontre un obstacle que l’on perçoit ce besoin de récupération. On se casse le nez. Un embranchement a été pris qui se révèle être une impasse. Il ne faut pas tout casser mais chercher l’endroit où ça a dévié. C’est l’évaluation. C’est une évaluation non pas dans l’intention de juger l’acte, mais dans celle d’en reformuler le but.

L’évaluation peut se concevoir ainsi à condition qu’elle ait été précédée d’une période de récupération. Mais dans une société permissive comme la nôtre, c’est toujours très délicat à faire comprendre (pour éviter une interprétation hédoniste).

Nous sommes passés avec mai 68 d’une société autoritaire et répressive, à une société toute aussi violente, mais qui n’ose plus appeler les choses par leur nom, qui se fait des montagnes de rien. Notre société est passée d’une extrême à l’autre. C’est très caractéristique de la pensée de l’occident, ce que François Jullien appelle ’ la pensée de l’affrontement ’ (pensée binaire, du tout ou rien). La Chine au contraire, c’est le détour. On retrouve cela dans les stratégies militaires. Nous sommes toujours dans la logique de l’affrontement, droite/gauche, alors que l’on a un pied droit et un pied gauche, et que si l’on veut marcher, il faut être tantôt à droite, tantôt à gauche.

L’existence impose un rythme, des années creuses ou sabbatiques, de récupération. Les deux erreurs à ne pas faire, au plan individuel ou associatif, sont de culpabiliser ou d’agresser.

L’année précédant l’année creuse est une année germe. C’est alors que se font les synthèses qui donneront orientation au cycle suivant, après l’année de récupération. C’est une année pivot. Puis s’ensuivent 3 ou 4 années tiges ou fleurs. L’année germe est traître car on est en sommet de la courbe on peut se croire tout permis, mais c’est le moment de stopper.

Palavras-chave

relações reflexão ação


,

Notas

L’auteur est un ancien expert des Nations Unies et de la Banque Mondiale.

Fonte

Entrevista

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